La démocratie est-elle exportable partout dans le monde ? Strasbourg deviendra-t-elle, avec ce Forum, le Davos de la démocratie, le Porto Alegre des droits de l’homme ? Retour sur les enjeux du Forum mondial de la démocratie inauguré hier par Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU.
La saison des droits de l’Homme s’ouvre en France en cet automne 2012. Le tout premier Forum Mondial pour la Démocratie se tient à Strasbourg du 5 au 11 octobre 2012. Il est inuauguré aujourd’hui par Ban Ki-moon en personne, le secrétaire général de l’ONU. Ce forum ambitionne de discuter, bien plus largement que des droits de l’Homme, de la démocratie comme fondement de ces droits. La question fondamentale qui sera discutée : la démocratie est-elle exportable partout dans le monde ?
Strasbourg à mi-chemin entre Davos et Porto Alegre
Avec 1500 participants et 250 experts du monde entier, le Forum Mondial pour la Démocratie de Strasbourg est le dernier né de ces plateformes d’expression à résonance planétaire qui visent à être le porte-voix de l’humeur des peuples, des nations … et de leurs dirigeants. Cultivant moins l’entre soi corporate que Davos mais plus consensuel que Porto Alegre, le forum est instigué par le Conseil de l’Europe en partenariat avec la ville de Strasbourg, qui abrite le siège de l’institution.
En gestation depuis quelques années, le projet s’insère dans un timing de choix, faisant suite aux révolutions arabes, à la transition démocratique engagée en au Myanmar et au mouvement mondial lancé en 2011 par les Indignés, depuis passablement essoufflé. Pour Thonrbjorn Jagland, secrétaire général du Conseil de l’Europe, le thème choisi pour cette première édition « La démocratie à l’épreuve. Entre modèles anciens et réalités nouvelles » doit « poser les bonnes questions » en cette « période test pour les démocrates ».
Les débats seront donc axés autour de trois thèmes brûlants : démocratie et diversité culturelle et religieuse, démocratie et nouveaux médias sociaux, la démocratie face à la globalisation financière et crise économique. Ces thèmes, correspondant à trois conférences thématiques au parterre riche d’intervenants prestigieux, sont à leur tour déclinés en tables rondes. Les conclusions de ces nombreux débats menés en plus petit comités seront synthétisées et portées aux conclusions du forum.
Des débats sur le fil raide du diplomatiquement correct
On touche là aux difficultés inhérentes à l’exercice : comment analyser la contribution concrète de 250 experts et six fois plus de participants sur un thème aussi large, polémique et sujet au relativisme culturel que la démocratie ? Il est bon d’en débattre, de poser les bonnes questions mais l’exercice est périlleux lorsqu’il s’agit d’y répondre. D’autant plus périlleux que si l’intention louable des organisateurs est d’inclure des responsables politiques venant de pays aux traditions démocratiques diversement ancrées dans le processus décisionnel, le grand écart entre convictions, bonnes intentions du Conseil de l’Europe et la volonté de ne froisser personne est bien difficile. Étonnant ainsi de voir l’allocution de près d’une heure prévue pour le président de la République de Guinée, M. Alpha Condé, qui s’est illustré tant pour l’abolition récente de la peine de mort dans son pays que pour les reports successifs depuis début 2011 de la date des élections législatives.
L’institution organisatrice regroupe elle-même des pays à la démocratie parfois limite comme en Ukraine, où a éclaté l’affaire Julia Timochenko, ou comme la Russie, membre peu conciliant depuis 1994. D’où l’impression en examinant la composition des panels que la diplomatie fait les plans de tables afin que la discussion sur des sujets si brûlants que l’intervention en Libye, ou la crise en Syrie dans un atelier sur « Peut-on imposer la démocratie ? » n’enflamment pas (trop) les débats. Pour cette table ronde étonnamment, pas de participants en provenance du printemps arabe. Difficile en démocratie de rester consensuel.
Du IN et du OFF
Au-delà du Forum IN, très riche, on notera la présence d’un OFF qui multiplie les contributions de la société civile strasbourgeoise. Hasard du calendrier, bonheur des programmateurs, le OFF intègre ainsi le Festival International du Film des Droits de l’Homme de Strasbourg, créé il y a 4 ans par l’association Alliance Ciné. S’y ajoutent le ARTE festival qui mobilise sa rédaction pour animer plusieurs documentaires projetés en avant-première, de l’émission Arte-reportage, deux rencontres organisées par Le Monde, et de nombreux autres évènements mis en place par des associations de Strasbourg.
Au final c’est une semaine intense qui attend la ville de Strasbourg dont le maire M. Roland Ries, ambitionne de faire de cet évènement, un « forum de niveau mondial » et par là-même de sa ville, plus qu’une capitale européenne, une capitale internationale des droits de l’Homme et de la démocratie. En espérant qu’un jour Strasbourg et son Forum gagnent leurs galons de symbole mondial par la synecdoque qui voudra qu’on ne dise que Strasbourg pour parler du Forum comme l’on parle aujourd’hui de Davos ou de Porto Alegre.
Emma Ghariani