Les Sénégalais sont appelés aux urnes en février 2012 pour élire leur président de la République. Or ce vendredi 23 et le samedi 24 septembre, deux rassemblements populaires, à Dakar et Paris, ont marqué une nouvelle étape dans le bras de fer qui oppose l’actuel président de la République, Abdoulaye Wade, à la société civile et à l’opposition. Etat des lieux du conflit qui mine les fondements de la démocratie sénégalaise.
Le Président Wade, seul contre tous – ou presque – s’accroche au pouvoir et les Sénégalais n’en veulent plus.
Malgré son âge avancé, – 85 ans, malgré la réforme constitutionnelle qu’il a lui-même introduite en 2001 et limitant à deux mandats l’exercice de la magistrature suprême, malgré les tentatives avortées d’imposer son fils, Karim, une succession monarchisante, malgré les nombreuses levées de bouclier du peuple sénégalais, le président Wade veut se représenter en 2012. Et une large opinion du peuple sénégalais ne veut résolument plus d’un président qui met en péril la démocratie sénégalaise.
Manifestations à Dakar et Paris : « Wade, dégage ! »
Ce week-end, donc, le message délivré par des milliers de manifestants à Dakar et Paris s’est fait plus menaçant : « Wade, dégage ! », scandait la banderole en tête des cortèges.
Et le message principal des manifestants fut très clair : le président Wade a jusqu’à fin octobre pour annoncer qu’il ne se présentera pas à la présidentielle ou la société civile manifestera en masse quotidiennement pour exiger son départ du pouvoir. Bref, le compte-à-rebours est lancé.
A Paris, ils étaient tous là – ou représentés – sur l’esplanade du Trocadéro. Des associations de femmes, des syndicalistes, des étudiants, de nombreux avocats, les principaux partis politiques. Il y avait un candidat à la présidentielle, Maître Moussa Diop, jeune avocat au Barreau de Paris, président d’AG, Alternative Générationnelle. Monsieur Diop n’y va pas par quatre chemins : « Wade est un homme du passé et nous voulons conjuguer l’avenir. Il ne doit pas se présenter, pour des raisons d’âge, d’éthique et de politique. Les mêmes personnes gouvernent le Sénégal depuis plus de 50 ans, se recyclent et se repassent le flambeau du pouvoir par le phénomène de transhumance. Il faut que cela cesse. Nous voulons des solutions et des têtes nouvelles. »
L’opposition aussi est sous pression
C’est une partie à trois qui se joue, et non à deux : entre une opposition émiettée et un président entêté, c’est le peuple qui est en train de s’imposer et d’imposer son agenda.
Car la société civile ne veut plus attendre : déjà le 23 juin, des milliers de manifestants, en encerclant l’Assemblée nationale, avaient réussi en moins de 24 heures à faire reculer le président Wade qui voulait imposer une réforme constitutionnelle introduisant un ticket président – vice-président, ceci pour contourner l’obstacle de son grand âge et lui permettre de se maintenir encore cinq ans tout en adoubant un successeur.
Le week-end dernier, si le message unanime et rassembleur s’adressait au président Wade, on sentait bien que la société civile s’adressait aussi à l’opposition politique. Certes, une coalition informelle, Benno Siggil Sénégal, regroupe les principaux partis d’opposition. Mais leurs principaux leaders, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, arriveront-ils à s’entendre et, concrètement, l’un des deux à s’effacer ? C’est en tout cas ce qu’attend l’opinion publique : celle-ci est convaincue qu’une telle unité pourrait sceller le destin du président Wade.
A la tribune, l’un des ténors du Barreau sénégalais, Me Boukounta Diallo, a exhorté l’opposition à se rassembler sous la bannière d’un seul candidat : « si les partis politiques n’arrivent pas à désigner le plus propre et le plus crédible des candidats, que l’opposition ait le courage de constater son échec. Car la société civile fait déjà émerger de bons candidats. »
La démocratie sénégalaise en jeu
Parmi ces candidats issus de la société civile, pourquoi pas une femme présidente du Sénégal ? Et défenseure des droits humains de surcroît, dans la grande tradition sénégalaise… Le professeur Amsatou Sow Sidibé est la première femme candidate à la présidence sénégalaise : elle préside le mouvement CAR-LENEEN (Convergence des Acteurs pour la défense des valeurs Républicaines, LENEEN signifiant « rupture » en wolof). Son « Monsieur Affaires Etrangères », Maître Abdoulaye Tine, également professeur de droit international à l’université San Antonio de Dakar, est très clair : « Wade a été un excellent opposant pendant 25 ans mais un mauvais gouvernant : jamais les journalistes n’ont été autant inquiétés. Jamais Constitution n’a été autant tripatouillée. Le second mandat de Wade, depuis 2007, a reculé sur toutes les avancées qu’il avait introduites depuis 2001. »
Est-ce à la société politique – et au simple processus institutionnel – de convaincre Wade de se retirer ou au peuple sénégalais de trancher la question ? Selon Me Tine, « notre mouvement vient de la société civile : nous ne pouvons rester silencieux face aux modifications unilatérales des règles du jeu qui rompent l’égalité entre citoyens. Par exemple, la caution des candidats à la présidentielle a été portée à 100.000 euros, soit 10 fois plus qu’en 2001. Le Conseil constitutionnel sera saisi le moment venu pour invalider la troisième candidature de Wade mais, on l’a vu en Côte d’Ivoire, les membres de l’institution étant nommés par le président, mieux vaut que la société civile tranche la question. Dans une démocratie, il n’y a pas de droit acquis à être président. »
Des risques réels de violence
La situation peut-elle dégénérer ? Il y a ceux, les aînés plutôt, qui invoquent la sagesse du peuple sénégalais. Abdoulaye Seye, architecte de son état, représentant d’un des deux leaders de l’opposition, Moustapha Niasse, croit que le président Wade finira par reculer : « le Sénégal est un pays de paix qui, dans son histoire, a beaucoup fait pour la démocratie. Il ne peut être disloqué contre l’avis du peuple. Avant février, la raison l’emportera dans le camp majoritaire. »
Les plus jeunes sont plus sceptiques et n’hésitent pas à brandir la menace de violences pour faire reculer le président Wade. Le candidat Moussa Diop a été très clair : « s’il maintient sa candidature, nous empêcherons que ce pays soit gouverné et, donc, ce pays sera ingouvernable. »
Octobre risque d’être un mois décisif sur le chemin de l’élection présidentielle.
Michel Taube