Alors que la France et l’Europe, de manière générale, restent assez frileuses quant à la culture des organismes génétiquement modifiés (OGM), ces derniers se développent considérablement au niveau planétaire.
En effet, selon un rapport du Service international pour l’acquisition d’applications agricoles biotechnologiques –ISAAA– (un think tank[1] qui vise à promouvoir la culture des OGM), en 2011 les cultures d’OGM auraient progressé de 8 % atteignant 160 millions d’hectares et 16,7 millions d’agriculteurs.
Engouement pragmatique des pays en voie de développement
Il semblerait que les dangers potentiels, liés au Frankenfood[2], n’aient pas atteint les pays émergents. Il faut dire que lorsque l’on doit faire face aux insectes nuisibles, aux sécheresses, aux inondations ou encore aux agents pathogènes, tout en garantissant la subsistance d’une population en augmentation, il n’est pas étonnant que l’on mise tout sur la manipulation génétique. Ainsi, selon le rapport de l’ISAAA publié en février 2012, sur les 29 pays dans lesquels des agriculteurs ont semé des OGM, 19 sont des pays en voie de développement. Ils ont, par ailleurs, connus une augmentation de ces cultures de près de 11 % en 2011, soit un niveau 2 fois plus élevé que dans les pays industrialisés.
Se placent en tête du classement la Chine, l’Inde, le Brésil ou encore l’Afrique du Sud (BRICS). Ces derniers vont même jusqu’à subventionner ces cultures. On trouve alors des pommes de terre sud-africaines qui repoussent les papillons, des laitues brésiliennes qui contiennent plus d’acide folique, riche en vitamine B propice au développement neurologique, tandis que la Malaisie fortifie les papayes contre le virus « ringsot » (PRSV), transmis par les insectes. L’Institut agronomique brésilien, quant à lui, tente de créer des haricots noirs capables de survivre au virus mosaïque (qui peut endommager jusqu’à 90 % des récoltes). Il semblerait que les BRICS aient pris la mesure des défis qui les attendent du fait de l’explosion démographique. Alors qu’ils regroupent déjà actuellement plus de 40 % de la population mondiale, il faut bien trouver une solution pour nourrir les 200 000 bouches qui naissent chaque jour, faisant grimper la population mondiale à 9 milliards d’ici 2050.
La dualité européenne
L’extension urbaine, le réchauffement climatique, la diminution des ressources en eau ou encore l’érosion, sont des phénomènes avérés qui entraînent inévitablement la perte de terres arables. Aujourd’hui, il faut donc produire plus avec moins de terres : la logique serait donc de ne pas attendre les croisements naturels qui peuvent prendre des décennies mais avoir recours aux OGM. Cette situation est tout à fait admise par les pays développés et notamment par l’Europe. Pourtant, une division sur la question empêche toute politique constructive.
En Europe, bien que les OGM soient autorisés (suivant des obligations bien précises inscrites dans la directive 2001/18/CE), ils occupent seulement 114 490 hectares dans 8 pays que sont l’Espagne, le Portugal, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie. A noter que l’Allemagne fait très fort en cultivant en tout et pour tout… 2 hectares d’OGM. Si l’agriculture est une question éminemment sensible au sein de l’Union européenne, la culture des organismes génétiquement modifiés est, elle, un point de discorde. D’un côté la Commission européenne, conspuée par les ONG environnementales, joue la carte d’une campagne pro OGM. En 2009, elle tentait de relancer l’autorisation des cultures des variétés de maïs génétiquement modifiés BT 11 et BT 1105, tout en s’attaquant à la clause de sauvegarde adoptée par la France contre le maïs de Monsanto MO810. Tandis qu’en juillet 2010, elle ouvrait le marché européen à 5 nouvelles mutations de maïs (autorisation de commercialiser mais pas de cultiver). Le Parlement européen, quant à lui, souhaite qu’une norme européenne soit votée, pour permettre à chaque Etat de pouvoir interdire sur son territoire ces types de cultures, tout en invoquant des critères sanitaires ou environnementaux. Enfin, les Etats mènent individuellement leur propre bataille, la France étant, par exemple, résolue à maintenir son moratoire contre le maïs MON810 de la firme américaine Monsanto.
Dans cette cacophonie européenne, il est difficile de dire si le rempart aux Organismes génétiquement modifiés tient d’une véritable volonté d’agir au nom du principe de précaution, mais dans ce cas pourquoi la Commission ne joue-t-elle pas le jeu ; ou alors s’agit-il d’un caprice de pays riches qui refusent un gain productivité pour ne pas froisser leurs agriculteurs ?
Laurie Mathy
[1] laboratoire d’idées