Tunisie
08H00 - mercredi 27 avril 2011

« La révolution est en marche mais le peuple s’inquiète : le changement tarde à venir ! » Entretien avec un des héros de la révolution de Jasmin : le Bâtonnier KILANI.

 

La Révolution de Jasmin s’est jouée en mois d’un mois, de mi-décembre à mi-janvier 2011 ? Etait-elle annoncée ?

AK : « L’immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid a été la flamme qui a réveillé l’incendie. Mais des braises couvaient déjà. Les émeutes sociales de Gafsa au sud du pays en 2009 et 2010 auraient dû nous alerter.

Les avocats ont-ils défié le pouvoir avant 2011 et quel rôle ont-ils joué dans la révolution ?

AK : « Le 20 juin 2010, j’ai été élu Bâtonnier contre 6 candidats officiels du pouvoir. J’étais l’homme à abattre : mes confrères m’ont pourtant élu. Ce fut un des premiers signes de défiance institutionnelle à l’égard du régime. Pendant les événements de Sidi Bouzid et de Kassérine, les avocats ont immédiatement été aux côtés des jeunes qui manifestaient. Je crois pouvoir dire que nous sommes la profession qui a le plus soutenu et porté le mouvement. Les avocats tunisiens en sont fiers.

La peur commençait déjà à quitter nos concitoyens, tant le système était corrompu et comme artificiellement maintenu en survie par une répression farouche.

Vous savez, les Tunisiens – et particulièrement les avocats de ce pays – ont une longue tradition de résistance vis-à-vis des pouvoirs, qui remonte déjà au XIXème siècle.

Que demandez-vous désormais ?

AK : « L’indépendance de la justice est l’une des principales revendications de la révolution car le régime Ben Ali torpillait le système judiciaire de l’intérieur. Il faut donc éradiquer la corruption qui gangrène la justice (comme le reste du pays) en changeant profondément l’exercice de la justice dans notre pays.

Nous avons également soumis une proposition de loi de réforme de la profession d’avocat.

Est-ce à dire qu’une chasse aux sorcières commence ?

AK : « Non, mais les magistrats doivent savoir rendre justice en veillant à des procès équitables.

Trois mois après la révolution, où en est la révolution tunisienne ?

AK : « Les choses avancent trop lentement. Les mesures nécessaires pour rendre irréversible la rupture avec le passé ne sont pas prises. Ceux qui appliquaient les ordres de Ben Ali sont toujours en place. Par exemple, au Ministère de l’Intérieur, les têtes n’ont pas changé. Nous craignons un enlisement de la volonté de changement.

Vous craignez un retour en arrière ?

AK : « Les gens peuvent s’exprimer plus ou moins librement. Tant que les bases de l’ancien système seront toujours là, il y aura le risque d’un retour en arrière. L’instabilité règne dans la ville, on voit des faits de violence qu’on ne constatait pas avant : je dis que ce sont les contre-révolutionnaires, invisibles mais clairement à la manœuvre, qui entretiennent cette situation instable. J’espère en tout cas que la Tunisie ira jusqu’aux élections prévues le 24 juillet.

Que faire alors ?

AK : « Il est clair que si la situation s’aggrave on descendra à nouveau dans la rue. Et cela je n’en doute pas une seconde : cette révolution appartient au peuple et le peuple redescendra dans la rue s’il le faut.

Beaucoup d’avocats sont tombés ou ont été réprimés pour avoir dénoncé la dictature de Ben Ali. Pouvez-vous rendre hommage à l’un d’entre eux ?

AK : « Je pense à Abdelramane HILA, un grand pénaliste tunisien, mort il y a dix ans dans la misère la plus totale. Il défendait avec courage des prisonniers politiques. La police s’est postée devant son cabinet pour dissuader les clients de venir le voir. Ils l’ont ruiné et tué à petit feu. C’était cela le régime Ben Ali. »

Propos recueillis par Michel Taube