Eric Bazin, vous accueillez à Evian (France) avec George Gedelman la 7ème édition de la Global Conference des Ateliers de la terre. Avez-vous le sentiment que la co-construction, puisque c’est le thème de cette édition, d’un monde plus respectueux de la Terre et des hommes, a avancé ou reculé en sept ans ?
Sept ans, c’est l’âge de la maîtrise. Depuis sept ans, nous avons vu les déceptions s’enchaîner aux avancées les plus spectaculaires : certes, les politiques nous ont déçus, que ce soit à Copenhague en 2008 ou à Rio+20 en juin dernier. Mais en même temps, le monde a pris conscience comme jamais auparavant que les modèles économiques qui contribuent au développement doivent être rapidement adaptés si l’on ne veut pas épuiser les ressources de la planète et mettre en danger les éco-systèmes vivants.
Les acteurs se mobilisent de toutes parts comme en témoignent les intervenants et les grands témoins que nous réunissons patiemment depuis sept ans et qui, chaque année, sont plus nombreux.
Par exemple, cette année, quelle en sont les figures marquantes ?
Je citerai évidemment en premier Jeremy Rifkin qui est l’un des penseurs américains les plus stimulants de notre époque. Auteur de best-seller mondiaux traitant de l’impact des changements scientifiques et technologiques sur l’économie, le travail, la société et l’environnement, il conseille l’Union Européenne et plusieurs gouvernements européens et a largement inspiré le programme européen intitulé « La Troisième Révolution Industrielle » sur la vision d’une nouvelle grande ère économique.
Mais il y a aussi des acteurs qui changent le monde concrètement et qui voient loin en misant sur l’éducation : Bunker Roy, fondateur du Barefoot College, activiste social et éducateur indien. Le Barefoot College à Tilonia (Rajasthan) est l’unique institution en Inde qui fonctionne entièrement à l’énergie solaire et l’une des rares écoles construites pour élever des analphabètes aux plus niveaux de la société et toujours gérée par des populations locales. Inspiré par le Mahatma Gandhi, son modèle d’école a été implanté dans trente pays les moins développés du monde. Aujourd’hui, 36.000 foyers dans plus de 1.000 villages ont été éclairés à l’énergie solaire par des hommes et des femmes formés au Barefoot College.
Enfin, il n’y a pas de développement durable sans respect des droits de l’homme : nous aurons la présence de Jasmin, cyber-activiste syrienne de 27 ans, née à Hama, où la répression du régime de Hafez Al Assad fit, en février 1982, entre 7.000 et 20.000 morts. Réfugiée au Canada avec ses parents, elle s’est engagée dans le Centre des médias des Comités Locaux de Coordination, organisation qui a reçu le Prix du Net-Citoyen délivré par l’ONG française « Reporters sans frontières » et avec le soutien de Google. Ce centre où elle travaille bénévolement met en place sur Internet un «centre des médias» qui diffuse les informations et un «centre des violations» où sont collectés les noms et âges, des Syriens emprisonnés, disparus ou tués.
N’y a-t-il pas des contradictions à réunir les plus grandes entreprises, de surcroît dans un lieu symbolique d’une certaine société de consommation qui gaspille nos ressources (je pense à une certaine bouteille d’eau minérale) et de vouloir en même temps changer le monde ?
Mais ce sont ces contradictions même qui justifient la nécessité de changer en profondeur nos pratiques et nos modes de pensée. En espérant bien toucher et convaincre les décideurs les plus puissants. Nous assumons donc parfaitement ces contradictions qui, au fond, ne sont pas les nôtres mais bien celles du monde. Les Ateliers de la terre veulent aider les décideurs à résoudre ces contradictions. Par exemple, nous donnerons en avant-première le film « Super trash » de Martin Esposito qui a vécu en immersion totale dans une décharge publique du sud de la France. Nous avons présenté ce film aux responsables de cette décharge et nous ne les lâcherons pas jusqu’à ce qu’ils en aient évacué des substances dangereuses.
Autre exemple : le Gabon sera l’invité d’honneur de la 7ème Global Conference car ses dirigeants se sont engagés clairement dans un programme ambitieux pour le développement durable. Nous travaillons avec l’Afrique depuis des années, nous y avons tenu plusieurs Conférences régionales. L’Afrique est notre avenir.
Propos recueillis par Michel Taube