La campagne électorale sénégalaise en France a timidement démarré. Malgré l’enjeu de l’élection présidentielle marqué par la contestation de la candidature du président Wade validée par le Conseil constitutionnel. Amadou Ciré Sall, député des Sénégalais de l’extérieur, 3e vice-président de l’Assemblée nationale sénégalaise et secrétaire général de la Fédération en France du Parti démocratique sénégalais du président Wade, revient ici sur les chances de son candidat pour remporter le scrutin le 26 février 2012.
OI : Après la polémique sur la validité de la candidature du président, la campagne électorale a démarré depuis dimanche. Peut-on dire que vous êtes soulagé par la validation de la candidature du président Wade par le Conseil constitutionnel ?
ACS : On peut dire que nous sommes soulagés, mais on savait que la candidature du président Wade allait être validée. C’est maintenant que les choses sérieuses commencent. Nous sommes en plein campagne électorale. Il me semble que l’opposition est aussi en campagne électorale. Je les vois s’activer. Tout ce qu’on peut souhaiter, c’est que tout se passe dans l’apaisement, que les gens reviennent à de meilleurs sentiments et que les élections se passent dans la plus grande transparence. C’est ce que je souhaite.
OI : Dites-vous « ouf » après cette validation parce qu’il y a une pression énorme sur votre candidat, le président Wade ?
ACS : Je ne dis pas « ouf » parce que je n’avais pas de doute quant à la validation de la candidature du président Wade. J’ai noté une contradiction sur l’attitude des Américains. Obama avait dit que l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes. Voilà qu’une institution, le Conseil constitutionnel, valide la candidature du président Wade et que les gens contestent, même les médias internationaux, notamment les médias américains et français. C’est là où je ne comprends pas. Les gens devaient se conformer et accepter en bons démocrates.
OI : Mais on a vu ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire où un Conseil constitutionnel proclame la victoire de Gbagbo et c’est cette même institution qui revient affirmer que Alassane Ouattara a gagné…
ACS : Le contexte n’est pas le même. Quand la Commission électorale ivoirienne a voulu donner les résultats, les gens de Gbagbo sont venus retirer les feuilles et les déchirer devant tout le monde. On ne peut pas comprendre ça. Nous ne sommes pas arrivés à ce stade-là. Il est nécessaire de faire confiance à nos institutions. Les bons démocrates devaient se conformer à cela et ne pas jeter de l’huile dans le feu et envoyer les gens dans la rue. Ce n’est pas digne de notre pays, ce n’est pas digne des responsables politiques sénégalais.
OI : Le président Wade avait dit lui-même qu’il ne pouvait pas se représenter. Est-ce qu’il n’est pas normal que des gens descendent dans la rue pour faire pression sur lui et sur le Conseil constitutionnel ?
ACS : Nous considérons que la loi constitutionnelle n’est pas rétroactive. Donc son premier mandat ne compte pas. Après 2012, il n’aura plus le droit se représenter. Mais cela a été mal interprété.
OI : Il y a aussi des suspicions à cause de l’augmentation des salaires des magistrats à cinq millions de francs CFA. Est-ce que tout cela ne crée pas un climat délétère ?
ACS : Ce sont les gens qui interprètent mal. Quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir, il a voulu combattre la corruption. Il a commencé par augmenter le salaire des fonctionnaires. Nous avons voté cela à l’Assemblée nationale. On a augmenté le salaire des gouverneurs, des médecins. Personne n’a rien dit. Même si cette augmentation du salaire des magistrats est arrivée en plein contexte électoral, le président Wade n’attend rien des magistrats. Le Conseil constitutionnel est libre de valider ou non sa candidature selon la loi. Abdoulaye Wade a même dit qu’il reconnaîtra la décision du Conseil constitutionnel. Ce n’est pas parce que le président Wade a augmenté le salaire des magistrats que ces derniers ont voulu coûte que coûte qu’il soit candidat. Je ne le crois pas. Nous avons des magistrats intègres.
