Alors que le monde s’indigne devant les massacres en Syrie, les fosses communes que l’on découvre avec horreur, Bachar Al-Assad vient de s’offrir une « fête nationale » en drainant une foule autour d’un drapeau syrien long de 2 300 mètres et qui aurait couté au bas mot 20 000 dollars, une démesure à la mesure d’un homme sans limites.
Un désastre sous silence ?
Devant l’ampleur du désastre en Syrie et la discrétion de la réponse internationale, l’opinion internationale fait part de son indignation . En attendant, les chiffres sont là, les images aussi, et s’il est difficile de comprendre le scénario syrien, il y a la crainte d’assister à un nouveau crime contre l’humanité. Depuis le 15 mars, début des revendications, quelques réactions timides ont été émises; que ce soit en Occident ou dans le monde arabe, appelant le président syrien à cesser de réprimer les manifestants et d’engager des réformes, mais sans réelles sanctions, sans plan de sortie de crise et sans engagement ni responsabilité politique.
Ammar Qurabi, Président de l’Organisation des Droits de l’Homme en Syrie, était à Paris la semaine dernière pour témoigner de ce qui se passe dans le pays, pour rappeler que oui, en Syrie on torture des enfants, on viole des femmes, on enlève des gens parce qu’ils ont osé, après 40 ans de dictature, demander la liberté, la dignité et la justice.
L’organisation des droits de l’homme en Syrie a essayé de se constituer légalement en 2006, ce qui a été refusé par l’état syrien. Les responsable de l’organisation se sont alors tournés vers la justice afin qu’une autorisation leur soit octroyée, autorisation refusée à plusieurs reprises après cinq années d’un long procès que l’organisation a perdu. Aujourd’hui, les responsables de l’association dont le président A.Qurabi sont victimes de persécutions et d’arrestations pour activité illégale. A.Qurabi résidait en Syrie depuis le début de la révolution syrienne, et, lors d’un voyage en Égypte afin de participer à une réunion de l’organisation arabe des droits de l’homme, il découvre dans la presse égyptienne et syrienne qu’il était accusé de collaborer avec des groupes armées à qui il aurait fourni des armes, et que lui-même et ces prétendus seraient à l’origine du soulèvement syrien. Il est désormais recherché et il ne peut plus rentrer dans son pays.
Cette interdiction de rentrer en Syrie lui a permis de redoubler d’efficacité au Caire du fait de la liberté de parole et de mouvement dont il jouit dorénavant, il s’est donc fait le porte-parole de tous les militants syriens qui essayent de faire entendre leur voix.
Pour comprendre ce qui se passe en Syrie, A.Qurabi a insisté pour rappeler ce qu’était la Syrie avant la révolution, avant et après le coup d’État de 1963 et l’arrivée au pouvoir du parti Baath : « Au lendemain de l’indépendance de la Syrie, en 1947, il y avait une société civile forte, une presse libre, il y avait une vraie vie politique avec un parlement élu démocratiquement et des partis politiques. » Mais depuis 1963 « il n’a y a plus de séparation des pouvoirs, le président s’est accaparé tous les pouvoirs, l’état d’urgence dure depuis 48 ans, les associations sont interdites, il n’y a pas de partis politiques, pas de syndicats, pas d’élections, prévalence de la peine de mort, banalisation et généralisation de la tortures dans les prisons et les postes de police, des milliers de personnes sont privées de leur droits civiques, il y a 17milles disparus dont on ignore tout, 10 milles personnes sont interdites de voyager, il y a 120 milles exilés, l’économie apparient exclusivement au cousin du président Rami Makhlouf, les femmes sont largement discriminées, les minorité sont persécutées, l’éducation est politisées et beaucoup d’enfants sont réduits à la mendicité.» C’est cette Syrie là qui a poussé le peuple syrien à dire stop, à ne plus avoir peur, à espérer réaliser ce que les Tunisiens et les Égyptiens ont réalisé. Ils ne pensaient sûrement pas que le tribut à payer allait être beaucoup plus lourd, bien au-delà de ce à quoi il pouvait s’attendre de la part d’un pouvoir qui n’a pas fini de les réprimer.
