Les réactions des familles des citoyens japonais enlevés par les services secrets nord-coréens étaient plutôt mitigées à l’annonce de la mort de Kim Jong-il, lundi dernier. Le dirigeant nord-coréen est en effet décédé sans qu’il soit mis fin au dossier le plus brûlant entre la Corée du Nord et le Japon.
Alliant le rocambolesque et le tragique, ce contentieux, toujours en cours entre les deux États, continue de ravager les familles qui ne connaissent pas la suite qui sera donnée à ce dossier brûlant, suite au changement de pouvoir à Pyongyang.
Un nombre de victimes difficile à estimer
Entre 1977 et 1983, les services secrets nord-coréens ont kidnappé plusieurs jeunes citoyens japonais, généralement âgés de 20 à 30 ans. Emmenés en Corée du Nord, ils subissaient dans un premier temps un « lavage de cerveau » pour les faire adhérer à l’idéologie du pouvoir en place. Ils étaient ensuite affectés à différents centres de formation et de renseignement, pour enseigner le japonais et la culture nippone à des agents secrets nord-coréen.
Le nombre des victimes des ces opérations est sujet à débat entre le gouvernement japonais, le gouvernement nord-coréen et les familles de victimes. Alors que Pyongyang a reconnu officiellement 13 enlèvements de citoyens japonais, Tokyo l’accuse d’avoir kidnappé 17 ressortissants nippons. Les collectifs de victimes estiment, elles, ce nombre à 80.
Depuis la détente des rapports entre Japon et Corée du Nord, sous l’impulsion de l’ancien premier ministre Junichiro Koizumi (2001-2006), le dossier semblait petit-à-petit se normaliser. En échange de la reconnaissance officielle par le Japon du caractère colonial de l’occupation japonaise en Corée, Kim Jong-il avait publiquement admis 13 enlèvements de Japonais lorsqu’il dirigeait lui-même les services de renseignements nord-coréens. En 2004, 5 victimes d’enlèvements ont ainsi pu regagner le Japon, accompagnées de leurs enfants nés pendant leur détention. La Corée du Nord a annoncé que la plupart des autres ressortissants japonais étaient entre-temps décédés. Une affirmation que Pyongyang a bien du mal à prouver, puisque seulement 2 dépouilles ont été rapatriées au Japon. Les autopsies ont ensuite montré que les corps n’appartenaient sans doute à aucun des Japonais officiellement enlevés.
L’ensemble des représentants d’associations de familles de victimes d’enlèvements par les Nord-coréens se disent préoccupés. Ils craignent que le tumulte provoqué par le changement de régime en Corée du Nord ne fasse sombrer dans l’oubli les victimes des services secrets (du moins celles qui seraient encore vivantes).
Attirer les compétences étrangères par la force
A la fois mystérieuse et incroyable, l’histoire des enlèvements par des Nord-coréens à la fin des années 70 et au début des années 80 ne s’arrête pas aux seuls citoyens japonais. La seule Corée du Sud aurait ainsi vu… plus de 400 de ses ressortissants enlevés par des agents de Pyongyang ! Population très bien formée et parlant la même langue que les Nord-coréens, ils se sont ainsi vu assignés à des tâches techniques, d’enseignement ou… artistiques !
En effet, Kim Jong-il, féru notoire de cinéma, a développé le le 7e art national dans les années 80, à grands coups d’enlèvements de réalisateurs, de techniciens et même d’acteurs sud-coréens. La plupart des « blockbusters » nord-coréens de la décennie, vantant les mérites patriotiques de la population face à l’envahisseur, étaient en fait réalisés et interprétés par des Sud-coréens. Le nom le plus célèbre est celui de Shin Sang-ok, réalisateur de films à gros budgets, capturé alors qu’il enquêtait à Hong-Kong sur la disparition de son ex-femme, l’actrice Choi Eun-hee, elle-même kidnappée par les Nord-coréens. C’est finalement sur les plateaux de tournage des immenses studios de cinéma de Pyongyang qu’ils se retrouveront, forcés de travailler ensemble (et même de se remarier !), sous l’œil du « génie du cinéma » Kim Jong-il.
D’autres « professeurs de langues » ont également été kidnappés un peu partout sur la planète par les Nord-coréens : Chinois de Macao, Thaïlandais, Italiens, Roumains, Libanais, Syriens sont venus grossir les rangs de ceux que le régime appelaient officiellement les « invités ».
Plus surprenant encore, les témoignages des rares kidnappés qui ont pu rentrer dans leurs pays faisaient état de la présence… de Françaises ! Trois ressortissantes françaises auraient en effet été emmenées de force en Corée du Nord pour préparer les services secrets à des actions sur le territoire hexagonal. Jamais réellement confirmés par les autorités françaises, ces témoignages n’ont donné cours à aucune enquête officielle.
Damien Durand