Ashoka Changemakers Week : Rencontres avec des entrepreneurs sociaux du monde entier
Ce sont plus de 1000 acteurs de l’entrepreneuriat social qui étaient réunis les 21 et 22 juin sur le campus de HEC à Jouy en Josas, afin de partager leurs expériences et mutualiser les bonnes pratiques afin d’avancer dans la voie du changement social en Europe. Portraits de quelques-uns de ces entrepreneurs du XXIème siècle.
Mary Gordon, Roots of Empathy, Canada
« Je suis la Présidente et fondatrice de Roots of Empathy et fellow* d’Ashoka depuis 2002. Mon idée pour changer le monde est de développer l’empathie entre les enfants, qui représentent l’avenir de notre monde. Nous pouvons commencer à résoudre les conflits si l’on est en mesure de sentir ce que ressent l’autre, de comprendre comment fonctionne chacun et de faire tomber les barrières qui nous séparent les uns des autres. Nous travaillons auprès des écoles et notre méthodologie est assez originale. L’idée est de faire venir un bébé et son parent au sein d’une classe régulièrement dans l’année afin que les élèves expriment leurs émotions et leurs sentiments par rapport à la vulnérabilité du corps du bébé. Ainsi, chacun apprend à considérer l’autre à travers les émotions qu’il a exprimées. Quand les élèves partagent leurs vulnérabilités, ils trouvent leur propre humanité en eux-mêmes. Les recherches montrent que ce programme permet de faire progresser l’empathie et de diminuer considérablement les comportements agressifs. Et chaque fois qu’on est en mesure de diminuer le niveau d’agressivité d’une société, on protège la santé mentale et physique de ses individus. »
Philippe Dandeville, Aurore, France
« Je suis entrepreneur social, je viens de Normandie et j’ai remporté il y a quelques jours le concours « Impact »**, organisé par Ashoka, dans le cadre d’un concours autour de l’habitat. Je développe ce qu’on appelle des « résidences hôtelières à vocation sociale ». Le principe est d’accueillir à la fois des gens qui n’ont pas de logement, des publics d’entreprise qui sont en mobilité géographique et des touristes de passage. Tout ça avec une même prestation, c’est-à-dire des prestations para-hôtelières, puisque c’est un hôtel qui a été transformé en résidence sociale. On a gardé le personnel hôtelier. On y a apporté des prestations hôtelières à des coûts extrêmement variables, puisqu’ils s’étalent de 23 à 47 euros, c’est-à-dire le cours du marché pour les gens de passage, pour ne pas faire de concurrence à l’hôtellerie traditionnelle avec une même prestation pour l’ensemble des publics. Nous sommes la première résidence hôtelière de ce type et j’ai remporté ce concours précisément sur le potentiel de ce produit et la possibilité de l’essaimer. En effet aujourd’hui, pour mieux héberger les gens et faire de l’économie, notamment du côté de l’Etat, il est question de 5000 places de cette nature et on en est pour l’instant qu’à 400. »
Ali Nasuh Mahruki, Akut, Turquie
« Je viens d’Istanbul. Je suis guide de montagne professionnel. En 94, après la mort tragique de deux jeunes guides de montagne turcs, on a décidé de monter une équipe volontaire de secours social dont je suis le Président et fondateur. Depuis, nous avons fait plus de 900 interventions en 16 ans alors qu’en Turquie, il n’y avait aucun secours de ce type avant nous. Nous avons secouru des dizaines de milliers de personnes à ce jour, dans les tremblements de terre, inondations, feux de forêts, accidents de la route… C’est une ONG basée sur le volontariat. A l’origine, nous étions 7 fondateurs et maintenant, nous avons 20 branches à travers toute la Turquie et plusieurs centaines de volontaires. Nous sommes devenus fellow d’Ashoka après le terrible tremblement de terre en 99 en Turquie, où 18 000 personnes sont mortes. Nous avons fait un gros travail à cette époque pour sauver 220 personnes coincées dans les ruines et distribuer le matériel de premier secours. En tant que fellow d’Ashoka, nous avons pu nous développer afin de mener notre action à travers toute la Turquie. »
Claire Escriva, Atelier Méditerranéen de l’Environnement, France
« Je suis cofondatrice et directrice d’une organisation de sensibilisation et d’éducation à l’environnement qui a la particularité de s’adresser à un public très jeune que sont les enfants de crèche. Cela nous a permis de développer des méthodes qui vont à l’essentiel, pragmatiques et qui par là même nous ont permis de développer des programmes d’éducation pour un public plus grand : enfants de maternelle, d’école primaire, secondaire, … On a créé un programme « écolo-crèche », de management environnemental dédié aux structures de la petite enfance, très engageant, qui fait participer l’ensemble des usagers de la crèche, les professionnels, les enfants, les familles mais aussi les institutions qui sont autour de la crèche. Notre idée pour changer le monde est de faire en sorte que le développement durable soit une évidence pour tous. Maintenant que le projet est en place, la difficulté est d’arriver à changer d’échelle. Ce qu’on arrive à faire auprès de 20, 30 crèches, il faut qu’on arrive à le reproduire sur plusieurs milliers. Nous avons les programmes, les savoir-faire, et Ashoka nous aide à démultiplier notre action. »
