Mathieu Guidère est depuis 2011 professeur d’islamologie et de géopolitique arabe à l’université Toulouse II et chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Spécialiste de l’histoire du monde arabe et musulman, il analyse la progression des forces jihadistes en Irak en direction de Bagdad. Si ce groupe s’est constitué en réaction à la politique désastreuse du premier ministre Nouri Al-Maliki, Mathieu Guidère fait remarquer que cette offensive est également l’expression de la répartition inégale des postes entre chiites et sunnites au lendemain de l’invasion américaine en 2004.
La deuxième ville d’Irak, Mossoul est tombée aux mains de l’organisation jihadiste Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ils se trouvent aujourd’hui à une centaine de kilomètres de Bagad ? Leur progression est-elle inarrêtable ?
L’offensive qui avance vers Bagdad n’est pas seulement composée de membres de EIIL. Il s’agit d’une coalition hétéroclite qui regroupe des milices tribales (environ 20 000 à 30 000 hommes) et des troupes issues de l’armée irakienne qui ont fait défection (5000 hommes) qui ont rejoint les combattants de EIIL qui sont minoritaires (3000 à 800 hommes) dans cet attelage.
Cela fait six mois qu’ils demandent au premier ministre chiite Nouri Al-Maliki, un rééquilibrage au sein du gouvernement et la seule réponse qui est intervenue jusque-là ont été des bombardements.
Cette situation illustre l’échec total des américains en Irak. Dix ans après, les conséquences de l’opération militaire qui a conduit à la chute de Saddam Hussein se font toujours sentir malgré un investissement énorme pour former l’armée irakienne…
C’est bien entendu un échec pour les Américains. Les revendications de ce groupe hétéroclite sont quoiqu’on en pense légitimes. Les sunnites sont marginalisés depuis 2003 et la répartition inégale décidée par Paul Bremer, l’administrateur civil qui a dirigé l’Irak avant l’élection d’un nouveau président. Il a en effet donné le pouvoir aux chiites dès 2004, ce qui a favorisé l’Iran qui est devenu un acteur majeur sur la scène irakienne. La raison voudrait que Washington s’allie aujourd’hui avec Téhéran pour lutter contre les jihadistes et dans le même temps, ils ne peuvent pas laisser prospérer sur le territoire irakien l’EIIL.
Pensez-vous réalisable l’objectif consistant à constituer un Etat islamique à cheval sur l’Irak et la Syrie ?
C’est un objectif de propagande. Personne ne laissera les jihadistes constituer un tel Etat. Ni l’Iran, ni la Turquie, ni la Syrie ne laisseront faire. S’ils réussissent à prendre Bagdad, les vrais patrons ce sont les forces tribales.
Et encore, le plus probable est que Bagdad soit à l’image de Damas au plus fort de l’insurrection rebelle.