OI : Il y a aussi l’invalidation des candidatures indépendantes dont, notamment, celle de Youssou Ndour. Une large opinion a exprimé son indignation. La communauté internationale également. Est-ce qu’il n’y a pas là également un quiproquo ?
ACS : Il y a 2 mois, au plan politique, on ne parlait pas de Youssou Ndour. C’est un bon chanteur reconnu mondialement. Il a des compétences dans ce domaine qu’on ne peut pas remettre en cause. Maintenant il a créé un mouvement, il a raison. Il veut se porter candidat, c’est son droit. Mais il y a quand même la loi. Il faut réunir pour son cas, dix mille signatures. Il en a présenté treize mille. Mais parmi ces treize mille, il y en quatre mille qui n’ont pas été identifiées. Voilà les raisons pour lesquelles sa candidature n’a pas été validée.
OI : Est-ce que ce n’est pas louche, quand on sait que c’est le ministère de l’Intérieur qui identifie ces signatures ?
ACS : En quoi la candidature de Youssou Ndour peut-elle gêner le président Wade ? Son mouvement s’arrête à la Médina (un quartier de Dakar, non loin du centre ville, Ndlr). On sait que la communauté internationale est pour Youssou Ndour, mais ce n’est pas elle qui vote. Ce sont les Sénégalais. Nous avons une loi qui dit que Youssou Ndour ne peut pas être candidat, qu’est-ce qu’Abdoulaye Wade a à faire là-dedans ? Youssou Ndour n’a pas une implantation politique suffisante dans le pays. Même s’il était allé aux élections, il n’aurait pas recuieilli 0,001 % des voix. Nous n’avons pas peur de lui.
OI : Mais on ne peut pas dire que Youssou Ndour ne peut pas avoir dix mille signatures valables dans le pays. Est-ce que le pouvoir n’a pas entravé la candidature de Youssou Ndour ?
Le pouvoir n’a pas mis géné Youssou Ndour. On ne le peut même pas. Le Sénégal a dépassé ce niveau-là. Il faut que les gens se fassent confiance si l’on veut que notre démocratie soit grande. Ce n’est pas parce que Youssou Ndour n’est pas candidat qu’il faut mettre en doute la bonne foi du ministère de l’Intérieur.
OI : Parlons de la campagne électorale en France, qui démarre difficilement. Avez-vous des chances de gagner les élections ici ?
ACS : Nous avons la chance de gagner non seulement ici, en France, mais aussi au Sénégal. Toutefois notre handicap, ce sont les divisions internes. Mais je crois que celles-ci ont été réglées et le seul objectif, c’est d’élire le président Wade. Nous occupons le terrain depuis que notre fédération a reçu une délégation dirigée par le ministre d’Etat, Zakaria Diaw. On a organisé un meeting le 21 janvier. Nous avons eu plus 4 000 participants à cette manifestation. C’est pour vous dire que rien ne nous empêche aujourd’hui de gagner. Nous avons commencé la campagne électorale depuis le 1er janvier. Elle est ouverte à Paris et nous sommes en train de remobiliser les troupes.
OI : Quel est votre programme pour les Sénégalais de l’extérieur afin de les amener à voter pour votre candidat ?
ACS : Nous allons leur faire le bilan des réalisations du président Wade pour les Sénégalais de l’extérieur et nous leur parlerons des perspectives. Dans le bilan du président Wade, la partie réalisée pour les Sénégalais de l’extérieur est importante. D’abord, les représentations consulaires qui ont été multiplées par 2. Rien qu’en France, on avait qu’un consulat général à Paris. Aujourd’hui, on a des consulats généraux à Bordeaux, Lyon, Marseille et bientôt au Havre et à Toulouse. On a fait pareil en Italie, en Espagne et dans tous les pays. Le 2e point important, c’est la représentation des Sénégalais de l’extérieur dans les institutions. A l’assemblée, c’est vrai que je suis le seul député, j’aimerais qu’on puisse en avoir d’autres. C’est une fierté de représenter mes compatriotes et poser leurs problèmes devant l’Assemblée nationale. Au Sénat, nous avons 4 sénateurs représentant les Sénégalais de l’extérieur. Au Conseil économique et social, il y en a aussi. A cela s’ajoute l’éradication de la tracasserie douanière à l’aéroport de Dakar. Les Sénégalais de l’extérieur n’ont plus de problème à l’aéroport. On ne dépend plus de Dakar pour les passeports. On les fait dans les pays d’accueil. Le président Wade a aussi créé un Fonds d’appui à l’investissement, qui finance exclusivement les Sénégalais de l’extérieur. On a commencé à financer plus de 31 projets. Dans le logement social, 2 associations d’habitat ont commencé à bénéficier de parcelles mises à leur disposition par l’Etat du Sénégal. On a aussi financé les femmes pour monter des projets. C’est le cas des femmes sénégalaises d’Abidjan, des Etats-Unis, etc.
