Le 16 janvier 2011, la banlieue de Dakar est plongée dans le noir, à cause d’une énième coupure de courant. Les délestages sont tellement fréquents que des imams ont incité à ne pas payer les factures d’électricité, en guise de protestation. Ce soir là, trois amis révoltés par la situation décident d’agir. Deux rappeurs, Thiat et Kilifeu et un journaliste, Cheikh Fadel Barro, lancent le mouvement « Y’en a marre », dont le communiqué réunissait 1 million de signatures en juin dernier. L’idée est d’organiser un réveil citoyen en mobilisant la jeunesse.
C’est environ 350 000 jeunes, parfois démotivés par la politique, qui se sont depuis inscrits sur les listes électorales. La jeunesse peut faire la différence, comme le remarque Cheikh Diallo, analyste politique pourtant proche du fils du président Karim Wade. Il l’a même qualifiée de « vache folle » du scrutin de 2012.
Un ras-le-bol fédérateur
Le président Abdoulaye Wade le sait. Le mouvement de contestation a déjà fait ses preuves le 23 juin 2011, l’obligeant à renoncer à son projet de réforme constitutionnelle, qui aurait permis à un candidat de remporter le scrutin avec une majorité de seulement 25 % des voix. Depuis, il courtise les jeunes, évoquant notamment la création d’emplois.
Mais la jeunesse sénégalaise est définitivement déçue par Wade. Pour 2012, elle a aspire à l’alternance. Les jeunes se sentent oubliés par le pouvoir. Les infrastructures mises en place par Wade ne compensent pas un chômage galopant, qui atteint désormais 40 % de la population. Au contraire, les projets de modernisation tape-à-l’oeil témoignent de la monté des inégalités. La situation des Sénégalais est dramatique, la population est oubliée par le pouvoir, et celle des banlieue se sent marginalisée.
Y’en a marre est devenu la figure de proue du mouvement de contestation sociale grandissant. Le 23 juin 2011 a démontré le potentiel de résistance de la société civile et a donné son nom à un large mouvement d’opposition politique. Le « M23 », qui s’oppose à la candidature de Wade, rassemble associations, société civile et organisations politiques.
Wade veut aller au bout
Mais l’ampleur du mécontentement populaire n’a pas empêché la validation de la candidature de Wade. 10 000 personnes se sont rassemblées pour protester contre la décision des « Sages », rassemblement le plus important du M23. Sans recours légal contre la candidature de Wade, il s’agit désormais de lui barrer la route sur le terrain politique. Mais quel candidat peut fédérer les nombreux Sénégalais qui aspirent au changement ?
Si la candidature de Youssou N’dour n’était pas, au départ, prise au sérieux, la star du mbalax, très populaire dans son pays, avait le potentiel de rassembler. Le refus de sa candidature montre que le pouvoir redoutait par sa concurrence.
Aujourd’hui, les candidats tentent de capitaliser le mécontentement. Mais le M23 regroupe des tendances hétéroclites et l’opposition est morcelée sur le terrain politique. Malgré la vigueur des contestations de la population, Wade apparaît toujours en tête de nombreux pronostics.
Beaucoup de candidats mais peu d’unité
Douze candidats sont en lice. On reproche aux différents groupes politiques qui soutiennent le M23 d’affaiblir l’opposition en refusant de renoncer à leurs ambitions particulières. Des rivalités causent l’éclatement des mouvements d’opposition, comme par exemple celle entre Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, concurrents pour représenter la coalition Benno Siggil Senegal. Tanor concourt désormais à la tête d’une nouvelle coalition. Niasse a récemment déçu en n’assistant pas au rassemblement du M23 le 24 janvier 2011. Certains, comme Idrissi Seck, sont accusés de vouloir reprendre l’héritage du M23 à leur compte. De son côté, le mouvement Tekki appelle à l’unité, après avoir a renoncé à présenter son candidat, Mamadou Diallo, qui s’était également présenté en 2007.
Le M23 a annoncé une évolution de sa stratégie, après les violences qui ont suivi les manifestations de Nador et Dakar. Les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles sur la foule lundi 30 janvier 2011 à Nador, faisant deux morts : une femme et un enfant. Un étudiant a été renversé par un véhicule de police le lendemain à Dakar.
Un comité de crise va être réuni, pour poursuivre la résistance républicaine. Le défi : empêcher un coup d’Etat des urnes et éviter le chaos.
Carine Dréau