En effet, les tentatives de soulèvement se sont multipliées depuis l’arrivée aux affaires de Bachar Al-Assad en 2000 mais le pouvoir a su les réduire au silence à coup d’arrestations et d’emprisonnements : « il y a eu Le Printemps de Damas en 2001, la révolte kurde à Al-Qamishli en 2004, la déclaration de Beyrouth-Damas en 2006-2007 et en 2008 la déclaration de Damas. »
« Le nombre de morts s’élève à 1 300 corps identifiés »
Selon A.Qurabi « l’espoir est revenu en Syrie après les révolutions tunisienne et égyptienne » comme dans plusieurs pays arabes, on s’est senti pousser des ailes, les syriens ont découvert que la dictature n’était pas une fatalité, qu’elle n’était pas irréversible et c’est ainsi que l’on a pris la décision de manifester. « Le premier rassemblement a eu lieu le 16 février devant le ministère de l’intérieur, on a fait avorter ce soulèvement en arrêtant 36 personnes. Dans la même période des enfants à Deraa, plus de vingt dont l’âge ne dépasse pas 13 ans, ont repris sur les murs de la ville des slogans qu’ils avaient vu à la télévision « ashaab yourid isqat annidam » le peuple veut la chute du régime. Les enfants ont été arrêté à leur tour, torturés, nous avons des photos insoutenables où on voit leurs ongles arrachés, des marques de brûlures de cigarette sur leur corps, en plus du refus catégorique de rendre les enfants à leurs familles. »
Face à l’impossibilité de récupérer leurs enfants, les familles ont pris la décision de se rassembler et de manifester à Deraa. La réponse à cette initiative –d’après le témoignage certifié d’un député à l’assemblé nationale_ a été de tirer avec des balles réelles sur les manifestants en tuant quatre personnes, avec interdiction aux ambulances de porter secours aux blessés. Le deuxième jour, lors des obsèques des personnes tuées, les forces de sécurité ont tiré sur la population en tuant 12 personnes, ce qui a véritablement déclenché la révolte des habitants de Deraa. La révolte s’est étendu de Deraa à Rif Dimashq, Damas, Lattaquié et Banias, Homs, Hama, Idlib, Rif Idlib, Deir Azzour jusqu’au frontières irakiennes et enfin dans les dernières semaines à la ville d’Alep. Cette répression s’est accompagnée d’une autre toute aussi violente contre les journalistes. Nous avons des listes de dizaines de journalistes arrêtés. Le nombre de mort s’élève à 1 300 corps identifiés, mais le nombre réel doit être largement supérieur. Les arrestations s’élèvent à 15 000 personnes, et comme il n’y a pas de places dans les prisons, les gens détenus dans les écoles, dans les administrations, et dans les stades.
Après trois mois de manifestations, le président s’est exprimé une seule fois dans un discours télévisé devant l’assemblée populaire. Il a annoncé des réformes mais qui n’ont pas été suivies de faits. Bien au contraire, le nombre de morts après la levée de l’état d’urgence a doublé, voir triplé. Par ailleurs, la répression s’est faite plus féroce, puisque des chars ont pris plusieurs villes en otage ; des maisons ont été bombardées, l’électricité et tous les moyens de communication ont été coupés, les populations ont été affamées au point de ne plus pouvoir se procurer du lait pour bébé.
La situation est allée en s’empirant après que des hélicoptères aient tiré sur les manifestants à Homs, Rastan et Talbisseh, les obligeants ainsi à fuir vers les frontières. On compte 7 000 (NDLR : 10 000 selon Al-Jazeera) réfugiés en Turquie, 5 000 réfugiés au Liban et des milliers de réfugiés en Jordanie. On a découvert des fosses communes à Deraa, et 58 cadavres abandonnés dans des fermes.
Depuis le début des événements, 50 enfants ont été torturés à mort, ont témoigné des soldats de l’armée. Je voudrais rappeler le cas de Hmza Al-Khatib, arrête le 25 avril et dont le cadavre a été rendu à ses parents au début du mois de mai. Ce garçon de 13 ans a été torturé, on lui a coupé les membres et les organes génitaux et on lui a tiré dessus.
Pour faire avorter le mouvement révolutionnaire syrien, le président a joué la carte de la guerre civile entre les différentes communautés religieuses. Par la suite, il a tenté de détourner les raisons de la crise syrienne en jouant sur les risques de conflits extérieurs que ce soit avec le Liban, avec la Turquie ou avec Israël. »
Devant cet état des choses, A.Qurabi a réitéré son appel à la communauté internationale, il a appelé à la responsabilité des états quant à l’urgence de prise de position claire et qui puisse arrêter le bain de sang en Syrie. Il s’est arrêté sur la position de la France qui s’est distinguée en condamnant Bachar Al-Assad assez rapidement. Toutefois, A.Qurabi a rappelé que la France sous Chirac et sous Sarkozy a toujours appuyé les promesses de réformes depuis 2000, mais rien n’a été fait, ce qui a déçu la France et l’a poussée vraisemblablement à prendre position.
Ammar Qurabi a insisté sur le refus du peuple syrien et de l’opposition syrienne quant à une intervention militaire et donc d’un scénario libyen. Il a appelé à faire appliquer la convention de Rome de 2002 et à cet effet que les dirigeants syriens soient arrêtés et traduits devant la cour pénale internationale « aucune intervention en dehors du cadre juridique ne serait acceptée. Et si le conseil de sécurité ne traduit pas les dirigeants syriens devant la cour pénale internationale, nous adresserons une plainte directement à monsieur Ocampo (NDLR : le procureur de la Cour Pénale Internationale) afin de prendre les mesures nécessaires. Pour ce faire, nous nous appuierons sur le soutien de 700 organisations internationales qui se sont déjà ralliées à notre cause. En attendant les Syriens ne retourneront plus jamais en arrière, ils ne céderont rien et n’accepteront aucun compromis ni dialogue avec un régime noyé dans le sang. »
Meriem Khelifi
Photo : Ammar Ourabi (Cape)