Il n’y a pas qu’en France (avec le vide juridique laissé par l’annulation par le Conseil constitutionnel de la loi sur le harcèlement sexuel) que les droits des femmes sont un combat permanent…
Aux Etats-Unis, la fameuse loi VAWA (Violence Against Women Act, VAWA) contre les violences faites aux femmes est menacée par la Chambre des représentants. Le Sénat a voté son renouvellement le 26 avril mais la Chambre basse risque de mettre à bas la dite législation au profit d’un dispositif de substitution rétrograde.
L’enjeu est de taille : selon des statistiques publiées en décembre 2011 par le Centre américain de contrôle et de prévention des maladies (Center for Disease Control and Prevention, CDC), aux États-Unis, une femme sur quatre a été au cours de sa vie victime de violences graves de la part d’un partenaire, et près d’une sur cinq a été violée. Le CDC a établi qu’aux États-Unis, chaque minute, 24 personnes en moyenne sont victimes de viol, de violence physique ou de harcèlement.
La Chambre des représentants a voté, le 16 mai dernier, une proposition de loi qui viderait la loi VAWA de son contenu et de ses objectifs. Les femmes ne seraient pas les seules touchées. Ce sont toutes les personnes, enfants, hommes, lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, tous les discriminés, toutes les personnes victimes de violences sexuelles ou familiales, qui seraient concernées par une proposition de loi qui prévoit de leur retirer les possibilités de se défendre contre leur(s) agresseurs(s) et qui leur nierait le droit d’accéder à des services d’aide qu’une société solidaire prévoit d’apporter à ses victimes. Ne laissant rien au hasard, les populations immigrantes dont les droits sont bafoués ne seraient pas davantage épargnées là où la VAWA garantit certaines protections contre les discriminations.
« Pendant dix-huit ans, la Loi sur les violences faites aux femmes a constitué la pierre angulaire de la politique du gouvernement américain face au problème des violences infligées aux femmes », rappelle Meghan Rhoad, chercheuse pour les droits des femmes à l’ONG Human Rights Watch. « La loi est maintenant à la croisée des chemins : va-t-elle continuer d’évoluer et de s’améliorer, comme le prévoit la version du Sénat, ou sera-t-elle amputée de certaines de ses plus importantes dispositions protectrices si c’est la version de la Chambre qui l’emporte ? »
La loi VAWA demeure la principale loi fédérale américaine qui garantit des protections et des prestations juridiques aux victimes de violences et de harcèlement. Elle offre une base juridique aux différents services dédiés aux victimes tels que les centres de crise pour les victimes de viol, les logements temporaires pour les personnes ayant subi des violences familiales, ou encore les programmes de lutte contre les violences faites aux personnes handicapées. Depuis sa première adoption en 1994, la loi contre les violences faites aux femmes a vu son champ d’application s’étendre pour inclure d’autres populations, dont les immigrants.
Par exemple, certains des articles de loi modificatifs votés par la Chambre des représentants comptent compliquer les conditions d’octroi du statut d’immigrant aux épouses immigrées de citoyens américains ou de résidents permanents des États-Unis victimes de violences. Selon Meghan Rhoad, « le texte de la Chambre est un cadeau aux auteurs de violences. Il annulerait l’important travail accompli jusqu’ici par le Congrès pour assurer que les auteurs de violences ne puissent pas jouer de la menace d’expulsion comme moyen de pression pour réduire leurs victimes au silence et il remettrait les femmes dans la situation d’avoir à choisir entre être maltraitées ou être expulsées. »De plus, en votant en faveur de la prorogation de la loi VAWA, les sénateurs se sont également prononcés pour adopter des règles destinées à empêcher les abus sexuels dans les centres de détention pour immigrés.
D’autres articles proposés par des membres républicains de la Chambre des représentants cherchent à marginaliser le visa de type « U ». Ce visa, accordé à titre temporaire, autorise un immigrant victime d’un crime grave à demeurer aux États-Unis et aider la justice à faire son enquête et confondre les coupables. À l’opposé, non seulement le texte du Sénat maintient les dispositifs de protections des victimes, et augmente même, légèrement certes, le nombre de visas de type « U », mais il rétablit également la compétence des tribunaux dits « tribaux » des Américains autochtones, ou Amérindiens, pour des crimes ou violences perpétrés dans les réserves amérindiennes y compris si l’accusé n’en est pas issu.
Par ailleurs, avant que la proposition de loi ne soit soumise au vote de la Chambre des représentants, la Commission des affaires judicaires de la dite Chambre a rejeté des amendements au texte qui auraient apporté des protections aux lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) qui ne sont pas moins victimes de violences sexuelles ou familiales que les hétérosexuel(le)s. La Chambre cherche ainsi à les empêcher d’avoir accès aux mêmes droits, notamment l’accès aux services sociaux, comme les refuges pour victimes de violences, ou aux recours juridiques, comme les injonctions interdisant tout contact entre deux personnes.
Le vice-président américain, Jo Biden, l’un des auteurs de la première loi de 1994, a appelé le Congrès à adopter le texte qui protège toutes les victimes sans discrimination et qui continue d’améliorer la loi originelle. Quant au président lui-même, Barack Obama, ses conseillers se sont déclarés favorables à l’idée que ce dernier oppose son veto à la loi de substitution proposée par la Chambre des représentants.
Pour l’heure, explique Meghan Rhoad, « les membres du Sénat et de la Chambre des représentants doivent se rencontrer pour débattre des différentes versions avancées par les uns et les autres et tenter de les concilier. Quant au vote du Congrès, nul ne sait à quelle date précise il aura lieu. »
Et la chercheuse de Human Rights Watch de rappeler que « en reconduisant la loi contre les violences faites aux femmes, il s’agit de poursuivre les énormes progrès effectués depuis l’adoption de la loi en 1994. Nous ne sommes pas arrivés jusqu’ici pour permettre que des différends entre partis fassent dérailler la loi la plus importante des États-Unis pour la sécurité des femmes. »
Farida Cherfaoui