Actualité
21H41 - mercredi 19 juin 2024

Harcèlement de rue : le témoignage saisissant de Molie. La chronique d’Eurydice Ndong

 

Peu importe le milieu social, le harcèlement de rue touche toutes les femmes en France. Dans l’espace public, elles reçoivent des messages intimidants, insistants, irrespectueux et menaçants. Selon une étude de l’institut de sondages Ipsos de 2020, 81 % des femmes déclarent en avoir déjà été victimes. Dans cet environnement, nombre d’entre elles apprennent à baisser la tête ou adoptent des stratégies d’évitement, comme s’habiller différemment ou éviter les transports en commun la nuit. Selon le dernier rapport annuel du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 9 femmes sur 10 confirment adopter ces comportements.

Lorsqu’on ne se sent pas concerné par le harcèlement ou lorsqu’on ne l’a jamais vécu, on ne peut pas mesurer la violence de ce phénomène.

Je peux également parler de mon expérience personnelle, notamment du harcèlement sur les réseaux sociaux. Si je poste une photo de moi, on m’accuse d’utiliser mes charmes, et de nombreux hommes se permettent de me critiquer, me traitant de « bête » ou d' »allumeuse », et me demandent si je vends mes charmes.

Une femme ne peut pas être belle, intelligente et assumer sa féminité sans être jugée.

Souvent, elle est contrainte de se taire et de se laisser traiter de pimbêche. C’est pourquoi je refuse de laisser les propos des imbéciles m’empêcher de poster des photos de moi. Je n’ai pas à restreindre ma liberté pour leur laisser le plaisir de jouer à ces hommes qui décident à la place des femmes.

Les transports en commun sont devenus un repaire de harceleurs qui dégainent leur sifflement aussi vite que Lucky Luke. Nous sommes sifflées comme des animaux, à tel point que certaines ont décidé de changer leur manière de s’habiller. Dans certaines régions et villes, rentrer chez soi vêtu d’une certaine façon peut être dangereux.

Nous savons que draguer et harceler ne sont pas la même chose, c’est pour cela que j’ai souhaité entendre le témoignage de Molie, une jeune fille qui vit le harcèlement de rue à Nantes.

 

Pour Molie, « le regard insistant et la sensation d’être guettée comme une proie en rentrant créent ce sentiment d’être un morceau de viande. C’est triste, mais je finis par les ignorer au maximum. Auparavant, cela me mettait en colère, mais se faire siffler est impossible à ignorer, en plus des regards. À ce moment-là, je me sens humiliée, vraiment comme un objet. Souvent, quand cela arrive, je ressens de la colère. Au début, je me suis beaucoup questionnée sur ma responsabilité, mais en voyant qu’ils le font à tout le monde, peu importe la tenue, le maquillage, ma stature ou ma posture, cela ne change rien. Le soir, si je sors seule, je me suis déjà sentie en danger. Le pire, c’est l’immobilisme des gens qui voient mais ne font rien. Souvent, le soir, pour me sentir en sécurité, j’appelle mon copain pour qu’il m’accompagne tout le long.

En journée, en attendant le tram, je préfère toujours m’approcher de la foule ou d’un groupe de personnes pour ne pas me sentir isolée au cas où je me sentirais mal à l’aise à cause du harcèlement de rue. Le vrai problème, c’est qu’ils viennent parfois à ma rencontre. J’essaie de marcher calmement alors que je les entends me dire des « bonjour » ou des « vous êtes belle » de manière agressive.

Je ne peux pas fuir lorsque j’attends le tram, ni m’écarter. Ils viennent jusqu’à moi, me disent « Bonsoir », et de manière insistante, ils veulent m’obliger à répondre. C’est très frustrant parce que je veux répondre, mais je sais que le risque est trop grand et que cela peut mal finir. Je me retiens, en colère, en attendant que ça passe.

Si j’avais un conseil à donner à d’autres filles, ce serait de les ignorer et de ne pas se priver de notre liberté en changeant nos habitudes. Je n’ai pas envie de leur donner le pouvoir de nous enlever nos libertés et de les laisser gagner.

Néanmoins, je trouve que nous ne sommes pas suffisamment aidées. Un accompagnement pour savoir gérer ce genre de situations serait utile : apprendre à se défendre avec des bombes lacrymogènes, suivre des cours de self-défense, organiser plus de campagnes de prévention et de protection sur le sujet. Enseigner aux jeunes à être plus vigilants dans leur environnement, leur donner les clés pour savoir comment agir, qui appeler s’ils voient une situation de harcèlement, comment intervenir sans aggraver la situation ni se mettre en danger.

Et enfin continuer de vivre nos libertés sans les restreindre. »

 

Eurydice Ndong