La Citoyenne
12H05 - mercredi 7 mars 2012

« Libres parisiennes » pour libérer la Syrie. Entretien avec Sarah Husseini, animatrice de ces « femmes » syriennes engagées en France pour la révolution

 

 

 

Dans un contexte de guerre civile de plus en plus sanglante et alors que l’opposition au régime Assad peine à s’organiser, les femmes syriennes, souvent victimes de toutes sortes d’exactions de la part du régime en place, ont décidé de briser le tabou et revendiquent elles aussi le départ de Bachar Al-Assad. Rencontre avec des femmes regroupées dans l’association des « Libres parisiennes » qui ont des allures de sans-culottes à la conquête de la Bastille : sur le pavé de Châtelet (Paris) toutes les semaines, elles revendiquent haut et fort leur part et leur place dans la révolution syrienne.

 

 

OI – Alors Sarah Husseini, c’est quoi les Libres parisiennes ? Une revue mondaine ? une association parisienne ?

 

Sarah Husseini – C’est un rassemblement des femmes libres d’origine syrienne ou française qui soutiennent la liberté en Syrie et surtout la liberté des femmes. On peut nous trouver sur Facebook (en arabe) :

 

Les femmes ne sont pas libres en Syrie ?

Il y a la répression du régime Assad qui opprime toute la société. Du coup, quand les hommes rentrent chez eux le soir, ils se vengent sur leurs épouses. Après cette révolution, je vous promets une révolution féminine.

 

« Assad arrive au bout. Il n’a plus rien. »

 

Selon vous, quelle est la situation exacte en Syrie aujourd’hui ? Est-ce une guerre civile ? Un soulèvement populaire ? Une guerre de libération ?

 

C’est une révolution : le peuple veut la chute d’un régime qui a fait une guerre contre les civils. Au début, il a utilisé les Shabiha [hommes armés habillés en civils à la solde du régime, ndlr]. Il a fait sortir tous les bandits de prison. Il les a armés et ils ont commencé à tuer les gens dans leurs maisons dès qu’ils ouvraient la bouche. Après, le régime a amené les chars et maintenant on a les avions qui bombardent. Assad arrive au bout. Il n’a plus rien.

 

Pourquoi la révolte a éclaté il y a à peine 18 mois. Pourquoi cela n’a pas éclaté il y a cinq ans, il y a dix ans ? C’est un régime qui est en place depuis de nombreuses années.

 

Cela fait 43 ans que la famille Assad est au pouvoir. Et si ça éclate maintenant, c’est parce qu’on a vu à la télévision l’étincelle en Tunisie, en Libye, en Egypte. Nous nous sommes dits : “pourquoi pas nous ?” On a un régime pire que ceux qui sévissaient en Tunisie, en Libye, en Egypte, au Yémen. Assad n’hésite pas à assassiner son peuple. Pourquoi nous on ne bougerait pas ?

 

Le fait qu’il soit toujours en place ne veut-il pas dire qu’il a aussi des appuis dans la population syrienne ?


C’est sûr. Il a des appuis, on ne le nie pas. Mais ces appuis, c’est qui ? C’est sa famille. C’est un gang. C’est une mafia. Les gens qu’il a corrompus. Des gens qui vivent sur le dos des autres. Ils ont tout à perdre et nous tout à gagner. Ceci dit, on enregistre des désertions dans son camp. Mais beaucoup plus de ses soutiens voudraient le lâcher mais il ne le peuvent pas par chantage.

 

En tant que militante, est-ce que vous êtes satisfaite de la façon dont s’organise l’opposition au régime ou cela vous indiffère-t-il ?


Ha non, ça ne m’indiffère pas du tout. Je ne suis pas satisfaite, même très mécontente. Parce que ça fait 43 ans que les gens n’ont pas le droit de parler. Ils ne sont pas organisés. Et même si des gens ont des idées politiques ou autres, ils n’ont pas la pratique. Donc on apprend. Le peuple sera amené à voter le moment venu pour choisir ses dirigeants.

 

 

Êtes-vous pour une intervention étrangère  en Syrie ?

 

Je ne suis pas pour mais ils auraient pu soutenir plus tôt l’opposition, fermer les ambassades, changer les drapeaux, isoler davantage le régime.

 

« 5 millions de Syriens qui n’ont plus de maison, qui errent dans toute la Syrie au gré des bombardements et des violences…»

 

 

 

La France est le premier pays qui a reconnu l’opposition qui s’organise comme seule représentante légitime de la Syrie. Qu’en pensez-vous ? Et alors que les Amis de la Syrie se sont à nouveau réunis cette semaine à Casablanca (Maroc).

 

Nous la remercions. Même les Etats-Unis ont suivi enfin et la communauté internationale avec, à l’exception de la Russie et de la Chine. Cela arrive tard cependant. On a 60 000 morts, 40 000 disparus, 5 millions de gens qui n’ont plus de maison, 1 million de réfugiés hors des frontières, qui errent au gré des bombardements, des déplacements et des violences. En plus des réfugiés qui sont en Jordanie, en Irak, en Turquie.

 

 

Parlons des femmes aujourd’hui en Syrie et dans le monde arabe : si l’on résume la situation, aucune femme que j’ai pu rencontrer ne regrette ces révolutions mais toutes souffrent parfois plus qu’avant dans leur condition de femmes. Le machisme, les violences conjugales, le harcèlement sexuel dans les lieux publics se multiplient, des partis opposés à l’égalité entre les sexes gagnent des élections… Ces révolutions sont-elles un progrès pour les femmes ?

