Depuis qu’il s’est épris de la Patagonie dans les années 60, le milliardaire américain Douglas Tompkins, ancien fondateur des marques Esprit et The North Face, a décidé d’y acheter des milliers d’hectares afin de les protéger des nuisances humaines. Projet philanthropique ou délire de milliardaire, peut-on acheter la planète pour la sauver ?
A l’heure actuelle le couple Tompkins, Douglas et sa femme Kristine, est à la tête d’un empire vert de plus de 800 000 hectares de réserves, répartis entre 11 parcs naturels en Argentine et au Chili (surface équivalente à environ trois fois le Luxembourg). Leur principale réserve est le parc Pumalin en Patagonie chilienne (3200 km2), déclaré sanctuaire de la nature par l’Etat Chilien.
Un projet écologique indiscutable
Il faut dire que les Tompkins sont les ardents défenseurs de la « deep ecology », cette philosophie prônée par le Norvégien Arne Naess qui prêche « l’abandon de la société techno-industrielle », leurs terres sont donc rendues à la nature sans aucune trace de présence humaine.
Une reforestation minutieuse permet à la terre de se remettre de l’élevage intensif, beaucoup pratiqué en Amérique latine, et engendre de fait le retour de certaines espèces animales.
Pour celui qui affirme que l’extinction des espèces représente le danger majeur pour l’avenir de la planète et de l’humanité, il était devenu indispensable de mettre sa fortune au service d’actions concrètes pour sauver la nature. Le philanthrope écolo a donc « acheté son premier terrain sans réfléchir », détruit tout ce qui était grillage, barbelé, digue et autre structure fabriquée par l’homme, pour que la nature puisse reprendre ses droits.
Devant le succès de l’opération, le couple a continué son entreprise de préservation pour finalement créer le parc Pumalin, aussi vaste que l’immense Yosemite aux Etats-Unis. L’américain a couplé son initiative de réserve naturelle avec une dimension éducative. Afin que chacun comprenne l’importance de la protection de l’environnement, il a ouvert au public le parc Pumalin. Si l’entrée est gratuite, en revanche le séjour est exorbitant, ce qui permet de limiter les visiteurs à 10 000 personnes par an. Dommage, quand on sait que près de 7 milliards de personnes devraient être sensibilisées au respect de la nature.
L’intention est louable, mais le résultat désastreux
Etre américain et s’installer en Amérique latine sans être taxé de « gringo » est déjà difficile, mais c’est mission impossible lorsque l’on est américain, milliardaire et que l’on achète des hectares de terre sauvage comme les chiliens achètent des fruits. Autant dire que l’initiative de Tompkins est loin de recueillir l’unanimité dans une région ou la présence américaine a longtemps été synonyme de soutien à des dictateurs ou coups d’Etat.
Inutile pour autant de donner foi aux accusations délirantes dont le couple fait l’objet, comme de vouloir instaurer un nouvel Etat sioniste, remplacer le bétail local par des élevages de bisons américains, sans oublier les espions au service de la CIA. Mais au delà de l’extravagance, l’initiative de celui que les paysans nomme « l’étranger » pose un réel problème tant la différence de culture est abyssale.
Tompkins achète des terres, qu’il rend complètement sauvages mais qui sont originellement dédiées à l’agriculture. Il prive ainsi les populations locales de revenus mais surtout d’aliments de base, ce que les habitants ne lui pardonnent pas.
L’antipathie est d’autant plus grande que la plus partie des agriculteurs ne possède pas de titre de propriété pour la terre qu’ils exploitent, rendant encore plus aisé leur rachat par le « yankee ». Ceci sans parler du fait qu’il poursuit en justice tous ceux qui utilisent des digues d’irrigation et des engrais, provoquant la ruine d’un certain nombre de cultivateurs.
Il semblerait que les Tomkpkins n’aient pas compris qu’acheter des terres arables pour en faire des forêts protégées dans un pays où l’agriculture est le fondement de l’économie pouvait être un problème. Peut-être faudrait-il leur rappeler que l’Homme aussi fait partie de la biodiversité de notre belle planète.
Laurie Mathy