Le 10 décembre dernier, la Journée internationale des droits de l’homme fut célébrée partout dans le monde. A Djibouti, la cérémonie s’est déroulée sous l’égide du président Ismaïl Omar Guelleh en présence d’un parterre de hautes personnalités. Dans ce pays d’Afrique plus qu’ailleurs, cet événement est teinté d’ironie tant le pouvoir en place met un point d’honneur à bafouer chaque jour qui passe les droits humains. Journalistes, opposants, défenseurs des droits de l’homme ou « citoyen » lambda sont en effet les victimes quotidiennes d’arrestations arbitraires et d’une répression en constante augmentation.
Djibou qui ?
Ancienne colonie française, Djibouti jouit aujourd’hui d’une méconnaissance populaire inversement proportionnelle à l’importance que le pays peut avoir dans les relations commerciales internationales. C’est un territoire limitrophe de la Somalie, de l’Ethiopie et de l’Erythrée, trois États avec qui ce pays forment la Corne de l’Afrique. Djibouti est également séparé du Yémen par le détroit de Bab-el-Mandeb et grâce à sa capitale portuaire homonyme, le pays concentre près de 30 % du commerce maritime mondial et accueille plus de 20 000 navires par an.
L’indépendance du pays est proclamée en 1977, année où la République de Djibouti voit le jour. Depuis maintenant 15 ans, l’État est présidé par Ismaïl Omar Guelleh (IOG), qui officia dans sa jeunesse au sein de la police du Territoire français des Afars et des Issas, nom donné au territoire de Djibouti durant la période coloniale. Il fut également membre de la Ligue populaire africaine pour l’indépendance avant d’occuper ses fonctions présidentielles. Pour l’heure, on compte trois mandats à son actif dont le dernier brigué de façon fallacieuse. Si IOG se maintient au pouvoir, de nombreux mouvements de défense des droits de l’homme œuvrent pour en finir avec un régime considéré comme totalitaire.
Dépression post-scrutin
Depuis son indépendance, Djibouti est parvenu à instaurer un système de parti unique, encore à la tête du pays 37 ans après. Et qu’importe si une Constitution a été adoptée en 1992 prévoyant « un mutlipartisme partiel » et la présence de quatre partis, les élections présidentielles et législatives sont le fait d’un processus opaque qui voit toujours les mêmes gagner, en dépit des multiples protestations nationales revendiquant le droit de pouvoir décider d’une alternance démocratique. C’est à chaque fois la même chose, le peuple se retrouve inexorablement confronté aux manigances d’un gouvernement qui met tout en œuvre pour garder la main mise sur le pays. Pour preuve, après deux mandats en tant que chef d’État, le Président Guelleh a fait adopter en 2010 une réforme constitutionnelle exceptionnelle lui permettant de briguer un troisième mandat.
Les élections législatives qui ont eu lieu le 22 février 2013 ont également laissé place à une crise postélectorale toujours d’actualité. C’était la première fois que l’opposition participait aux élections législatives depuis une dizaine d’années. Les six partis d’opposition, réunis sous l’appellation Union de salut national (USN) affrontaient alors l’Union pour la majorité présidentielle, (UMP), le parti du Président Guelleh. De nombreux membres de l’opposition ont alors dénoncé des élections truquées, avec « bourrage d’urnes » et de nombreuses expulsions des bureaux de vote pour les opposants au régime de Guelleh. Cette « mascarade électorale » comme certains l’appellent, a donné lieu à une contestation populaire sans précédent, réclamant la transparence des résultats définitifs des élections.
Ces manifestations pacifiques ont toutes fait l’objet d’arrestations arbitraires et d’interventions musclées de la part des forces de l’ordre, mettant à exécution les volontés d’un gouvernement aux positions liberticides. Harcèlements, intimidations, détentions illégales, tortures, depuis ces élections le gouvernement a lancé une véritable chasse à l’opposant et n’hésite pas à recourir aux pires techniques pour étouffer les mouvements contestataires. Des agissements notamment dénoncés dans un rapport publié par l’ONU en 2013. Les manifestations ont même été interdites à l’orée des élections présidentielles de 2011. « À l’approche des élections à Djibouti, le gouvernement a porté atteinte aux droits qui confèrent précisément à un scrutin son caractère libre et équitable », déclarait alors Rona Peligal, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch.
Trou noir médiatique
Si IOG parvient jusqu’à présent à étouffer les frondeurs, le président n’a pas son pareil pour museler la presse et contrôler l’ensemble de l’espace médiatique. A Djibouti, la presse publique est quasiment le seul organe médiatique accepté. Forcément complaisante avec le pouvoir en place, cette presse se contente de reprendre les événements à la gloire du régime actuel. Les journaux privés ont tous été fermés les uns après les autres, la presse étrangère est persona non grata sur le territoire et tout journaliste qui s’aventurerait à donner de l’écho à l’opposition s’expose au pire, comme ce fut le cas dernièrement pour Mohamed Ibrahim Waïss.
Ce journaliste travaillant pour La Voix de Djibouti a été arrêté l’été dernier par la police alors qu’il était en train de couvrir une manifestation de l’opposition. L’homme a alors été violemment battu par les forces de l’ordre. Des agissements qui ne relèvent pas du cas isolé, la liste des journalistes emprisonnés ne cesse de croître et la dernière publication de Reporters sans Frontières place cette année Djibouti à la 169ème place (sur 180) de son classement mondial de la liberté de la presse. Le pays recule même de deux places par rapport à 2013.
A Djibouti, la privation d’une liberté de penser s’accompagne d’une volonté du gouvernement d’annihiler toute liberté de parole et la presse est un instrument que Guelleh veut pouvoir manipuler à sa guise. Et qu’importe si cela pousse le pays à se refermer peu à peu sur lui-même, refusant à son peuple toute ouverture sur le monde et le forçant à avancer à l’aveugle. Djibouti n’en a que faire et peut compter sur ses relations privilégiées avec plusieurs grands pays comme les Etats-Unis, la France et nouvellement la Chine pour convaincre la communauté internationale de ne pas être trop regardante sur ses pratiques internes.
Le 10 décembre, Djibouti célébra la Journée internationale des droits de l’homme avec un discours du président rappelant que les « droits de l’homme sont universels » et ne sont pas des « valeurs exclusivement occidentales ». Une occasion pour Ismaïl Omar Guelleh de faire montre d’un grand talent de persuasion quant à la situation dans laquelle lui et son parti ont enraciné le pays depuis des années. Si quelques instances internationales dénoncent les manquements aux droits de l’homme dont fait preuve Djibouti, aucune amélioration notable n’est malheureusement à relever et les mouvements contestataires pacifiques ne semblent pour le moment pas ébranler le régime Guelleh. Pourtant d’autres pays à l’image du Burkina Faso, où les manifestants ont réussi à faire tomber Blaise Compaoré à la tête du pays depuis 27 ans, ont récemment prouvé qu’il n’était pas vain de continuer d’y croire. Reste à savoir si la nouvelle a pu arriver jusqu’au peuple djiboutien.