Après les violentes répressions des mouvements de contestation politique liés au Printemps-arabe, le gouvernement de Bahreïn semble aujourd’hui vouloir apaiser la situation. Cependant, ses déclarations ne sont pas doublées d’actions et les protestataires sont toujours violemment réprimés.
L’indulgence de la communauté internationale met en relief l’incohérence de son attitude vis-à-vis des différents régimes autoritaires touchés par le Printemps-arabe. Les intérêts stratégiques et économiques semblent peser en faveur du statu quo dans l’île.
Réformes de façade pour garder le pouvoir
En annonçant, le 24 décembre dernier, la fin des poursuites contre les opposants au régime, Bahreïn semble amorcer un processus d’ouverture politique. Depuis février 2011, les soulèvements liés au Printemps-arabe ont été sévèrement réprimés, débouchant sur des milliers d’arrestations et une quarantaine de morts. Pour répondre aux inquiétudes de la communauté internationale, le royaume a nommé, le 29 juin 2011, une commission indépendante. Dans son rapport publié en novembre dernier, celle-ci a fermement condamné les violences et les actes de torture commis par le régime. Dans le cadre de réformes constitutionnelles, le gouvernement a annoncé, le 8 janvier 2012, un renforcement des prérogatives de l’Assemblée législative. Elue par le peuple, elle ne dispose jusqu’à présent que d’un pouvoir très limité. Mais cette initiative, présentée comme le fruit de négociations avec l’opposition, semble amorcer une ouverture politique.
Pourtant, derrière le miroir…
Rappelons qu’à Bahreïn, les révoltes politiques initiées le 14 février 2012, ont été dominées, entre autres, par les revendications de la population chiite. Celle-ci constitue 70 % de la population. Depuis 200 ans, elle est discriminée politiquement et économiquement par la dynastie sunnite Al Khalifa. Selon le Wefaq, le principal groupe d’opposition chiite, la monarchie héréditaire réserve 50 % des emplois publics à des membres de la famille royale et facilite l’emploi et l’accès à la nationalité aux sunnites étrangers. De plus, les chiites sont exclus de certaines catégories d’emploi, notamment l’armée.
Cependant, le Wafaq est pessimiste quant aux réelles volontés de réformes du régime. Ces suspicions sont étayées par les actions du régime. Arrestations et violences se poursuivent contre les manifestants. Le 31 décembre 2011, un adolescent est mort suite aux attaques lacrymogènes des forces de l’ordre. Les déclarations du régime apparaissent donc clairement comme des mesures de façade visant à conserver le pouvoir. Un double discours qui tourne à la schizophrénie.
Les ONG internationales dénoncent régulièrement le double jeu du royaume. Les atteintes aux droits de l’Homme sont connues de tous et les acteurs internationaux ne sont pas dupes. Pourtant, la communauté internationale est relativement passive.
Le 18 mars 2011, l’intervention des armées saoudiennes et émiraties pour mater la révolution s’est faite dans le plus grand silence. Un changement politique dans l’île stratégique du Golfe persique pourrait en effet aller à l’encontre de différents intérêts.
La phobie chiite bien ordonnée
Le régime barheïni a savamment instrumentalisé la menace chiite et a « confessionnalisé» le conflit. Faire passer les chiites bahreïnis pour des complices de Téhéran lui a permis de légitimer la répression et de gagner le soutien extérieur. La menace d’un « croissant chiite » qui déstabiliserait le Moyen-Orient a motivé l’intervention armée des pays du Golfe en mars 2011.
Bahreïn a attisé la haine communautaire pour rallier la population sunnites à la répression du mouvement de contestation. Des lieux saints ont été vandalisés, les commerces chiites boycottés. Les États-Unis sont également réceptifs à la menace de l’émergence d’un « croissant chiite », en particulier dans le contexte actuel de tensions avec l’Iran autour de la question nucléaire. Bahreïn leur offre une position stratégique sans pareil. L’île, située à 200 km de l’Iran, abrite la 5e flotte américaine, ainsi qu’une de leur base aérienne.
Cela offre aux États-Unis un accès au Golfe Persique. De plus, il n’est pas dans l’intérêt américain de se mettre à dos les pays du golfe, en raison des interdépendances économiques entre les deux régions. Les pays du Conseil de coopération des pays du Golfe sont les principaux importateurs d’armes américaines. Ce commerce fournit les devises nécessaires aux États-Unis pour importer du pétrole.
En même temps, les États-Unis ne peuvent afficher leur support au royaume de façon trop extravertie, alors qu’ils ont appelé à la chute des dictatures libyennes et syriennes. Jusqu’à présent, ils se sont contentés de condamner les violences commises par le régime, en appelant à l’ouverture de négociations avec les opposants.
Début janvier, les autorités étasuniennes ont exhorté le régime à enquêter sur les violences commises récemment. Une vente d’armes, d’un montant de 53 millions de dollars, est conditionnée à la mise en œuvre, par le royaume, des recommandations de la Commission indépendante.Reste à savoir s’il ne s’agit là encore que d’un effet d’annonce visant à dissimuler la politique des deux poids-deux mesures appliquée à travers les positions prises vis-à-vis des événements du Printemps-arabe.
Carine Dréau