Roland Ries, sénateur – maire de Strasbourg, a accordé un entretien à Opinion Internationale à l’occasion du Forum mondial de la démocratie qui se tient dans sa ville, du 5 au 11 octobre.
Pourquoi le Forum mondial de la démocratie se tient-il à Strasbourg ?
En un sens, il ne pouvait pas se tenir ailleurs. Strasbourg n’est pas une ville tout à fait comme les autres, avec son histoire mouvementée et parfois difficile. De plus, elle réunit plusieurs institutions européennes (Conseil de l’Europe, Cour européenne des droits de l’homme, Parlement européen) destinées à promouvoir la paix et la démocratie en Europe mais aussi dans le monde. C’est l’Europe des citoyens qui se construit ici. Il est donc naturel qu’un forum à vocation mondiale sur ce thème de la démocratie puisse avoir lieu ici.
Nous avons un programme très riche et diversifié pour cette première édition, articulé autour d’une question centrale : la démocratie est-elle exportable ? Pour ma part, je pense que non, au sens où elle ne peut pas être « greffée », ou « livrée en kit ». Elle doit être patiemment construite par chaque pays en fonction de ses traditions et de ses spécificités. Mais évidemment, il existe un certain nombre de valeurs universelles, indissociables de toute démocratie : le respect de l’autre et de sa différence, la volonté de négocier avec le partenaire et aussi l’adversaire. Celui qui a une opinion différente ne me menace pas dans mon identité et réciproquement. C’est ça la base de la démocratie.
Je pense aussi que la démocratie est un combat de tous les instants. Elle n’est jamais définitivement installée. Winston Churchill disait « la démocratie est le pire des systèmes de gouvernement, à l’exception de tous les autres ». La démocratie a ses failles, ses insuffisances, elle n’est jamais optimale. Y compris dans les vieilles démocraties : respect de l’opposition, liberté d’expression, liberté de penser… ces valeurs sont toujours perfectibles et ne doivent jamais être tenues pour acquises. A fortiori dans des pays sous le joug de la tyrannie ou du totalitarisme.
Dans ces pays, tout le travail reste à faire, mais encore une fois, à partir des forces internes. On l’a bien vu avec des tentatives d’exportation de systèmes démocratiques plaqués sur le tissu social d’un pays et qui ne fonctionnent pas.
Quels sont les enjeux français de ce Forum de la démocratie ? Et est-ce la même logique qui sous-tend ce Forum et certains de vos engagements, comme l’ouverture récente de la grande mosquée de Strasbourg, ou l’appel lancé l’année dernière en faveur du vote des étrangers aux municipales, ou enfin le renforcement de la coopération transfrontalière ?
Je pense qu’en effet toutes ces initiatives illustrent bien le projet politique que je tente de développer à Strasbourg et au-delà et qui rejoint les valeurs portées par le Forum mondial de la démocratie.
La grande mosquée, représente la volonté de traiter à égalité l’ensemble des religions, qu’elles soient concordataires ou non.(*). Ça n’a pas été facile, mais je souhaitais que l’islam ait les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres religions. Je signale d’ailleurs qu’une église orthodoxe et une pagode bouddhiste sont également en projet. En tant que maire laïque, j’estime que les fidèles de toutes les communautés doivent pouvoir pratiquer dignement leur religion.
Sur le droit de vote des étrangers non-communautaires aux élections locales, je considère qu’ils doivent avoir leur mot à dire sur l’utilisation de leur propre argent. Certes, ils n’ont pas la nationalité française, mais ils payent des impôts et il est naturel qu’ils aient un droit de regard là-dessus. Pour les élections nationales, le sujet est différent, car il faut préserver la souveraineté nationale.
Quant à la coopération avec notre voisine Kehl, je pense que Strasbourg est un symbole fort de la réconciliation franco-allemande. Je cherche aujourd’hui, non seulement à gommer la frontière historique, mais surtout à créer une agglomération transfrontalière dont le Rhin serait l’épine dorsale plutôt qu’une séparation. Nous avons déjà l’Eurodistrict dont l’objectif est d’aider les citoyens au quotidien.
L’objectif du Forum de la démocratie est explicitement de devenir un Davos ou un Porto Alegre de la démocratie. Quel est votre rapport à ces modèles ?
Notre ambition est effectivement forte. L’idée est d’atteindre la dimension d’un Porto Alegre ou d’un Davos, d’avoir des échanges de la même importance. Bien entendu, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Cette première édition est à ce titre très importante : elle doit être réussie, la qualité des débats doit être telle que les gens aient envie de revenir. De cette façon, d’autres penseurs, d’autres écrivains, d’autres hommes politiques viendront l’année prochaine échanger entre eux. Je crois que la tradition strasbourgeoise de l’échange et du dialogue public est forte. Nous essayons aujourd’hui d’attirer l’attention sur un sujet sensible et essentiel : « Qu’est-ce que la démocratie ? ».
propos recueillis par Michel Taube et Yannick Le Bars
(*) L’Alsace et la Moselle vivent toujours sous le régime du Concordat de 1801. Entre autres, prêtres, pasteurs, et rabbins sont salariés par l’État. Installées plus récemment, l’islam et d’autres religions ne sont pas incluses dans le Concordat.