Le 15 mars, les Hongrois célèbrent comme chaque année la fête nationale et commémoreront le soulèvement de leurs aînés, qui en 1848 se sont soulevés contre la Monarchie pour faire valoir leurs droits. Si de tels combats peuvent nous paraître lointains, pour nous, citoyens européens, le gouvernement de Viktor Orban nous rappelle depuis un peu moins de trois ans qu’un État démocratique peut tout à fait glisser vers l’autoritarisme.
Cette semaine aura sans doute marqué un tournant dans la politique hongroise et européenne. Lundi 11 mars, le parlement hongrois a en effet modifié pour la quatrième fois en moins d’un an, sa nouvelle Constitution entrée en vigueur le … 1er janvier 2012. Ces étapes constitutionnelles sont autant de reculs pour les libertés en Hongrie. Dernières en date, les modifications de cette semaine retirent notamment l’essentiel de ses compétences à la Cour constitutionnelle, garant d’un contre-pouvoir et qui avait ces dernières années annulé quelques unes des lois votées par le gouvernement. Désormais, Viktor Orban pourra appliquer son programme sans être gêné.
Un quatrième amendement à une nouvelle Constitution votée l’année dernière
L’amendement comporte vingt-deux articles et met à mal les principes de la Constitution : limitation des religions reconnues par l’Etat à une liste restreinte et arbitraire, interdiction faîte aux SDF de demeurer sur la voie publique, limitation de la notion de famille aux seuls couples officiellement mariés, obligation pour les étudiants de rembourser l’intégralité de leurs frais d’études s’ils ne comptent pas rester en Hongrie après l’obtention de leur diplôme…
Ce n’est pas la première fois que le Premier Ministre s’attaque aux contre-pouvoirs : la réforme de la Constitution et la loi controversée sur les médias en 2011 avaient déjà suscité de nombreuses inquiétudes au sein de la société civile et de l’Europe.
Balazs Nagy Navarro, un journaliste qui affronte le pouvoir
Si Viktor Orban bénéficie au Parlement d’une majorité des deux tiers, qui lui permet de réviser la Constitution à son gré, et si la population semble assez largement le suivre, des Hongrois résistent pourtant courageusement, à cette dérive autoritaire. Balazs Nagy Navarro, fait partie de ces Hongrois qui ont décidé d’entrer « en résistance » contre le gouvernement de Viktor Orban. Journaliste au sein de la télévision publique MTVA, il a initié une grève de la faim pendant une semaine en décembre 2011 et a, depuis, installé un campement de protestation pacifique devant le siège de la télévision. Membre du Mouvement Mains Nettes – en référence à l’opération Mais Propres menée en Italie dans les années 1990 pour éradiquer la corruption de la classe politique et médiatique – il dénonce les conflits d’intérêt et la censure qui opèrent au plus haut niveau hiérarchique. Licencié peu de temps après avoir commencé son action, M. Nagy Navarro mène une guerre sur le plan juridique et psychologique avec le pouvoir. Installé initialement sur le parvis du siège de la télévision, son campement a été attaqué à plusieurs reprises et délogé en novembre dernier. Ces intimidations ne l’empêchent pas de poursuivre son combat : Il a installé un panneau avec une liste de responsables de l’audiovisuel public qui sont coupables d’atteinte à la liberté d’information. Chaque fois que l’un d’entre eux démissionne, son nom est barré. Tous ont la particularité d’être proches du FIDESZ – parti de Viktor Orban – ou de l’extrême droite hongroise.
Quelles réponses peut apporter l’Europe ?
M. Nagy Navarro n’est évidemment pas un cas isolé en Hongrie. Et au-delà des personnes, c’est l’Etat de droit et le modèle politique européen des libertés qui est menacé au cœur de l’Europe. Ainsi, de nombreuses dispositions ont été prises par le gouvernement hongrois depuis 2010 qui contreviennent au droit européen. Viktor Orban l’a bien compris et il lance cette fois-ci un nouveau défi à l’Union européenne avec cette quatrième révision constitutionnelle. L’Union européenne n’a pas tardé à réagir par la voix du Président de la Commission Européenne, José Manuel Barroso. Dans une lettre adressée au Premier ministre hongrois, M. Barroso invite les parlementaires hongrois à agir « en conformité avec les principes démocratiques de l’UE ». De même, Angela Merkel a estimé que « les préoccupations des partenaires européens et des amis de la Hongrie, concernant notamment la limitation des compétences de la Cour constitutionnelle, doivent être prises au sérieux ».