OI : Pour les allocations familiales, certains Sénégalais de l’extérieur estiment que les problèmes ne sont pas totalement résolus. Qu’est-ce qui ne marche pas ?
ACS : Il y a une avancée. Avant, lorsque le Sénégalais de l’extérieur vivait en Francesans sa famille et ses enfants, l’enfant touchait 700 francs CFA (1,06 euros) par mois. Aujourd’hui, ce montant a été porté à 4 500 francs CFA (6,86 euros). Mieux, la caisse de Sécurité sociale se déplace dans les villages pour payer, alors qu’avant les famille se déplaçaient au niveau de la Poste pour percevoir ces allocations. Je sais qu’il y a des problèmes de dossiers qui ne sont pas conformes ni complets. Nous sommes en train de demander la révision de ces accords avec la France, avec qui le Sénégal est lié par une convention. Nous voulons que les enfants des Sénégalais qui vivent au Sénégal puissent bénéficier la protection sociale française, avec conditions de réciprocité pour les Français vivant au Sénégal. Il est aussi demandé que le Sénégal prenne en charge les enfants français dont les parents travaillent au Sénégal. A l’assemblée, j’ai défendu le fait que ce genre de convention soit signé avec l’Espagne et l’Italie. C’est en cours pour l’Espagne. Mais l’Italie refuse parce que Berlusconi avait lié la signature d’une telle convention à l’expulsion de tous les clandestins sénégalais qui vivent en Italie. Nous lui avons expliqué que cela est sans rapport, parce que nous parlons de Sénégalais réguliers qui travaillent dans les entreprises italiennes, à qui on prélève des cotisations de retraites et de protection sociale. Puisque Berlusconi est parti, espérons qu’avec les nouvelles autorités italiennes, nous pourrons maintenant signer cette convention.
OI : Les Sénégalais de l’extérieur sont insuffisamment protégés par l’Etat du Sénégal. En Italie, des Sénégalais sont tués, tout comme en Afrique du sud. En France, ce sont des incendies qui frappent nos compatriotes. Est-ce que ce point est pris en charge par votre programme ?
ACS : Le ministre des Sénégalais de l’extérieur a initié la semaine du migrant qui va être institutionnalisée. Chaque année, elle sera organisée. Nous avons eu des débats intéressants durant cette semaine du Migrant. On a beaucoup parlé de la protection des Sénégalais de l’extérieur, de l’insécurité dans laquelle ils sont installés dans les pays d’accueil. Je crois que des mesures importantes ont été prises lors de cette Semaine du Migrant. Nous réafirmons que l’Etat veille sur la sécurité des Sénégalais de l’extérieur. Vu ce que les Sénégalais de l’extérieur apportent au pays, l’Etat a le devoir de les protéger.
Pour ce qui s’est passé en Italie, nous avons exigé que des enquêtes soient menées. Nous avons même été devant l’ambassade d’Italie à Dakar pour manifester. L’ambassadeur nous a reçu et dit regretter ce qui s’est passé. Je crois qu’on va de plus en plus vers le renforcement de la protection des Sénégalais de l’extérieur, qui rapportent 674 milliards de Francs CFA chaque année au pays. On ne dit pas qu’il faut un policier derrière chaque Sénégalais de l’extérieur, mais que le ministre de l’Extérieur monte au créneau pour dire : « Plus jamais ça ». Nous l’avons exprimé au gouvernement.
