A l’occasion de la première Mensuelle d’Opinion Internationale le lundi 5 mars 2012, entretien avec notre invitée d’honneur Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France.
Amnesty International France a publiquement soumis à tous les candidats à l’élection présidentielle une série de 10 engagements à prendre pour le prochain quinquennat (disponible sur www.amnesty.fr/10engagements.) Où en êtes-vous aujourd’hui ? Qui a signé ?
Pour l’instant trois candidats ont approuvé l’ensemble de nos dix propositions et se sont engagés formellement : Eva Joly, Corinne Lepage et Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes en attente de la réponse des autres candidats, certains ne s’étant déclaré que récemment. Nous avons des retours indiquant que certaines de nos propositions font débat, notamment celle sur la garde à vue (NDLR : Amnesty propose que ce soit un juge, et non plus le procureur, qui soit en charge du contrôle des mesures de garde à vue).
La démarche que nous proposons est réellement engageante. Lors de l’élection de 2007, nous avions demandé l’approbation d’une charte, mais c’était finalement assez vague. Nos dix propositions de cette année sont sous forme de « cases à cocher » ce qui nous permet de voir qui se déclare prêt à s’engager concrètement sur des mesures précises.
Pourquoi n’incluez-vous pas dans vos propositions la possibilité pour les étrangers de pouvoir voter aux élections ?
Amnesty n’a pas souhaité prendre de position sur ce sujet. Dans nos propositions, nous mettons fortement l’accent sur la situation des gens du voyage, qui, alors qu’ils sont Français, doivent justifier de trois ans de résidence sur une commune pour avoir le droit de vote. Pour nous, c’est inadmissible.
Nous refusons qu’il y ait des discriminations en termes de droit entre les différentes personnes sur la base de leur appartenance à un groupe ethnique ou social particulier. La question du droit de vote des étrangers, elle, est une considération strictement juridique, ce n’est pas, à nos yeux, une discrimination.
Le 8 mars prochain aura lieu la Journée internationale des droits de la Femme. De 2004 à 2010, vous aviez lancé une grande campagne contre les violences faites aux femmes. Quels ont été les résultats et comment vous positionnez-vous aujourd’hui ?
Depuis cette campagne, nous avons changé notre approche de la défense des droits des femmes, pour adopter une approche plus transversale. Après avoir souligné les violences portées contre les femmes partout dans le monde, nous opérons un glissement progressif vers la défense de leurs droits économiques, sociaux et culturels.
Nous voulons sortir de la logique de victimisation des femmes qui dominaient dans nos actions passées. Bien sûr qu’il faut faire prendre conscience de la gravité des violences sur les femmes, mais nous voulons aussi mettre en avant leur place dans la société. Par exemple, nous avons récemment effectué une campagne en Afrique contre la mortalité des mères lors d’un accouchement. L’idée était de montrer que quand une femme meurt dans ces conditions, plus qu’un drame humain, c’est aussi une catastrophe économique et sociale pour la communauté où elle vit : famille orpheline, risque d’abandon d’enfants…
Et concernant la place des femmes, quels espoirs ou craintes vous inspirent les évolutions des pays d’Afrique du nord après le « Printemps Arabe » ?
On a des espoirs importants, mais bien sûr l’arrivée de partis religieux, potentiellement extrémistes, suscite notre inquiétude. On sait que l’égalité n’émergera pas du jour au lendemain, d’autant qu’elle représenterait une perte de pouvoir pour les hommes. De plus, je crains une volonté de vouloir rejeter « en bloc » tout ce qui est issu des régimes renversés, y compris les droits que les femmes avaient au moins réussi à acquérir. Mais des femmes ont fait cette révolution aux côtés des hommes, et beaucoup refuseront de revenir en arrière. J’étais en Tunisie récemment, à la rencontre de féministes tunisiennes, et leur message vis-à-vis de l’oppression faite aux femmes était très clair : « plus jamais ! »
Je pense que les pays occidentaux ont un rôle à jouer, en refusant tout d’abord le silence complice lorsque des violences sont constatées. Ensuite, je tiens à rappeler que certains pays soutenaient le régime de Ben Ali en mettant en avant le respect du droit des femmes qui prévalait alors. Qu’ils fassent pareil aujourd’hui !
Comment jugez-vous la place qu’occupent les droits de l’homme dans le paysage médiatique français ? Les idéaux que vous défendez sont-ils efficacement relayés ?
Quand Amnesty sort un rapport soulignant telle ou telle dérive, nous sommes en général assez bien relayés. Je m’étonne cependant que les médias occultent totalement la réalité dans certains pays (l’Arabie Saoudite, la place des femmes en Iran…) Je regrette aussi le traitement trop ponctuel, opportuniste parfois, de la question des droits de l’Homme. Il se passe en ce moment des choses terrifiantes en Libye, et personne n’en parle, comme si plus rien n’existait depuis la fin de la révolution.
Il ne faut pas oublier que dès que les yeux de la communauté internationale se détournent, la situation des droits humains s’aggrave. D’où la nécessité que les médias puissent proposer une vision continue de ces questions.
propos recueillis par Damien Durand
Retrouvez Geneviève Garrigos lundi 5 mars à partir de 19 h à la 1ère Mensuelle d’OI au Dupont Café 25 bd de Sébastopol 75001 Paris
Entrée libre sur inscription : [email protected]