Le réseau social Facebook constitue aujourd’hui un véritable moyen de communication en Tunisie. Tous les Tunisiens louent sa capacité fédératrice, d’une importance stratégique capitale avant et pendant la Révolution. Un blogueur activiste, souhaitant garder l’anonymat, confie à Opinion Internationale ses impressions sur l’impact de Facebook en Tunisie aujourd’hui.
Facebook, seule fenêtre d’ouverture dans l’ancien régime
Sur une population de 10 millions d’habitants, la Tunisie compte 2,5 millions de comptes Facebook. Avant la révolution il n’y en avait que 800 000 ! Le phénomène Facebook a très vite fait partie du quotidien de ceux qui étaient habitué à naviguer sur la toile, mais aussi des internautes plus occasionnels. Avant la révolution, le pays connaissait la censure médiatique et de graves restrictions à la liberté d’expression. L’information libre n’était pas au rendez-vous, des sites internet de partage de vidéos tels que YouTube Dailymotion étaient interdits d’accès. Facebook était donc le seul élément qui permettait d’être rattaché au monde extérieur et de pouvoir échanger presque librement. Dès la mi-juillet 2010, Facebook s’est rendu compte que le gouvernement tunisien piratait des comptes et en supprimait d’autres (des faits rapportés et démontrés par l’activiste Slim Amamou) afin de contenir un « probable » mouvement de révolte, ou en faire avorter certains comme à Gafsa en 2008. Lorsque le mouvement de révolte a commencé, Facebook a permis de véhiculer l’information à travers des messages, des chats, des pages, des vidéos et des images partagées. Ainsi, la Révolution tunisienne, a permis de comprendre l’importance des réseaux sociaux comme étant l’outil indispensable de l’opposant dans un pays à l’information verrouillée.
Facebook toujours mobilisateur ?
Près de cinq mois après la fuite de Ben Ali, Facebook reste très utilisé par les internautes tunisiens, mais son rôle fédérateur et sa capacité à ouvrir de nouvelles perspectives sont-ils toujours d’actualité ? Facebook est une plateforme qui permet la liberté d’expression, l’échange et la connaissance. Pourtant, quand on navigue un peu entre les différents débats, les propos haineux surgissent rapidement, et empêchent un réel échange. Notre blogueur activiste s‘exprime « au début, quand je constatais des « échanges haineux » sur Facebook, je me disais que c’était normal, après un demi siècle de terreur, le Tunisien s’exprime enfin et on peut mettre ça sur le dos de la maladresse… Mais aujourd’hui, six mois après la révolution j’ai compris que Facebook sera toujours un endroit ou les gens peuvent s’insulter sans crainte… »
Tout cela amène à s’interroger sur la valeur de Facebook comme vecteur de propos constructifs et comme acteur majeur de la vie citoyenne tunisienne. Qui sont ces gens qui se permettent de juger, dénigrer, salir sans même se poser de questions ? Où est passé le climat de tolérance, de respect, d’amour et de joie qui régnait dans les rues et sur Facebook où tous se réjouissaient d’avoir accompli un changement spectaculaire grâce a la force de leur propos et donc de leur voix ?
Facebook, censure et liberté
La liberté d’expression est aujourd’hui le trophée des Tunisiens, elle est brandie comme un véritable symbole. A la question « Qu’est ce qui a changé aujourd’hui ? », la réponse des Tunisiens est sans appel : « aujourd’hui on peut dire ce qu’on pense. » Cependant entre diffamation et liberté d’expression, la frontière est mince. Au cours du mois de mai, l’AIT (l’Agence tunisienne d’internet) a censuré quatre pages Facebook suite à une injonction de l’armée qui a estimé que les quatre internautes incriminés avaient nuit a la réputation de l’autorité militaire, et avaient décrédibilisé son action de sorte que les citoyens n’aient plus confiance. La mesure a consterné les blogueurs et activistes tunisiens qui considère que la censure revient en force. Un problème plus épineux qu’il y paraît : les quatre auteurs concernés avaient en effet appelé à de nombreuses reprises à la violence et à l’anarchie sur leurs pages Facebook. Cette nouvelle liberté d’expression pose donc problème et s’avère être très fragile.
Comment la sphère politique réagit-elle face au phénomène Facebook ?
L’extraordinaire présence de la jeunesse tunisienne sur le web ne semble pas alarmer certains partis qui s’avèrent être peu présents sur la toile. Pour d’autres, comme le parti Ennahda ou le PDP qui a commencé sa campagne très tôt, le message est bien passé. Ils ont compris l’importance des réseaux sociaux dans leur capacité à transmettre une information ou à influencer les jeunes. Ils utilisent Facebook, Twitter, et créent des sites web. Notre blogueur anonyme pense que « chacun comme, il le peut, essaye de le faire à bon escient comme par exemple, pour organiser leurs évènements (meetings…) ou pour poster les vidéos de leurs évènements, essayer de recruter des adhérents, créer des sections… » Le mouvement Ennahda rassemble quant à lui sur sa page Facebook plus de 50 000 personnes, un chiffre considérable et inégalé dans le pays.
L’évolution de Facebook en Tunisie
Avant la Révolution : un espace ou les jeunes étaient majoritaires, et ou les adultes de plus de 45 ans retrouvaient leurs amis d’enfance qu’ils avaient perdus de vue.
Pendant la révolution : Facebook était le seul média ‘’tunisien’’ qui véhiculait une information réelle. Selon notre blogueur anonyme, « Facebook nous a aidé à compter nos morts. »
Le Troisième Facebook a duré environ trois semaines après le 14 janvier 2011. « Il nous aidé à faire face aux 3 000 hommes de la garde présidentielle qui essayait de semer le trouble en Tunisie, il tiraient sur tout ce qui bouge (dans la rue, les boulangeries, les cafés…), et grâce à Facebook et aux témoignages des Tunisiens, on a réussi à s’en sortir… » confie l’activiste.
Le quatrième facebook, l’actuel, « est un endroit de propagande, d’appel à la violence et où l’argent à fait son apparition c’est un élément contre-révolutionnaire. » Le Facebook d’aujourd’hui est un réseau où les rumeurs et la diffamation se transforment en buzz, « où un parti extrémiste achète les pages Facebook tunisiennes qui dépassent un certain nombre de « Likers », c’est pourquoi aujourd’hui, sur Facebook, on voit une page qui est normalement dédiée au football qui fait des appels à la violence et qui encourage la haine… » Ainsi, après avoir uni les Tunisiens de toute classe sociale et de toutes régions, Facebook serait aujourd’hui un facteur de division.
Sophie Alexandra Aïachi