A la veille de la Gay Pride, Opinion Internationale revient sur l’incroyable canular d’Amina, prétendue blogueuse de Damas, homosexuelle, qui tenait en haleine la blogosphère sur ces récits sur la Syrie en crise. Jusqu’à la découverte de la supercherie…
L’enlèvement d’une blogueuse lesbienne syrienne a soulevé une vague de soutien il y a quelques semaines; des doutes planaient pourtant sur l’existence d’Amina, et pour cause: la blogueuse était en fait un Américain de 40 ans.
Une blogueuse, ou Internet comme force démocratique
Cette blogueuse de 35 ans, américano-syrienne et lesbienne, a créée il y a quelques mois un blog, qui s’est rapidement fait un nom sur Internet et dans les médias. Poèmes, écriture soignée et dramatique, récits et réflexions sur la Syrie d’aujourd’hui, ses pratiques politiques, religieuses, et sa révolte. Un véritable symbole du rôle d’Internet dans le combat pour la liberté d’expression. Citée à plusieurs reprises dans les médias internationaux, et bien connue des internautes, l’annonce de sa disparition a soulevé une vague de soutien, que ce soit des associations pour la défense des droits de l’homme ou par de nombreux blogueurs ainsi que sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, 15 000 personnes ont été rassemblées en l’espace de quelques heures par le groupe « Libérez Amina ».
Pourtant, des doutes s’élevaient déjà avant sa disparition, notamment dans la communauté gay de Damas, où personne ne semblait la connaître. Sa photo, publiée par le journal anglais The Guardian, était en fait celle d’une londonienne appelée Jelena Lecic. Ici et là, d’autres détails sont apparus, mettant au jour de sérieuses contradictions : aucune trace d’elle, ni de sa famille, dans les archives publiques américaines, aucun journaliste n’a pu lui parler, et personne ne semblait l’avoir déjà rencontrée, y compris une petite amie canadienne avec qui elle correspondait très régulièrement depuis plusieurs mois. Observation de photos prises en Syrie par Amina, lecture de ses messages dans les « newsgroups » ou encore à travers ses mails, témoignage d’une responsable de communauté gay en ligne (en fait, elle aussi, un homme (lien en anglais)), qui déclarait que le compte d’Amina était lié à une adresse IP écossaise… Autant d’informations que la blogueuse Liz Henry, le journaliste Andy Carvin, de la radio publique américaine (NPR), ou encore le site web Electronic Intifada ont dû recouper afin de trouver la véritable identité de cette fameuse blogueuse, qui n’était autre qu’un Américain de 40 ans, Tom MacMaster, étudiant en Ecosse.
Un « hoax » et ses conséquences
Tom MacMaster, passionné par le Moyen-Orient, s’est excusé, par un message sur le blog d’Amina, mais aussi par une vidéo prise lors d’un contact via Skype avec le journal britannique The Guardian, où il dévoile plus amplement ses motivations et ses regrets. Car si l’idée de faire parler et de promouvoir une cause via une identité empruntée ou fabriquée peut être attirante, les conséquences de ce canular ont largement dépassé les intentions de son auteur. Visant à l’origine à offrir un point de vue différent sur le Moyen-Orient, et plus particulièrement la Syrie et la Palestine, la création d’Amina et de son blog se révèlent rapidement être plus néfastes qu’un acte militant plus conventionnel. Suite à ces évènements, l’agence de presse officielle syrienne, Sana, s’est emparée de l’affaire ; la fausse blogueuse serait la preuve que la blogosphère « entretient une fiction permanente et des mensonges sur les soi-disant enlèvements de blogueurs et d’activistes par les autorités syriennes », alors que plusieurs médias et associations ont signalé des enlèvements avérés de journalistes, de blogueurs et de militants depuis le début des troubles, au début de l’année.
L’idée que la Syrie, et plus généralement les pays arabes en révolte, sont la cible d’un complot venu de l’étranger est répandue dans une partie de la population. Cette affaire ne manquera pas de susciter des réactions dans l’opinion syrienne vis-à-vis des révolutionnaires, au moment même où l’armée entre en conflit ouvert en reprenant par la force la ville de Jisr-al-Shughour, provoquant un afflux de près de 5 000 personnes à la frontière turque, selon Al Jazeera. Le blogueur Daniel Nasser, du site GayMiddleEast, estime que cette affaire a « plongé la communauté LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres), déjà petite et fragile en Syrie, dans un jeu politique qu’elle ne peut assumer ». Il ajoute que cela conforte encore l’opinion syrienne dans son idée que les homosexuels sont des pécheurs, menteurs et malhonnêtes, et il craint que les autorités ajoutent les communautés gays à la liste des fauteurs de troubles. Les conséquences sont donc multiples et variées : pour les blogueurs et la communauté LGBT, elles risquent d’être directes, par des attaques physiques ou en ligne. Dans l’opinion, internationale comme nationale, l’affaire déclenche la suspicion. Si Internet peut être un formidable outil de promotion de la démocratie et des droits de l’homme, il peut également se révéler dangereux et placer des militants et des innocents dans une position très inconfortable. Plus que jamais, Internet doit être considéré comme une arme à double tranchant.
Nicolas Duarte