Comment interprétez-vous le report de la date des élections de l’assemblée constituante en Tunisie ?
Une révolution, contrairement à ce que pensent les gens, n’est pas forcément quelque chose de brutal, de violent, de sanglant. C’est un bouleversement, un processus, et en général, d’un point de vue historique, un processus assez long, puisque l’on passe d’une situation donnée pour aller vers une autre. Cependant, ce cheminement est marqué par des hésitations, des affrontements, des retours en arrière etc. Les débats autour de la date des élections de l’Assemblée Constituante reflètent l’existence de différents rapports de force en Tunisie. Nous n’en sommes qu’au début du commencement.
Quelle est la charge symbolique de l’élection de l’assemblée constituante ?
Au-delà d’une approche juridique, je pense qu’il faut aussi voir les débats autour de l’assemblée constituante en adoptant une perspective socio-historique. En effet, une assemblée constituante est bien plus qu’une assemblée élue au suffrage universel pour redéfinir des institutions dont on considère qu’elles ne représentent plus la volonté des citoyens. Il s’agit d’un mouvement qui marque la volonté des citoyens de se réapproprier leur bien commun, la vie politique, à travers la souveraineté populaire. De ce point de vue, je pense qu’il y a des parallèles évidents entre la constituante tunisienne et d’autres constituantes. Ce genre de situations est toujours marqué par l’envie de reconstruire quelque chose et de marquer un progrès démocratique et social, mais les forces en présence doivent régulièrement s’affirmer par rapport à d’autres mouvements potentiellement antagonistes. Comme toujours dans l’histoire, nous assisterons à l’affrontement de ces deux tendances en Tunisie. Il appartient au peuple tunisien de relever ce défi.
Comment réagissez-vous face à la décision de rendre inéligible les responsables du gouvernement du RCD qui ont servi sous Ben Ali ?
Toute mesure visant à restreindre le corps électoral est à regarder avec prudence. On a connu ce type de mesure en France avec, par exemple, l’exil avec interdiction de retour des familles royales. Simplement, ces mesures sont de caractère conjoncturel et destinées à montrer que l’on passe d’une étape à une autre. Il ne faut pas que cela devienne une mesure courante. Après tout, j’ai une tendance peut-être un peu naïve à faire confiance aux citoyens et à penser qu’ils ne vont pas voter pour ceux qui ont failli. Et ceux dont nous parlons pourraient faire le choix de bon goût de ne pas participer aux élections. Des mesures autoritaires sont parfois nécessaires, mais je ne pense pas qu’il faille les multiplier.
Quelles leçons peut tirer la France de l’expérience tunisienne de l’assemblée constituante ?
Si on en juge par les expériences historiques, la France a déjà connu 3 ou 4 constituantes (1789/90, 1848, 1875 et 1946). Cependant, ce que propose l’Association pour une Constituante [dont il est le fondateur, ndlr], c’est de créer une assemblée constituante pour la France. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première, c’est que les institutions françaises actuelles sont caractérisées par une sorte de « monarchie élective » devenue en grande partie illégitime. Pour remédier à cette crise de légitimité, je pense qu’il faut repasser par le seul corps social qui a le droit de redéfinir les institutions, à savoir le peuple : « Le pouvoir du peuple, par le peuple pour le peuple », pour reprendre les termes de nos textes fondamentaux. La deuxième raison pour laquelle je soutiens une assemblée constituante en France, c’est le constat que les citoyens ne se sentent plus citoyens. Démotivés, ils sont emprisonnés dans un vocabulaire d’impossibilité plus que d’enthousiasme. La création d’une assemblée constituante permettrait de relancer une dynamique de libération et d’affirmation de la souveraineté populaire en France.
Il semblerait par ailleurs que de plus en plus de pays se dotent de constituantes. Cette idée est en passe de devenir à la mode : il y en a eu à Genève (2008), en Bolivie (2008), en Islande (2010), en Tunisie à présent… C’est un mot d’ordre qui tend à devenir universel et c’est selon moi une excellente chose.
+ LIEN VERS LE SITE : http://www.pouruneconstituante.fr/
Propos recueillis par Hélène Pfeil