L’organisme global de microcrédit PlaNet Finance organise les 13 et 14 septembre 2012 le LH Forum, au Havre (d’où les initiales LH), qui réunit partisans et acteurs de l’économie positive. Arnaud Ventura, fondateur du Forum et co-fondateur avec Jacques Attali de PlaNet Finance, revient pour OI – Opinion internationale, sur les raisons de ce forum et les enjeux de l’économie positive.
Arnaud Ventura, vous dirigez PlaNet Finance et lancez la semaine prochaine au Havre le LH Forum ? C’est quoi au juste le LH Forum ?
Le développement croisé de la microfinance, du social business et de l’économie sociale et solidaire, ces 15 dernières années, ont fait émerger le concept de ce que nous appelons « une économie positive », véritable modèle émergent d’une économie utile à l’homme. La notion de « valeur partagée » irrigue de plus en plus les entreprises et les acteurs de l’économie. Bref, un nouveau type d’économie est en train d’émerger. Le LH Forum vient à point nommé pour permettre à ses principaux acteurs – ils seront plus de 90 venus du monde entier – de partager leurs expériences et de donner force à cette « économie positive »
Comment définiriez-vous l’économie positive ?
Pour commencer, c’est un terme qui a l’avantage de susciter la curiosité, d’intriguer. Il désigne l’attitude d’acteurs économiques, particulièrement des entreprises, souhaitant que leurs activités ait un impact positif sur la société, bien au-delà des bénéfices dégagés pour les actionnaires. Pour moi, c’est la source du concept.
L’un des visuels emblématiques du LH Forum est un dollar revisité. Cela traduit-il une volonté de décomplexer et dédramatiser le rapport à l’économie ?
Tout à fait. C’est aussi pour cette raison que le forum arbore la bannière de l’économie positive plutôt que de l’économie sociale et solidaire. Selon nous, il y a l’économie sociale et solidaire, l’économie tout court, et l’économie positive qui est vraiment à l’intersection. Elle prend les valeurs des deux autres et essaye d’en tirer le meilleur de chacune, conceptuellement et pratiquement. L’économie positive n’a pas de problème avec l’argent ou les mécanismes de marché tant qu’ils ne sont pas une fin en soi. Ce sont des moyens utiles et efficaces pour atteindre les objectifs et appliquer les principes de l’économie solidaire. On peut donc voir l’économie positive comme une synthèse. Son succès viendra de la mobilisation de tous les acteurs de l’économie, des multinationales aux plus petites entreprises issues du microcrédit.
Pourquoi avoir choisi Le Havre pour héberger le forum ?
Le Havre a été la première ville a répondre à nos sollicitations. La ville a accepté de le soutenir et de financer le forum. Par ailleurs, son image peut assez bien correspondre avec les valeurs de l’économie positive. Nous avons leur accord de principe pour plusieurs éditions du LH Forum.
Le Fonderie 47, qui sera présente au Havre, illustre-t-il bien cette économie positive ?
Il s’agit d’une entreprise new-yorkaise qui fabrique des bijoux en fondant des AK-47 (des kalachnikovs). Ses créateurs, John Zapolski et Peter Thum, se sont dit que les armes sont à la source du problème des enfants – soldats en Afrique. Ils ont donc décidé d’offrir une compensation pour que les gens acceptent de s’en séparer. En clair, ils achètent leurs armes pour les « recycler » en bijoux tendance. Fonderie 47 leur offre un débouché économique.
Dans le même état d’esprit, Sambazon et Harmless Harvest sont deux entreprises qui travaillent avec les Indiens d’Amazonie pour lutter contre la déforestation. L’objectif, c’est d’inciter les Amérindiens à garder leur terres : au lieu de les vendre à l’agriculture intensive, ces deux entreprises leur achètent les fruits sauvages qu’ils récoltent depuis toujours sur leur terre. Ils en commercialisent ensuite le jus. Harmless Harvest s’est alliée avec Danone pour cela. Ces projets permettent de stabiliser les communautés locales.