Docteur Nicolas Sireau, SolarAid et Aku, Royaume-Uni
« Je suis un fellow d’Ashoka et je représente deux organisations, la première SolarAid, qui fait de l’énergie solaire en Afrique et l’autre Aku, qui travaille sur une maladie rare. Dans l’énergie solaire, on est en train de monter un réseau d’éco-franchises, d’entrepreneurs en Afrique pour vendre des lampes solaires afin de remplacer les lampes à kérosène et on fait également des installations de panneaux solaires sur des écoles, des cliniques et des hôpitaux. Pour les maladies rares, on est en train de s’attaquer à la première maladie génétique qui a été découverte il y a plus de 100 ans, l’Alcaptonurie, pour laquelle il n’y a actuellement aucun remède et on est en train de faire des études cliniques pour développer des thérapies géniques qui pourraient être utilisées dans le traitement d’autres maladies rares. »
« Je suis une fellow d’Ashoka. Notre organisation travaille avec les enfants et la jeunesse pour son autonomisation. Notre nom « Shaishav » veut dire « changer les règles ». Nous nous concentrons sur la communauté en rassemblant les enfants dans un esprit d’égalité et d’unité. Nous voulons qu’ils deviennent les propres acteurs du changement et qu’ils soient en mesure de défendre eux mêmes leurs droits. »
Pierre-Emmanuel Grange, MicroDon, France
« Je suis le fondateur de MicroDon, une entreprise dont l’objectif est de mettre en place des opportunités de générosité dans les transactions du quotidien. C’est ce qu’on appelle la « générosité embarquée ». L’idée est de greffer une opportunité de générosité sur un bulletin de paye, un ticket de caisse de supermarché, une facture et de permettre aux citoyens de donner un peu d’argent via ces différents supports. On a mis en place le premier dispositif en France de don sur salaire : ça s’appelle « l’arrondi solidaire ». Nous avons développé ce projet avec un partenaire de paye, la société ADP-GSI, un gros prestataire de paye, qui traite en France la paye d’un actif sur dix dans 9000 entreprises. L’idée est de proposer aux entreprises qui sont clientes de ce système d’inciter leurs salariés à reverser quelques centimes ou quelques euros de leur net à payer au profit d’une ONG. L’entreprise choisit d’adhérer au principe de don sur salaire puis sélectionne un certain nombre d’associations. Le salarié pourra choisir parmi cette liste l’association pour laquelle il donnera. Aujourd‘hui, ce type de générosité existe dans de nombreux pays, en particulier en Angleterre où le don sur salaire permet chaque année de récolter 100 millions de Livres sterlings. En France, on a mis le premier dispositif en place et on espère convaincre de nouvelles entreprises de se joindre au projet. »
Docteur Sakena Yacoobi, Afghan institute of Learning, Afghanistan
« Nous travaillons comme ONG en Afghanistan auprès des femmes et des enfants, dans les domaines de l’éducation et de la santé. Je suis fellow d’Ashoka et c’est la raison pour laquelle je suis ici. Notre travail est de favoriser l’autonomie des femmes à travers l’éducation. Pendant trente ans de guerre en Afghanistan, les femmes ont été dévastées. Leurs vies sont misérables et surtout elles ne sont pas éduquées. Environ 80% des femmes ne savent ni lire ni écrire. Le meilleur moyen de favoriser leur autonomie est de leur donner accès à l’éducation. Une fois éduquées, les femmes prennent également plus facilement conscience de leur santé. L’Afghanistan est l’un des pays au monde où la mortalité infantile est la plus élevée. L’éducation et la santé sont donc intimement liés. Améliorer l’éducation des femmes, c’est améliorer leur santé. Les femmes en Afghanistan sont très fortes. Un petit effort pour améliorer leur quotidien peut avoir des conséquences durables pour qu’elles prennent réellement conscience de leurs droits et luttent pour les obtenir. Nous insistons énormément sur le fait que les femmes doivent lutter pour leurs droits. En tant que femmes, vous avez droit à l’éducation, à la santé, à la propriété, … Cela fait 20 ans que je travaille auprès des femmes en Afghanistan, même durant la période des talibans, et aujourd’hui, je peux voir à quel point la vie des femmes s’améliore. La sécurité reste le problème principal en Afghanistan, nous ne sommes pas en mesure de nous déplacer comme nous le souhaitons, mais nous travaillons dans 7 provinces du pays. Nous sommes une des plus grandes organisations féministes en Afghanistan et nous touchons près de 350 000 femmes et enfants chaque année. Nous avons ainsi touchés 8,5 millions de personnes depuis notre création, grâce notamment aux 480 personnes qui travaillent avec nous, parmi lesquelles beaucoup de femmes qui ont bénéficié de notre travail auparavant. Nous voulons la paix en Afghanistan et le meilleur moyen est d’éduquer les gens : laissez les armes et prenez une plume ! »
* fellow : (littéralement « camarade » en anglais) désigne les entrepreneurs sociaux innovants soutenus par Ashoka.
** Concours Impact : concours organisé par Ashoka pour maximiser l’impact social potentiel d’un projet.
Propos recueillis par Edouard Mouette