Si l’on peut se féliciter de la réactivité de l’Union européenne et de ses dirigeants, on peut se demander s’il n’est pas déjà pas trop tard. Ce n’est en effet pas la première fois que Bruxelles émet des réserves sur le fonctionnement de la démocratie hongroise. A plusieurs reprises depuis 2010, la Commission s’est inquiétée de la dérive autoritaire en Hongrie, en menaçant de prendre des sanctions à l’égard de Budapest. Elle peut initier une procédure d’infraction mais cela repose sur le fait que les autorités européennes trouvent de sérieuses preuves que les traités européens n’ont pas été respectés et cela peut durer au moins un an, dans le meilleur des cas.
Une autre solution, plus immédiate, consisterait en un vote sanction à l’égard de la Hongrie pour non respect des traités. Or, ces sanctions ne peuvent être votées qu’à l’unanimité et il n’est pas certain que les vingt-six Etats s’engagent en ce sens, d’autant que cela alimenterait encore plus la défiance vis-à-vis de l’Europe. En outre, il s’agirait là d’une « bombe atomique » comme l’indiquait en Mars 2012 Ben Smulders, le directeur du Service Juridique de la Commission européenne, au magazine eurocitoyen, letaurillon.org. En d’autres termes, l’Union européenne n’a pas de réponse adaptée à la « menace hongroise », si ce n’est la pression politique… qui ne semble pas impressionner Viktor Orban outre-mesure.
La Hongrie n’est cependant pas le premier Etat à bousculer les valeurs de l’Union européenne. On se souvient du cas de l’Autriche de Jörg Haider et de son parti le FPÖ, qui, au début des années 2000, s’était associé au parti conservateur pour former une coalition. L’entrée de l’extrême droite au gouvernement – même si Haider n’y figurait pas – eut pour conséquence que les quatorze autres membres (NDLR : L’Europe comptait 15 membres jusqu’en 2004) de l’UE décidèrent de mettre l’Autriche sous « surveillance » et de réduire leurs liens avec le gouvernement de Vienne au minimum. L’expérience s’avéra être un échec car les mesures de rétorsion eurent pour effet de resouder la population autrichienne derrière son gouvernement.
L’avenir de l’Europe ne se joue pas simplement à Athènes mais également à Budapest
Alors que faire ? Comment empêcher un gouvernement démocratiquement élu d’installer au sein de l’Europe un régime autoritaire ? Guido Westerwelle, le ministre des affaires étrangères allemand, dans une lettre co-signée la semaine dernière avec ses pairs danois, finlandais et hollandais réclamait à M. Barroso que la Commission veille plus scrupuleusement à ce que les Etats membres respectent la liberté de la presse, l’indépendance de la justice ou d’autres libertés publiques et que des sanctions financières puissent être votées plus facilement dans le cas contraire.
Parallèlement, les ONG et la société civile hongroise accentuent la pression sur les dirigeants hongrois. Quelques actions symboliques ont été menées ces derniers jours. Un flashmob a été organisé par des activistes à Berlin devant l’ambassade de Hongrie, à l’occasion de la visite en Allemagne, de János Ader, le Président hongrois. Mardi matin, Opinion Internationale et le collectif Hongrie Solidarité ont organisé un rassemblement symbolique devant l’Institut hongrois à Paris pour dénoncer le recul des libertés. D’autres auront lieu encore demain, notamment à Bruxelles et de nouveau à Paris. Ce 15 mars, des Européens sont à Budapest pour soutenir Balazs Nagy Navarro et les défenseurs des libertés en Hongrie.
Qu’on se le dise : nos libertés se jouent en Hongrie car ce sont les valeurs fondamentales de l’Union européenne qui sont aujourd’hui menacées.
Elie Levaï