La présidente du Collectif des victimes et parents de victimes des violences électorales au Sénégal est ferme. Il n’y aura pas d’indemnisations pour faire taire les parents de victimes comme ce fut le cas avec le naufrage du bateau «le Joola» en 2002. Rokhiatou Gassama dont le fils a été torturé lors des manifestations préélectorales de 2012 à Dakar, trouve les procédures nationales très longues et lentes. Ce qui explique le choix de sa structure de saisir la cour de justice de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Elle donne, dans cet entretien, le sens de leur combat, les raisons de leur colère contre l’ancien commissaire central de Dakar, Harouna Sy qui conduisait les opérations de maintien de l’ordre, et l’actuel Ministre de l’Intérieur sénégalais, Mbaye Ndiaye.
OI : Quels sont les objectifs du collectif des victimes et parents de victimes des violences électorales ?
Rokhiatou GASSAMA : C’est après l’élection présidentielle de 2012 que nous avons pris l’initiative avec d’autres de créer un collectif qui regroupe les victimes et parents de victimes des violences électorales. Une période pendant laquelle il y a eu beaucoup d’exactions, de tortures, et traitements inhumains sur les populations. Notre objectif est de lutter contre les violences au Sénégal mais surtout contre l’impunité.
Nous avions vécu un drame pendant la période préélectorale et la campagne électorale avec des violations flagrantes des droits humains. Des citoyens ont été violentés, torturés parfois jusqu’aux parties génitales et tués par des forces de l’ordre sur toute l’étendue du territoire. Une situation qui a marqué les esprits sur le plan national et international car c’était une première au Sénégal. Comme d’autres membres du collectif, moi aussi, mon fils a été pris par une douzaine de policiers qui l’ont torturé. Il a eu des blessures sur tout le corps, déchirures musculaires, un problème au niveau des reins, etc. Pendant deux mois, il a été cloué au lit. Au total le collectif compte pour le moment vingt-six victimes et parents de victimes dont neuf morts. Toutes ces victimes n’ont jamais eu d’appui psychologique et judiciaire de la part de l’Etat.
Dans votre lutte, quels sont les actes que vous avez posés dans le cadre de la procédure ?
Nous avons porté plainte avec des preuves constituées entre autres de certificats médicaux et de décès. Nous sommes un collectif d’avocats avec à sa tête Me Assane Dioma Ndiaye qui est par ailleurs le président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme (Lsdh), Me Abdoulaye Tine du Barreau de Paris, Me Ndaw de Thiès et son collègue, l’association des femmes juristes. Beaucoup d’autres avocats entendent défendre le collectif.
Où en est l’Etat avec vos dossiers et où en êtes-vous avec votre projet
de saisine de la cour de justice de la Cedeao ?
Le Sénégal a ratifié la convention internationale contre la torture et les violations des droits humains. Il fait partie également de la Cedeao. Il est donc partie intégrante de la cour de justice de cette organisation sous régionale. Les citoyens de ces pays et les organisations de la société civile ont le droit de saisir la Cour de justice de plaintes, même s’ils n’ont pas achevé les recours au niveau national. Nous sommes en train de travailler pour aller vers cette cour car au Sénégal les procédures sont très longues et lentes. Même si la ministre de la Justice, Aminata Touré nous a assuré que le gouvernement – dont certains membres jadis dans l’opposition ont été victime de la violence policière – s’engage à lutter contre l’impunité, et l’implication de l’exécutif dans les dossiers. Autrement dit, toutes les plaintes seront examinées sur un pied d’égalité. Personne ne sera protégé et la justice sera indépendante. Par ailleurs, il faut noter que dans le cas des deux morts de Matam, les gendarmes présumés auteurs sont arrêtés, les deux policiers dans le cas du garçon tué à la Patte d’Oie le sont également. Tout comme les convocations effectuées dans le meurtre de l’étudiant Mamadou Diop à la place de l’Obélisque et le garçon de Rufisque. Il y a un début dans les procédures mais rien de plus.
Dans quelles conditions vivent les victimes et parents de victimes de votre collectif ?
