Un calme relatif règne désormais à Laghouat, comme dans plusieurs autres villes d’Algérie, qui ont été, ces derniers jours, le théâtre de soulèvements liés au chômage et au mal logement.
Ces révoltes sont loin d’être les premières. Récurrentes depuis 10 ans, elles témoignent des dysfonctionnement à l’œuvre dans le pays.
Ce ne sont sûrement pas non plus les dernières. Si, en apparence, l’Algérie n’a pas été ébranlée par la vague du Printemps-arabe, jusqu’à quand le régime parviendra-t-il a maintenir la stabilité ?
Le mécontentement social, auquel s’ajoutent les doutes quant à la fiabilité des prochaines élections, semble indiquer que les heures du régime de Bouteflika sont comptées.
Révoltes sur fond de crise du logement
Les premières semaines de la nouvelle année ont été agitées en Algérie et plusieurs villes sont devenues le théâtre de manifestations.
A Laghouat, ils étaient plusieurs centaines à protester contre les décisions d’attribution de logements sociaux. Les manifestants, dont beaucoup souffrent du mal-logement et sont parfois sur listes d’attente depuis plusieurs années, dénonçaient la corruption dans l’attribution des habitations. Par ailleurs, le gouvernement ayant récemment détruit au bulldozer des habitations vétustes, des douzaines de familles, provisoirement relogées dans un bidonville de la périphérie de Laghouat attendent d’être installées dans de nouveaux appartements.
Mardi 10 janvier 2012, malgré le caractère pacifique du défilé, les affrontements avec les forces de l’ordre ont éclaté. Selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme, une dizaine de personnes ont été blessées et une vingtaine arrêtées.
Le wali de Laghouat, Youcef Chorfa, assurait mercredi 11 janvier dernier, qu’il allait réétudier la liste des attributions de logements. Le vendredi suivant, la ville était quadrillée par des forces anti-émeutes alors que près d’un millier de personnes défilait, scandant «Silmia, Silmia (marche pacifique)» et «Irhal (dégage)», adressé au wali. Depuis, le calme semble avoir repris le dessus.
Dans d’autres villes du pays, comme à Oran, Tamanrasset, Ourgla ou Skikda, chômeurs, étudiants ou familles touchées par la crise du logement ont organisé diverses actions de revendication : sit-in, grèves ou défilés pacifiques.
Une population à l’abandon
Ces soulèvements témoignent des dysfonctionnements profonds du pays et de la grave crise sociale qu’il traverse. La stratégie économique algérienne, adoptée dès l’indépendance, n’a pas connu le succès escompté. Les exports d’hydrocarbures, représentant 40 % du PIB, devaient générer le capital nécessaire à l’industrialisation du pays. Mais la rente des matières premières n’a pas été investie avec succès. Le pays connaît une désindustrialisation et dépend largement de l’étranger pour ses biens de consommations.
70% des denrées alimentaires sont ainsi importées. La population ne bénéficie pas des richesses émanant du pétrole, mais subit de plein fouet les cours erratiques des marchés mondiaux. Le taux de chômage s’élève a 10 % de la population et touche 20 % des jeunes. Les inégalités s’accroissent alors qu’une minorité proche du pouvoir détient les richesses. Dans ce contexte, plusieurs périphéries algériennes se recouvrent actuellement de bidonvilles.
Un gouvernement peu crédible
La crise qui touche l’Algérie ne date pas d’hier, même si ses effets sont aujourd’hui amplifiés par le contexte de crise mondiale. Si, jusqu’à présent, le pays ne semble pas avoir été touché par la lame de fond qui a secoué le monde arabe, les frustrations sociales fermentent depuis 10 ans. Les révoltes sont récurrentes. Pourtant, les émeutes locales n’ont pas évolué en un mouvement unifié.
En l’absence d’opposition organisée, le gouvernement a su reprendre les contestations à son compte. Ainsi, la sphère politique est vampirisée par des pseudo partis d’opposition qui donnent une apparence de démocratie. Face aux craintes liées à une contagion du mouvement révolutionnaire de son voisin tunisien, le président Bouteflika a même jugulé les révoltes de l’an passé en annonçant des réformes.
La « reine des réformes », la révision constitutionnelle, devrait être mise en place par la prochaine Assemblée législative, normalement élue en mai 2012. Mais ces élections ne suscitent guère d’enthousiasme. Le taux de participation aux législatives, très faible, avait à peine atteint 35 % lors des dernières élections en 2007. Etant donné son pouvoir très limité et la corruption de ses membres, la population est sceptique quant aux capacités de cette Chambre et son réel impact politique. D’ailleurs, la démission du premier ministre est demandée actuellement pour assurer la transparence des prochaines élections. En effet, derrière des institutions politiques fantoches, le pouvoir est en réalité aux mains des militaires.
Pourtant ces élections pourraient cristalliser le mécontentement algérien et être l’occasion d’une dénonciation des mises en scènes politiques et électorales.
Le régime sur la corde raide
Le régime fait actuellement son possible pour jouer le jeu de la démocratie devant ses citoyens et la communauté internationale. Mais cette stratégie de maintien au pouvoir semble difficilement soutenable. En effet, le régime a jusqu’à présent acheté son pouvoir, en faisant profiter les plus riches des bénéfices de l’Etat et en subventionnant la consommation des plus pauvres. Mais la rente générée par l’export des matières premières ne suffit plus à masquer les déséquilibres économiques. Alors que le pays se désindustrialise, le chômage augmente et le prix des produits étrangers aussi.
Pour certains, ce n’est qu’une affaire de temps. Le sociologue algérien Lahouari Addi déclarait ainsi il y a un an à La Croix que « le régime est condamné ». Personne n’est dupe face aux manœuvres de façade des autorités algériennes. Pas même les Etats-Unis et l’Europe, qui saluent pourtant régulièrement les avancées du pays en terme de démocratie. Mais c’est uniquement parce que l’Algérie est un allié stratégique dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel et un porte-parole des intérêts occidentaux auprès des autres pays sahéliens.
Malgré l’appui de la rente pétrolière et les soutiens extérieurs, la stabilité en Algérie est loin d’être gagnée. En évitant de s’attaquer aux racines économiques et politiques des problèmes sociaux, le régime ne fait que renforcer les frustrations et retarder les réformes de fond.
Carine Dréau