Vendredi dernier, le Turkmenistan a assisté à la cérémonie d’investiture de son président Gourbangouly Berdymoukhamedov, réélu pour cinq ans. Sa victoire annoncée le 13 février, avec un score de 97,14 %, n’a surpris personne. L’OSCE, qui avait initié une mission d’observation, a même abandonné son action devant la tournure théâtrale que prenait le contexte électoral. Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, spécialiste du Turkménistan, actuellement chercheur au Centre des droits de l’Homme de la Faculté de droit de McGill university au Canada, a accepté d’éclairer les logiques qui assurent actuellement la pérennité du pouvoir Turkmène.
A son arrivée au pouvoir en 2006, Berdymoukhamedov s’est attaché à afficher les signaux d’une démocratisation du régime. Successeur du caricatural Saparmyrat Niyazov, décédé d’une crise cardiaque, il semble alors amorcer un virage politique.
“Pas de rupture depuis l’indépendance en 1991”
Le culte de la personnalité de Niyazov est démantelé. Ce dernier avait notamment fait installer une statue à son effigie, pivotant au rythme du soleil, instauré une modification calendaire et rebaptisé les mois de l’année du nom de ses proches. Une réforme constitutionnelle est même adoptée en 2008. Mais la sobriété de Berdymoukhamedov ne doit pas leurrer, son autoritarisme n’en est pas moins d’une redoutable efficacité. Les réformes visent plus à maquiller l’absence de rupture.
Comme nous l’explique Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, « depuis la chute du régime soviétique, le pays reste très fermé. Il n’y a pas eu de réelle rupture depuis l’indépendance, en 1991. » Berdymoukhamedov, souvent présenté comme un médecin qui n’était pas destiné au pouvoir, a en fait incarné le consensus et la continuité à la mort de Niyazov.
Les réformes politiques n’ont été que cosmétiques , telles que «l’annonce en fanfare de la fin du système de parti unique en 2010, avec la création de partis d’opposition”. Le clan majoritaire Téké est resté au pouvoir et continue d’occuper les hautes fonctions politiques et de bénéficier d’avantages.
A l’exception d’une réforme du système de protection sociale, notamment une revalorisation des retraites, les richesses tirées des ressources naturelles ont largement été utilisées pour moderniser la capitale, Achgabat. Celle-ci fait office de vitrine du régime, mais sa modernité éclatante souligne les inégalités criantes existant au Turkménistan. En province, l’état des infrastructures est archaïque.
La construction d’une victoire écrasante
Pour Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, si le président n’a pas joué le jeu démocratique avec l’Occident pour ces élections –comme en témoigne son score exubérant– c’est qu’il se sent capable de résister aux pressions extérieures. Ayant “pris de l’assurance avec les années”, il marche désormais sur les pas de Niyazov. Il instaure peu à peu son propre culte de la personnalité et de sa famille.
Le système est parfaitement huilé, de sorte que l’obtention d’un score de 97 % n’a probablement nécessité aucun trucage. La recette est la même qu’au précédentes élections, en 2007 : le président préside la Commission électorale et “choisit lui même les autres candidats, de parfaits inconnus.”
Depuis 1993, à l’arrivée au pouvoir de Niyazov, l’opposition a été purgée. Aujourd’hui divisée dans l’exil, notamment en Russie et en Europe, elle peine à se structurer. La dissidence est sévèrement réprimée et la liberté de la presse est contrôlée de près. Plus que les groupes politiques, ce sont les narcotrafiquants “opérant dans le pays” qui, disposant d’un réseau international, sont susceptibles de nuire au pouvoir.
La rente dégagée par les ressources énergétiques turkmènes permet au pouvoir de maintenir une importante machine de contrôle. Bien qu’il soit impossible d’avoir des chiffres précis concernant le budget Turkmène, on peut penser que la propagande et la répression occupent une part importante des dépenses de l’Etat.
La stratégie du bâton n’a pas fonctionné
Le Turkmenistan, situé aux confins de l’Iran et de l’Afghanistan, dispose de la quatrième réserve de gaz au monde. Autant dire que les puissances occidentales préféreraient ne pas se le mettre à dos.
L’Union européenne a ainsi renoncé à faire pression sur le régime. En 2002 et 2003, deux résolutions du Parlement européen condamnaient les violations de droit de l’Homme. Depuis, la stratégie de la carotte a succédé à celle du bâton, consistant “à signer des accords commerciaux et à renforcer la coopération”. Mais, comme le souligne Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, si cette stratégie est peut-être plus bénéfique au regard de la population qu’une stratégie d’isolation et de stigmatisation, l’UE doit être plus ferme sur la conditionnalité. Dans les traités de partenariat, le respect de la démocratie et des droits de l’Homme est en effet posé comme une condition sine qua non de la coopération.
En plus de leurs imports de gaz naturel, les entreprises occidentales réalisent des investissements profitables dans la République socialiste, qui seraient menacés en cas de troubles politiques. La France est présente depuis le début des années 90, d’abord avec Bouygues bâtiment, rejointe récemment par son concurrent Vinci.
Les Etats-Unis s’appuient, depuis 2001, sur le Turkménistan dans la lutte contre le terrorisme et sont donc relativement tolérants vis-à-vis des excès du régime.
« En réalité, les Occidentaux n’ont pas vraiment les moyens de faire pression sur le régime, car ils ont davantage besoin du Turkménistan, pour des raisons de sécurité énergétique, que le Turkménistan n’a besoin d’eux ». Ses principaux partenaires commerciaux, la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie, sont des régimes autoritaires « qui ne posent pas de question sur les violations des droits de l’homme. »
Carine Dréau