Entretien avec Christophe Ventura, secrétaire national aux relations internationales du Parti de Gauche, au nom de Jean-Luc Mélenchon
OI : Quelle importance donnez-vous au combat pour les droits humains en France ?
La France est un pays qui dispose de droits et d’acquis indéniables, notamment politiques. Par rapport à d’autres pays, le niveau des droits y est bien supérieur. Cela dit, on observe ces dernières années une dégradation progressive et permanente, des droits sociaux en particulier. L’accès à de nombreux droits formels régresse voire est empêché. Les populations immigrées et/ou migrantes sont, à ce titre, les plus touchées. Elles rencontrent des problèmes liés au logement, aux salaires, à la santé, au contrat de travail. De même, les travailleurs sont mal informés de leurs droits dans l’entreprise et n’osent pas se syndiquer alors que le pouvoir des patrons et des cadres se renforce.
On constate également une dégradation de l’application réelle du droit syndical. Des droits sociaux ont été remis en cause. Ainsi du droit de grève avec l’instauration du service minimum par exemple.
On pourrait également parler de la question de l’état des libertés publiques dans notre pays lorsque 1% de la population a subi une garde à vue en 2008 ! Cela représente une augmentation de 50 % en quelques années. C’est souvent lors de manifestations que les citoyens sont victimes de cet abus de pouvoir policier. Un autre problème se développe avec l’intensification des réseaux sociaux sur la Toile. De plus en plus de citoyens sont surveillés par les services de renseignement et leurs données personnelles son mal protégées.
OI : Le droit de vote des étrangers aux élections locales ne fait pas partie du calendrier des cent premiers jours ni de la première année de François Hollande s’il est élu. Quelles seraient votre mesure phare en matière de politique intérieure pour y promouvoir les droits humains de façon décisive ?
Pour nous, les choses sont claires. Nous sommes pour le droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers aux élections locales. Dès 2014, cette mesure devra être opérationnelle. Par ailleurs, vis à vis des étrangers – dont le traitement est un révélateur emblématique de la manière dont une société envisage sa conception des droits humains -, nous rétablirons la carte unique de 10 ans et le droit au regroupement familial. Nous abrogerons les lois successives sur l’immigration adoptées par la droite depuis 2002, procéderons à une refonte du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Nous régulariserons les sans-papiers. Nous décriminaliserons le séjour irrégulier, fermerons les centres de rétention et rétablirons le droit de séjour pour raison médicale. Le droit d’asile sera, quant à lui, déconnecté des politiques migratoires. Enfin, nous établirons une nouveau Code de la nationalité fondé sur le respect intégral et automatique du droit du sol dès la naissance et sur un droit de naturalisation permettant à tous les étrangers qui le souhaitent d’acquérir la nationalité française au-delà de cinq ans de résidence.
OI : S’il était élu en mai prochain, Jean-Luc Mélenchon pratiquerait-il une politique fondée sur la dénonciation, la sanction et la répression de régimes dictatoriaux qui bafouent les droits humains ou choisirait-il le dialogue ou la négociation ?
Avec ce type d’État, pas de partenariat ni d’alliance possible. En revanche, nous tisserons des liens fondés, non sur la concurrence et la spoliation, mais sur la coopération et la solidarité avec les peuples et les États qui cherchent à construire la démocratie et la justice sociale et environnementale.
OI : Quelles lignes directrices pour inscrire les droits de l’homme dans votre politique internationale ?
Sur la scène internationale, nous mettrons un terme à la Françafrique et annulerons la dette des pays du Sud. Nous comptons sur un soutien populaire dans ces pays qui ferait tache d’huile et inciterait fortement d’autres gouvernements à nous imiter. De plus, la reconnaissance de la dette sociale et écologique de l’Occident vis-à-vis de l’Afrique est une priorité. Nous voulons créer une dynamique fondée sur la construction d’alliances nouvelles qui ne seraient pas occidentalo-centrées mais ouvertes à la multipolarité. La France est un pays universaliste. Sa famille n’est pas l’Occident mais le monde.
Ces alliances prendraient appui sur l’Amérique latine, le monde arabe (et la Méditerranée en particulier), tous les pays qui cherchent à imposer des normes de respect des droits de l’homme, notamment sociales et environnementales en matière de commerce international, avant tout critère financier.
OI : On pensait le pays stable et voilà que le Mali est coupé en deux. Quelle est votre analyse de la situation ? Et quelle serait la position de Jean-Luc Mélenchon dans de telles circonstances ? S’ingérerait-il ?
Comme beaucoup, nous sommes inquiets et, en même temps, restons dans l’expectative. La gestion de la situation doit revenir aux pays de la région et à l’Union africaine, ce qui est le cas depuis dix jours. Il faut éviter que la région ne devienne une poudrière.
Mais ce n’est certainement pas à la France ni même aux États-Unis de s’ingérer. Pratiquer une politique paternaliste et d’ingérence est totalement exclu par le Front de gauche, ni au Mali ni ailleurs. Nous ne reconnaissons qu’une seule institution légitime : l’ONU. Nous nous en remettons à un droit qui fabrique de la paix.
OI : L’Organisation des Nations Unies est-elle à la hauteur des missions qu’elle s’est fixée ?
Cette organisation nécessite d’être réformée et renforcée. Il faut renforcer le pouvoir de l’assemblée générale de l’ONU et revoir les contours du conseil de sécurité. Le monde a évolué depuis Yalta. Des pays ont émergé. Il faut également augmenter les pouvoirs de direction des agences onusiennes comme la CNUCED [Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement], le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) etc.. Enfin, il faut intégrer les enjeux environnementaux qui sont au cœur des droits des personnes et des peuples : la raréfaction des ressources naturelles comme l’eau laisse présager une multiplication des conflits locaux et régionaux. C’est la raison pour laquelle, en plus des droits sociaux et politiques, nous nous battons pour faire intégrer aux droits humains fondamentaux des droits environnementaux. Dans cette perspective, nous nous engageons pour la création d’un Tribunal international de la justice climatique sous l’égide de l’ONU.
Propos recueillis par Farida Cherfaoui