 

Pour moi, oui. Même si c’est ce prix à payer…C’est comme en France quand il y a eu la guerre. Les hommes étaient au combat et les femmes prenaient en charge la maison. Elles vont se rendre compte qu’après tout, elles peuvent y arriver. Elles se trouvent seules responsables des petits et des personnes âgées. Les jeunes et moins jeunes sont soit en prison, soit morts. Pour moi, elles participent à la révolution. Les femmes font partie de la Syrie, elles ont un rôle énorme à jouer.

Après, on a des cultures, des habitudes, des choses qu’il faut modifier, ça prendra du temps. Il faut d’abord passer par une bonne éducation. Une fois qu’on a une bonne éducation, les esprits vont être beaucoup plus ouverts. Mais ce qu’on regrette amèrement aujourd’hui, ce sont les viols dans les prisons. Quand elles sont arrêtées, elles sont violées. Et ces femmes là, elles n’ouvrent pas leurs bouches. Elles ont honte. Or, pour moi il n’y a pas de quoi avoir honte. Honte à ceux qui l’ont violée. Pas à elle, elle n’a rien fait. Honte aux hommes qui n’acceptent pas ces femmes là.

 

Vous avez beaucoup de témoignages de femmes violées en prison ?

 

Il y en a malheureusement beaucoup. Certaines personnes nous disent : « Restez à la maison parce que vous allez vous faire violer si vous sortez. » Nous, on dit NON. On sort, on se bat.

 

Généralement, les révolutions s’accompagnent d’une révolution sexuelle . J’imagine que pour le monde arabe où la relation entre l’homme et la femme est parfois complexe pour ne pas dire parfois inégale, la révolution va avoir lieu.

 

Mais en Syrie, la femme vivait bien. En même temps, elle n’était pas libre et vivait sous le poids des normes de la société.

 

J’ai l’impression que Paris est une des grandes capitales de la Syrie.

 

La France aide beaucoup. Elle donne pas mal de visas aux réfugiés syriens qui sont nombreux. On a des jeunes qui viennent, des hommes politiques qui étaient en prison et qui viennent ici.

 

« Que tous ceux qui ont tué on soient jugés chez nous, pas à la Haye. Parce que sinon c’est parti pour 50 ans de procès ! »

 

La France et la Syrie ont une histoire commune puisque la France a occupé la Syrie.

 

Mais elle n’a pas fait autant de mal que le régime Assad. Pourtant on regrette beaucoup que la France nous a occupés. Ce n’était pas une période mirobolante, ni pour nous, ni pour un pays des droit de l’homme comme la France. Nous en avons hérité un attachement,  nos grands-parents parlent français.

 

Vous ne craignez pas l’arrivée au pouvoir des islamistes après la chute du régime ?

Pas du tout. Ça, c’est l’invention de l’Occident, selon moi. Je prie mais je ne suis pas islamiste. Pour moi, l’islamisme n’existe pas. Nous sommes un pays musulman. Et c’est le peuple qui décidera de la forme de régime à mettre en place. Si ce sont les islamistes qui remportent les élections, nous l’accepterons. Si leur démarche ne nous plaît pas, à nous de faire quelque chose. Je peux vous garantir que les Syriens sont des gens croyants mais très modérés.

 

Le conflit syrien n’est-il pas aussi un conflit confessionnel entre alaouites, sunnites, chrétiens…?

 

La Syrie est dirigé par un régime alaouite mais ils ne sont pas majoritaires. Ils ne représentent que 16% de la population. Ils se sont appuyés sur les autres minorités comme les chrétiens pour consolider leur régime. Mais cela ne fait qu’un quart de la population. Dans le régime d’Assad, il y a en première ligne les alaouites, et ensuite les chrétiens.

 

Je suis donc à la fois très remontée contre les chrétiens qui soutiennent Assad mais en même temps, je leur dis : Assad va tomber mais vous, vous allez rester car cela fait des milliers d’années que nous vivons ensemble. Ils ont toujours vécu avec nous, même avant l’arrivée d’Assad. C’était pareil avec les juifs avant qu’ils ne partent, ils étaient Syriens avant tout. L’instrumentalisation confessionnelle va s’effondrer avec la chute du régime Assad. Je rappelle que l’Islam reconnaît les juifs et les chrétiens.

 

Vous pensez que la Syrie abolira la peine de mort un jour ?

 

On l’abolira, oui. Mais ce sera après avoir pendu Bachar.

 

Que demandent aujourd’hui les Libres Parisiennes ?

La chute de régime, justice pour tout le monde. Que tous ceux qui ont tué soient jugés chez nous, pas à la Haye. Parce que sinon c’est parti pour 50 ans de procès ! Que l’argent détourné à l’étranger par Assad nous soit restitué. Et que les Russes payent toutes les destructions occasionnées par leur allié Assad.

 

 

 

Si vous aviez un message à faire passer à l’Opinion Internationale…

 

Deux messages : aux peuples tout d’abord. Nous remercions ceux qui nous soutiennent. Ceux qui ne savent pas ce qui se passe, nous leur demandons d’écouter les médias. C’est une guerre contre les civils. Ceux qui disent ne pas vouloir d’islamistes, nous tenons à les rassurer. Il n’y a pas d’islamistes. Ce sont les Syriens qui prennent en main leur destin.

Aux hommes politiques, qu’ils arrêtent leur double jeu. Si nous avions du pétrole, la communauté internationale serait déjà intervenue.

 

Propos recueillis par Michel Taube

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