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05H09 - vendredi 20 mai 2011

Le Sénégal, « terre d’impunité » selon Amnesty International

 

Le rapport 2011 d’Amnesty International, publié il y quelques jours, n’est pas tendre avec la situation des droits de l’homme au Sénégal. L’organisation de défense des droits humains considère le pays présidé par Abdoulaye Wade comme une « terre d’impunité ».

Violation des droits de l’homme, torture, impunité

Le rapport fait état de plusieurs cas de violation grave des droits de l’homme au pays de la « téranga » (hospitalité). On y trouve le récit de décès en détention suivis d’enquêtes qui n’aboutissent pas, de recours à la torture cautionnés par la justice, d’aveux extorqués sous la torture ainsi que des exemples d’impunité assurée pour les membres de sécurité.

Amnesty International a suivi, par exemple, la triste fin d’un jeune Sénégalais dans une prison à Kolda, au Sud du pays. « En avril 2007, Dominique Lopy, âgé de vingt-cinq ans, est décédé en garde à vue au commissariat central de Kolda. Il avait été arrêté suite à une plainte […] pour le vol d’un téléviseur », rapporte Amnesty International. En mai 2010, durant l’investigation d’Amnesty International, la mère du jeune homme décédé raconte : « La police est venue chez moi avec Dominique qui avait les mains menottées, il était torse nu. Ils ont fouillé la maison, puis ils sont partis en emmenant Dominique avec eux. En partant, un policier a déclaré que Dominique serait battu à mort s’il ne rendait pas le poste de télévision. Quand je suis allée le voir au commissariat, mon fils m’a déclaré qu’il avait été battu en détention, son corps portait des traces de coups. Le lendemain, je me suis rendue à nouveau au commissariat mais on a refusé de me laisser voir mon fils. J’ai appris ensuite que son corps avait été emmené à la morgue ».

La mort du jeune homme a suscité une grande indignation. Le jour de son enterrement. la population de Kolda a manifesté dans les rues en brûlant plusieurs maisons et en attaquant le commissariat de police. Lors de cette violente manifestation, Dioutala Mané, un tailleur qui sortait de son atelier pour traverser la rue, a été tué d’une balle dans le dos tirée par un membre des forces de sécurité : « Aucune enquête n’a été effectuée ni sur le décès ni sur l’usage excessif de la force par les agents chargés de l’application des lois lors de cette manifestation », explique l’organisation de défense des droits humains.

Et malgré la plainte déposée par la famille de Dominique Lopy au moment des faits, l’enquête n’a pas abouti : « trois ans après les faits, les proches du défunt attendent toujours que justice soit faite ».

Le cas de Dominique Lopy n’est pas isolé. Alioune Badara Diop est lui aussi « mort, en décembre 2007, dans les locaux du Commissariat de Ndorong à Kaolack (à 200 km au sud-est de Dakar), apparemment après avoir été torturé pendant sa garde à vue ». La source souligne que « la police a affirmé à sa famille que le détenu se serait suicidé par pendaison ». Ce que réfutent les proches de Alioune Badara Diop, qui ont demandé l’ouverture d’une enquête. Aujourd’hui, les conditions de son décès ne sont toujours pas élucidées. Un parent d’Alioune Badara Diop a indiqué à Amnesty International en mai 2010 : « Nous avons déposé plainte, et le frère et l’épouse du défunt ont été entendus par le procureur et le juge. Une autopsie a été faite mais nous n’avons pas pu en voir une copie. On nous a dit que le policier qui avait arrêté Alioune avait été jugé et condamné à deux ans de prison avec sursis. Mais nous ne connaissons toujours pas les circonstances dans lesquelles Alioune est mort et nous n’avons reçu aucune réparation », fait savoir le rapport.

En novembre 2008, ce fut le tour de Ndèye Oury « Adja » Camara, une femme âgée de trente et un ans. Elle était soupçonnée de meurtre et a été arrêtée avec son mari et son frère. « Tous trois ont été conduits au commissariat central de Dakar et, deux jours après cette arrestation, Adja Camara est décédée dans sa cellule », peut-on lire dans le rapport. Le certificat d’autopsie d’Adja Camara faisait état, lui aussi, d’une « mort par asphyxie mécanique – pendaison probable ». Un des parents, détenu dans une cellule voisine de la sienne, a confié à Amnesty International en mai 2010 que, selon lui, Adja Camara n’avait pas pu se pendre toute seule.

Une justice complice et répressive

Comment réagit la justice dans ces cas de décès ? Le rapport explique que « le Parquet refuse le plus souvent d’ouvrir des enquêtes lorsque des victimes ou des avocats font état de tortures durant la garde à vue ou la détention préventive, ce qui est contraire à l’article 12 de la Convention contre la torture qui prévoit que : « Tout État partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction ».

Mais ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que les aveux extorqués sous la torture sont souvent considérés par les tribunaux comme de solides pièces à conviction. Ce fut le cas à trois reprises, en 2009 et 2010, selon Amnesty International. « Ainsi, en janvier 2009, […] des détenus ont fait état, durant leur procès, de tortures et de mauvais traitements subis pendant leur garde à vue. Un de ces détenus témoigne dans le rapport : « Ils m’ont ensuite donné des décharges électriques sur les orteils, j’ai beaucoup crié, ils ont insulté ma mère ».

Il est important de souligner également la violence de la répression au Sénégal, en accord avec celle de la justice. En décembre 2008, par exemple, les forces de sécurité réprimèrent durement des manifestations qui dénonçaient les conditions de vie très difficiles des habitants de la région minière de Kédougou. Ces manifestations dégénérèrent violemment, des biens et bâtiments publics furent endommagés et incendiés. Les forces de sécurité tirèrent à balles réelles, tuant au moins une personne, Sidnna Sidibé, et faisant plusieurs blessés. Dans les jours qui suivirent, des dizaines de personnes furent interpellées et torturées. Un grand nombre se réfugia alors dans la clandestinité afin d’échapper à la vague d’arrestations lancée par les forces de sécurité. Pour justifier la mort du jeune Sidna Sidibé, le ministre de la communication de l’époque parla alors de « bousculade ».

Le silence des autorités

Que pensent donc les autorités sénégalaises de ce rapport accablant d’Amnesty international ? Les concernés ont préféré garder le silence : « Dans un souci de dialogue avec les autorités sénégalaises, Amnesty International a envoyé le présent rapport au Chef de l’État ainsi qu’au ministre de la Justice le 7 juin 2010 dans l’espoir de recueillir leurs commentaires. […] L’organisation n’a reçu aucune réponse des autorités en dépit de requêtes réitérées. Amnesty International regrette que le gouvernement sénégalais n’ait pas saisi cette occasion pour répondre aux graves préoccupations exposées dans le présent rapport ».

Ainsi, à l’instar des familles de Dominique Lopy, d’Alioune Badara Diop et d’Adja Camara, nous attendons une réponse.

Mustapha Barry

SR : Noemi Carrique et Camille Dumas