Pendant plus de seize ans, les autorités anglaises ont renvoyé vers la France des migrants isolés arrivés clandestinement sur le territoire. L’accord à l’amiable, abandonné après sa révélation, témoigne de la mauvaise volonté de la prise en charge des mineurs, pourtant en situation de grande précarité.
Cet accord amiable permettait aux autorités britanniques de renvoyer vers la France tout migrant entré clandestinement sur le territoire, dans un délai de 24 heures suivant son arrivée.
Mineurs isolés sans protection
La Commission des enfants britannique a découvert l’existence de cette pratique lors d’une enquête sur le traitement des enfants migrants à leur arrivée à Douvres. Elle a alors enjoint la police des frontières britannique à l’abandonner, ce qui a été fait en octobre 2011. Jusqu’ici tenu secret, l’accord a été rendu public le 17 janvier, par un rapport de la Commission intitulé « Landing in Dover », qui fait état des graves conséquences de cette pratique sur les mineurs.
On ignore encore combien d’enfants ont été refoulés vers la France, dans le cadre de cette mesure, et ce est advenu d’eux une fois arrivés à destination. La Commission suspecte qu’ils aient ensuite été victimes de réseaux de trafic d’enfants.
Les autorités de l’Agence des Frontières britannique (UKBA) se sont félicité de l’abandon de cette mesure, peu protectrice, signée le 25 avril 1995 entre le directeur des Libertés publiques au ministère de l’Intérieur. Le « gentleman agreement » était pourtant connu du personnel de l’UKBA.
Comme l’explique Maggie Atinkson, Défenseure des enfants pour l’Angleterre, cet accord place les mineurs clandestins dans une situation d’exception. S’ils n’ont pas connaissance du système d’asile et ne présentent pas de demande, ils sont renvoyés dans les 24 heures vers la France, sans prise en charge sociale ni médicale.
De gros manquements à ses engagements
Durant toutes ces années, l’Angleterre a failli à son devoir de protection des enfants, le déléguant ainsi à la France. Pourtant, la Convention internationale des droits de l’enfant précise dans son article 3 que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale».
De plus, le délai de 24 heures durant lequel les autorités peuvent renvoyer ces enfants, a impliqué des effets pervers. Les entretiens et contrôles bureaucratiques étaient réalisés dans l’urgence, immédiatement après l’arrivée de l’enfant à la frontière. De fait, les procédures du droit de la défense n’étaient pas forcément respectées, les enfants n’ayant pas toujours accès à un interprète. L’accès effectif au droit d’asile s’en est trouvé limité, d’autant plus que les mineurs arrivant sur le territoire anglais sont souvent très fatigués, après un voyage long et épuisant.
Suite à son enquête, la Commission a adressé plusieurs recommandations aux autorités des frontières. Elle demande un report des entretiens, le temps pour les enfants de se remettre de leur voyage et de demander un représentant légal. Elle requiert également qu’un adulte soit présent lors de ces entretiens.
Des enfants souvent victimes de trafic
Selon Maggie Atkinson, les enfants migrants non accompagnés sont le groupe de personnes le plus vulnérable auquel la Commission a affaire. Ils fuient souvent des pays en conflit où leur vie est menacée.
Plus de 1 700 mineurs isolés, majoritairement originaires d’Afghanistan, ont ainsi demandé l’asile en Grande-Bretagne. Durant leur voyage, ces enfants sont particulièrement vulnérables et régulièrement victimes de réseaux de trafiquants. Ils arrivent bien souvent traumatisés et en état de santé critique.
Par le manque de respect de cette mesure, l’Angleterre, avec la complicité de la France, a clairement failli à ses obligations en termes de protection, présentes dans l’article 3 de la Convention des droits de l’Enfant.
Une France complice…
Le rapport présente le cas de 7 enfants vietnamiens, qui avaient été acheminés en Grande-Bretagne par un réseau de trafiquants pour travailler dans des usines de cannabis et renvoyés en France. 2 d’entre eux ont de nouveau été victimes de trafic d’enfants, après leur retour au Royaume-Uni. L’un d’eux est actuellement en détention avant expulsion, et le sort des 5 autres est inconnu.
La découverte de cet accord témoigne de la mauvaise volonté des Etats quant au respect des droits de l’Homme concernant ses non-ressortissants. La criminalisation du migrant clandestin justifie toutes sortes de mauvais traitements ou de négligences, même lorsqu’il s’agit d’enfants.
Quant à la France, ses conditions d’accueil des mineurs en situation précaire sont loin d’être optimales. L’Etat laisse reposer leur prise en charge sur les associations et les collectivités locales. La capacités d’accueil dans les foyers est très limitée, laissant nombre d’entre eux chercher refuge dans des abris de fortune.
Carine Dréau