Le 5 juillet dernier, un scandale médiatique a relancé le débat sur l’illégalité de l’avortement au Chili. Une fille de 11 ans, surnommée Belen par la presse, a annoncé être enceinte de 14 semaines de son beau-père qui l’abusait sexuellement. Etonnant le pays par son courage, Belen a déclaré à la télévision : « Je vais énormément aimer cet enfant, même s’il vient d’un homme qui m’a blessé ».
« Belen », originaire d’une petite ville du sud du pays, Puerto Montt, a révélé les crimes sexuels répétitifs qu’elle a subis pendant deux ans par son beau-père. Le beau-père, âgé de 31 ans, a été arrêté après les accusations et a confessé ses crimes, malgré le démenti de la mère de Belen qui affirme que ces relations étaient consentantes. Belen a fait partager au public sa décision de garder l’enfant : « ce sera comme avoir une poupée dans les bras » a-t-elle déclaré. Le gouvernement chilien ne lui donne à vrai dire pas d’autres choix.
Des tentatives d’évolution chaque fois mise en échec
Depuis 1874, les articles 342-345 du Code pénal chilien interdisent tous les cas d’avortement en jugeant l’acte criminel. Tant la femme enceinte qui voudrait mettre fin à sa grossesse que le médecin qui l’aiderait, sont passibles d’une peine de cinq ans de prison. Toutefois en 1931, une loi médicale (Codigo Sanitario) autorise les médecins à pratiquer une telle intervention si la vie de leur patiente ou celle de leur enfant est à risque. Cet avortement dit « thérapeutique » n’a pas survécu au régime dictatorial de Pinochet. En 1989, le président Pinochet interdit l’avortement en toute circonstance, considérant la pratique injustifiable au vu des progrès de la médecine.
Cette criminalisation est fortement condamnée par les organisations des droits de l’homme, qui ne parviennent cependant pas à l’infléchir. Selon Amnesty International, Belen doit se voir offrir toutes les options médicales pour garantir sa santé, y compris l’interruption de grossesse. Au niveau national, des célébrités se sont réunies cette année dans la campagne MILES pour sensibiliser la population au besoin de dépénaliser l’avortement. Ces initiatives font écho aux récents échecs parlementaires de légalisation de l’avortement : en 2012, le gouvernement du président Pinera a rejeté trois projets de lois en faveur d’une autorisation partielle de l’intervention de grossesse.
Le cas Belen, un tournant politique
La réaction du Président chilien face à l’annonce de Belen de vouloir garder l’enfant a provoqué la controverse. Sebastian Pinera a en effet loué la décision de Belen, une preuve selon lui de « maturité ». L’opposante Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili et ancienne directrice de ONU-Femmes, va à l’encontre des idées de l’actuel président. Puisque le corps médical a annoncé que les vies de Belen et son enfant sont en danger, Michelle Bachelet est en faveur d’un avortement thérapeutique.
L’année 2013 se présente comme une année décisive pour la légalisation de l’avortement, en raison des élections présidentielles de novembre prochain.
L’affaire de trop ?
Le débat sur le droit à l’avortement est donc relancé et divise la population. Alors que les opposants à l’avortement avancent qu’une interruption de grossesse est nocive pour la santé de la mère et celle de l’enfant, l’effondrement du taux de mortalité maternelle au Chili leur prouve le contraire. En un demi-siècle, la baisse de 93,8% des décès maternels fait du Chili un parangon de la santé maternelle pour les autres pays de la région sud-américaine.
La réaction conservatrice du gouvernement rappelle que l’affaire Belen n’est pas un cas singulier ; d’autres victimes de l’interdiction de l’avortement ont précédé. En 2008, Karen Espindola, âgée de 23 ans, est enceinte d’un bébé qui souffre d’une maladie cérébrale. Alors que la probabilité de survie de l’enfant est faible, Karen est contrainte par l’Etat de donner vie à cet enfant qui mourra deux années plus tard. L’itération de ces cas accentue la colère fervente des activistes chiliens qui ont choisi d’autres moyens pour se faire entendre : la cathédrale de Santiago a été vandalisée le 26 juillet dernier au cours d’une manifestation en faveur de la dépénalisation de l’avortement. Débattre ne semble plus suffire.