OI : Est-ce que ce ne sont pas les consulats qui devraient être les premiers intervenants pour apporter, par exemple, une protection judiciaire, aux Sénégalais de l’extérieur qui ont maille à partir avec la justice de leur pays d’accueil ?
ACS : Cela demande de l’argent, mais les consulats ne disposent pas de fonds. On a créé des postes d’assistants sociaux, mais sans leur donner les moyens. J’ai dit au ministre des Sénégalais de l’extérieur et à son collègue des Affaires étrangères qu’on doit pouvoir apporter l’aide nécessaire aux Sénégalais de l’extérieur. Cela a été discuté lors de la Semaine du Migrant. Je pense que les conclusions de cette semaine vont être remises au président de la République pour qu’il prenne des décrets dans ce sens. Je pense que l’on ne peut pas inviter des Sénégalais de l’extérieur pour débattre pendant une semaine et ne pas en tenir compte. La paix sociale au Sénégal, c’est les Sénégalais de l’extérieur. S’ils n’envoyaient pas cette mane d’argent, il n’y aurait pas cette paix sociale.
OI : Il y a également ce décret qui interdit l’importation au Sénégal des voitures de plus de 5 ans. Cela ne va-t-il pas influer sur le vote ici en France ?
ACS : Cela peut influer d’autant plus que dans nos tournées, c’est la même question qui revient. J’ai même attiré l’attention des autorités sénégalaises à ce sujet, car le Sénégal perd plus de 10 milliards par mois à cause de cela. Ce sont donc les finances de l’Etat qui en souffrent. Pour moi, la seule condition, c’est le contrôle technique. Le président Wade est sensible à la question. Ce que je peux dire à mes compatriotes vivant à l’extérieur, c’est d’attendre après les élections, nous allons discuter avec les autorités pour qu’on puisse leur permettre d’importer une voiture au Sénégal. Je pense que le gouvernement ne s’y opposera pas.
OI : Comment menez-vous votre campagne ?
ACS : Nous allons privilégier la proximité. Chaque centre de vote (Marseille, Paris, Bordeaux, Lyon) va programmer sa campagne. Nous avons mis en place plusieurs équipes qui vont sillonner Paris et l’Île-de-France. Lors de ces visites de proximité, nous irons vers des porteurs de voix qui ne sont pas des politiciens, vers des responsables d’associations. On organisera des meetings, mais ce seront des meetings de clôture de campagne.
OI : Mais l’âge du président Wade (86 ans) n’est-il pas un handicap ?
ACS : Ce n’est pas un handicap. Il jouit de toutes ses facultés mentales. Il réfléchit, il a des ambitions pour le Sénégal, il est présent, il occupe le terrain pour faire sa campagne.
OI : Vous avez des adversaires coriaces, notamment Macky Sall et Moustapha Niasse ?
ACS : A un moment, c’est Macky Sall qui a occupé le terrain dans la diaspora. Quand on va à la rencontre de nos compatriotes à Paris et en province, ils nous disent que s’ils parlent de Macky Sall, c’est parce qu’ils ne nous voient pas.
Pour Moustapha Niasse et Tanor Dieng, dans nos tournées, les militants nous disent qu’ils les ont essayés et qu’ils n’ont rien fait. Donc nous n’avons pas peur d’eux. Je pense que nous avons renoué les contacts avec nos militants et nos sympathisants. Espérons qu’avec le travail que nous avons à accomplir, avec Zakaria Diaw et sa délégation, va porter fruit le 26 février prochain. Le mot d’ordre, c’est identifier les électeurs qui vont voter pour nous. On sait qu’il y a des points forts et des points faibles. On mettra l’accent sur nos points faibles. Il y a des villes qui ne nous sont pas favorables, mais elles ne sont pas nombreuses. C’est le cas d’Étampes, Orléans. A Marseille, Nice, Toulouse, au Havre, nous n’avons pas d’opposition en face de nous. On mettra les bouchées doubles dans ces villes pour gagner haut la main en France.
Propos recueillis par Moustapha Barry