Pour beaucoup, assez mal. Par exemple les parents des personnes arrêtées dans le cadre du meurtre du policier Fodé Ndiaye à Colobane vont très mal. Même le mineur qui fait partie des mis en cause a été torturé à la prison Fort B des mineurs avant sa mise en liberté. Sa maman pleure toujours en parlant des sévices que son enfant a subis. Pour les autres, leurs parents souffrent de leur situation qui ne bouge pas. Ils ont été torturés et jetés en prison sans suite jusqu’à présent.
Accepteriez-vous des indemnisations à la place de procès pénal ?
Nous parlons de droits humains. L’ancien gouvernement distribuait de
l’argent pour faire taire des victimes. Nous, nous disons non. On ne
peut pas monnayer la vie d’un être humain avec des millions. Quand
l’Etat viole les droits des citoyens, la poursuite judiciaire est la première chose que l’on doit faire. La réparation d’un crime, d’une torture ou d’une infraction se fait à deux niveaux : les sanctions pénales et les réparations du préjudice subi par la victime. La procédure pénale est une chose et la réparation du préjudice en est une autre. Jamais nous n’accepterons d’indemnisations à la place de poursuites judiciaires légales et totales. Il faut que l’Etat sache qu’on ne nous achètera pas dans notre combat.
Qu’en est-il maintenant du cas de l’ancien commissaire central Harouna
Sy accusé dans cette violence et qui devait rejoindre une mission des Nations unies alors qu’il est cité dans les violences préélectorales ?
Le Sénégal est un porte-étendard de la démocratie en Afrique. Donc tous ses actes et comportements doivent se conformer à ce qu’il dit et signe. Harouna Sy était le commissaire central de Dakar lors des manifestations dans lesquelles il était personnellement très actif dans la répression. Il était sur le terrain. Il a le droit de se présenter à un concours des Nations unies. Toutefois, il y a des dispositions des Nations unies qui requièrent que tout élément de son personnel doit être de bonne moralité, et exempt d’implication dans les violations de droits humains de quelque nature. Il se trouve que le commissaire Sy a été pointé du doigt et cité dans cette répression.
Sur ce, nous avons écrit aux Nations-Unies et au Haut Commissariat des
droits de l’homme sur le cas Harouna Sy pour attirer leur attention. L’Etat du Sénégal a pris les devants pour éviter que la situation se complique et le processus de recrutement du commissaire a été suspendu.
Vous en voulez-vous au ministre de l’Intérieur, Mbaye Ndiaye ?
Écoutez, le ministre de l’Intérieur a déclaré à la télévision nationale (RTS) dans l’émission « Point de vue », je le cite : « c’est une chaîne de commandement du plus bas au plus haut niveau de responsabilité. La police et la gendarmerie sont là pour la sécurisation des personnes et des biens. Donc tant que le commissaire Harouna Sy qui est en service dans mon ministère ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire, il doit jouir de toutes ses prérogatives. Il a servi dans un système politique complexe, il faut qu’on respecte les normes juridiques qui le poussent à se justifier. Tout le monde lui doit du respect y compris le ministre de l’Intérieur. »
A partir de ce moment, nous avons dit que le ministre Mbaye Ndiaye se dédit et s’immisce dans un dossier de justice. On a ainsi organisé une conférence de presse pour alerter sur
l’attitude du ministre de l’Intérieur.
Comment appréciez-vous la déclaration de politique générale du Premier ministre du lundi dernier qui n’a pas mentionné de manière spécifique le cas des victimes des violences électorales ?
J’ai bien apprécié son discours de manière globale. Mais quant à la question des victimes de violences préélectorales, j’ai eu l’impression que le Premier ministre Abdoul Mbaye ignore l’ampleur des dégâts et les conséquences que cela implique. Car même s’il ne s’est pas prononcé précisément sur la question, il devait donner des gages, des mesures pour que l’Etat ne commette jamais plus des violations de droits humains de ce genre.
Quelle sorte d’appui vous apportent les organisations de défense de droits humains dans votre combat ?
On ne bénéficie pas d’appui financier des organisations de défense des droits humains. Mais chaque fois que nous voudrions mener des activités, elles sont promptes à mettre à notre disposition leurs locaux. Elles nous soutiennent aussi dans nos manifestations. Sinon le collectif est indépendant et ne reçoit de directives de personne.
Propos recueillis par Ibrahim KANDJIMOR