Revenons sur l’économie positive et essayons d’en mesurer son impact sur l’économie réelle et la société. Se développe-t-elle véritablement ?
À PlaNet Finance, nous sentons que l’idée s’est fortement développée ces dernières années. Malheureusement, il n’existe pas de statistiques précises. Il est donc difficile de savoir si les entreprises de ce type sont plus nombreuses. Nous pouvons seulement supposer à travers notre propre activité, qu’un intérêt accru pour ces thématiques est présent dans le monde, en Asie surtout, mais aussi en Afrique et ailleurs. À terme, nous espérons que le LH Forum permettra de produire un rapport annuel sur l’état de l’économie positive, en France ou en Europe, voire dans le monde.
L’économie positive peut-elle être un facteur de développement ?
Oui, prenons le cas du Dr. Bindeshwar Pathak, très connu en Inde, qui clôturera le Forum. En 20 ans, il a changé le pays grâce à un modèle d’économie positive. Quand il a lancé sa société, les toilettes n’existaient pas dans le pays. Les gens se soulageaient à l’air libre ou dans des seaux. C’étaient des intouchables, le plus souvent des femmes, qui se chargeaient d’évacuer les excréments des endroits publics comme privés. Elles les amenaient jusqu’aux cours d’eau où elles les jetaient. Le Dr. Pathak a créé Sulabh International Social Service, une entreprise sociale dont l’objectif est de créer des toilettes dans les bâtiments publics puis privés. Des millions d’intouchables ont ainsi pu changer de vie en ne faisant plus cette vile activité. Aujourd’hui, son entreprise fait 100 millions d’€ de chiffre d’affaire par an.
Quel a été l’impact du printemps arabe sur les activités liées à l’économie positive ?
Dans un premier temps, nos opérations dans la région ont dû être suspendues à cause de l’incertitude liée à l’instabilité de la période révolutionnaire. Ensuite, les gouvernements qui sont en train de se mettre en place ne sont pas forcément très favorable à ce type d’activités qui, souvent par exemple, mobilisent des femmes. En Tunisie, nous avons des projets de microfinance mais nous observons encore attentivement la situation politique avant de décider si nous nous y engageons.
Quels sont les grands foyers mondiaux de l’économie positive ?
L’Asie du sud est incontestablement en avance. En Inde, au Bangladesh, ils pensent vraiment les activités économiques en termes d’utilité sociale. Aux États-Unis, on trouve l’entreprise textile Patagonia. Mais il n’y a pas que des petites entreprises de social business, bien au contraire. Natura, le géant brésilien des cosmétiques, est entièrement basé sur les valeurs de l’économie positive. Inversement, je ne me souviens pas avoir déjà entendu parler d’expériences d’économie positive en Russie, par exemple.
Pourquoi de grandes entreprises très institutionnelles comme Areva ou GDF-Suez seront présentes au LH Forum ?
Je disais que l’économie positive concerne toutes les entreprises, notamment les plus grandes. Le Forum est l’occasion pour elles et pour nous de s’interroger. Elles ont des millions de clients, mais créent-elles de la valeur pour la société ? Le nucléaire crée-t-il de la valeur pour la société ? Qu’en est-il pour les nouvelles énergies ? Il est intéressant d’en débattre. Les entreprises sont en train de comprendre qu’elles doivent être aussi utiles à la société, à leurs collaborateurs, à leur communauté et non pas qu’à leurs actionnaires. Est-ce qu’elles satisfont à leur responsabilité sociale, puisqu’au fond c’est de ça dont il s’agit ?
La France compte un nouveau ministre chargé de l’économie sociale et solidaire. Est-il le ministre de l’économie positive ?
Il est trop tôt pour le dire et nous ne l’avons pas encore rencontré…
Propos recueillis par Yannick Le Bars et Michel Taube