A l’occasion de la Journée internationale de la femme le 8 mars dernier, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton et la vice-présidente de la Commission européenne Viviane Reding ont salué le « rôle crucial » joué par les femmes dans les révolutions en Tunisie et en Égypte, soulignant leur engagement et exprimant l’espoir que ce rôle soit « pleinement pris en compte dans les changements institutionnels » à venir, mettant les femmes « au cœur des discussions sur le nouvel ordre qui sera mis en place ». En Tunisie comme dans d’autres pays arabes, les femmes se sont révélées de véritables moteurs du changement. Cependant, après avoir été des actrices de la révolution, quel rôle jouent-elles dans la période de transition pré-électorale ?
Une liberté originelle de façade
A l’aune d’autres pays tels l’Égypte, les femmes tunisiennes bénéficient d’une certaine longueur d’avance en raison de leur statut, exceptionnel dans le monde musulman, détaillé par le Code du Statut Personnel de 1956. Ce dernier, basé sur une lecture progressiste du Coran proposée par Habib Bourguiba et les oulémas modernes de la Tunisie, a instauré l’égalité entre l’homme et la femme dans un certain nombre de domaines, abolissant notamment la polygamie, la tutelle du père pour les filles majeures, le devoir d’obéissance dans le mariage, et l’inégalité homme-femme en matière de divorce. Au niveau du droit international, en revanche, la Tunisie a émis des réserves considérables à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, pourtant ratifiée en 1985. En plus d’une réserve d’ordre général sur la conformité de la Convention à la religion musulmane, les réserves formulées concernent l’égalité dans le droit successoral et le droit d’acquisition, de gestion et d’administration des biens, la liberté de circulation, et les rapports familiaux et conjugaux (articles 15 et 16 concernant le mariage, le divorce, le choix de résidence, la transmission du nom de famille). Si le Conseil des ministres du premier gouvernement de transition avait annoncé, le 1er février dernier, la mise à l’étude de la levée de ces réserves, cette décision est restée sans suite. Entre temps, le gouvernement du Maroc a, au mois de mai, pris l’initiative de lever toutes les réserves formulées par le pays à ladite Convention. Pour Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, « cette avancée majeure pour le respect des droits de femmes au Maroc doit servir d’exemple à la Tunisie et la pousser à poursuivre ses efforts dans ce domaine ».
Les élections, enjeu majeur de l’émergence des femmes
Fait marquant de la période transitionnelle, le principe de parité hommes-femmes a été adopté à l’unanimité par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Malgré cela, Maître Fathia Baccouche, avocate, rappelle que « tout reste à faire au niveau de son application ». En effet, le mode de scrutin choisi étant un mode de scrutin proportionnel avec les plus forts restes, « les partis devront s’engager à avoir autant de listes qui commencent avec un homme qu’avec une femme. Autrement, nous risquons de voir les têtes de listes de chaque parti l’emporter, et s’il n’y a pas de femmes en tête de liste, la parité sera de facto réduite à zéro ». Si les femmes restent sous-représentées dans les médias, notamment sur les chaînes télévisées, qui « ont besoin d’être remises à niveau », selon Me Baccouche, les femmes n’en sont pas moins très actives et jouent un rôle crucial en matière de formation démocratique. L’association Engagement Citoyen par exemple, créée au lendemain de la révolution tunisienne par cinq femmes tunisiennes, s’est donné comme objectif de répondre au besoin de formation ressenti auprès de la population tunisienne, et en particulier auprès des femmes, aux enjeux de cette phase de démocratisation du pays. Afin d’encourager l’activisme, l’organisation et la conscience politique des femmes sur la durée, Engagement Citoyen effectue donc ce que Me Baccouche appelle « un travail d’alphabétisation politique » afin d’expliquer aux jeunes et aux femmes en particulier l’importance du vote et les ressorts des mécanismes institutionnels qui sont en train de se mettre en place. Outre ces campagnes d’initiation aux notions clés d’une démocratie pluraliste, l’association se prépare à lancer une campagne radio, internet et TV, afin de marteler son message et de sensibiliser un maximum de personnes. Comme le dit Me Baccouche, « Pour nous, 1956, ça a été la libération de la Tunisie, et 2011, la libération du Tunisien ». De la Tunisienne aussi, aurait-on envie de dire…
Hélène Pfeil