Deux fois à peine en plus de soixante ans… L’Assemblée des jeunes du Conseil de l’Europe s’est réunie deux fois seulement depuis 1949. En 1999 pour les 50 ans du Conseil, et cette année à l’occasion du Ier Forum mondial de la démocratie. L’exemple illustre parfaitement la relation un peu trop distante entre les pays membres du Conseil de l’Europe et leur jeunesse. 170 jeunes Européens issus des sociétés civiles des 47 pays du Conseil ont tenté de réparer cette erreur en livrant le fruit de leurs réflexions aux débats du Forum lui-même.
L’échec fin septembre de la 9e conférence des ministres de la jeunesse du Conseil de l’Europe a lourdement pesé sur la session d’ouverture, plusieurs intervenants exprimant leur amertume. « L’incapacité des ministres de la jeunesse à adopter une déclaration commune sur les droits des jeunes à Saint Saint-Pétersbourg est une des crises les plus graves de l’histoire du Conseil de l’Europe », a martelé Maria Paschou, présidente du Conseil consultatif sur la Jeunesse. En cause, le refus catégorique de la Russie d’inclure le rejet de la discrimination selon « l’orientation sexuelle » dans la déclaration.
Mais ces délégués, que pensent-ils de la démocratie ? On s’en est fait une idée à travers leurs films de quelques secondes autour du thème « Qu’est-ce que la démocratie ? », diffusés lors de la session d’ouverture. Tour à tour naïfs, humoristiques, sarcastiques ou plein d’espoir, ils dessinent une jeunesse intelligente, souvent idéaliste mais très au fait de ses multiples difficultés.
Chômage, baisse du niveau de vie –« Nous sommes la génération la plus instruite de l’histoire et en même temps, nous serons sans doute la première à avoir un niveau de vie inférieur à la précédente », pointe avec justesse un délégué suédois –, accroissement des inégalités, ascenseur social bloqué voire en marche arrière, remise en cause du pacte social par les solutions technocratiques adoptées pour faire face à la crise… Autant de difficultés laissant les jeunes Européens avec le sentiment d’être délaissés par les institutions démocratiques.
Face à cette situation, certains abandonnent. Alarmé, le professeur de politique européenne de la jeunesse Howard Williamson a évoqué lors de la session d’ouverture la passivité, les souffrances mentales et le taux de suicide croissants de certains jeunes Européens. D’autres se révoltent dans des projets originaux, traduisant leur méfiance envers la politique « traditionnelle » : mouvements des Indignés, Occupy, parti pirate, Anonymous… « Ayant toujours été à l’avant-garde des changements, on attend de la jeunesse qu’elle offre une vision innovante du monde », expose Williamson. Mais il avertit : « des réactionnaires comme Anders Behring Breivik ou les jeunes musulmans radicalisés sont aussi des jeunes. »
Par-delà le sentiment de ne pas être représenté, la désaffection des jeunes Européens à l’égard des institutions démocratiques trouverait-elle sa source dans la fin des alternatives politiques ? Williamson interroge, évoquant un séjour en Suède : « N’y a-t-il plus rien à revendiquer, plus rien à acquérir ? Trop de démocratie tuerait-elle la démocratie ? ». Un délégué maltais, vivement applaudi, tance quant à lui les renoncements de la social-démocratie : « Vous avez baissé les bras face au capitalisme et au néolibéralisme, vous ne proposez plus d’alternative. Représentez-vous encore les exclus, les immigrés, les pauvres ? Aujourd’hui les gens ne croient plus que la gauche peut les protéger. »
Les enjeux étaient donc importants. Deux jours plus tard, l’Assemblée des jeunes a rendu les conclusions de ses multiples groupes de travail (religion, droits sociaux, minorités, migrations, participation des jeunes à la vie démocratique…). Tous ont constaté l’importance de l’éducation à la citoyenneté et ont appelé à son renforcement à l’école, dans un format plus attractif pour les jeunes. Mais c’est surtout l’éducation informelle, celle qui n’est pas dispensée à l’école, qui a retenu l’attention des délégués.
Parmi les nombreuses recommandations transmises aux participants du Forum de la démocratie, on trouve le souhait d’une mobilité des jeunes plus accessible, une prise de position en faveur du vote électronique, le souhait d’une éducation religieuse œcuménique ou de cours de morale laïque, le développement des écoles non confessionnelles, la simplification de toutes les démarches, un financement pérenne des organisations de jeunesse.
Surtout, les délégués ont fortement insisté sur la nécessité et leur désir d’être associés aux processus de décision sur les sujets qui les concernent. Enfin, les membres de l’Assemblée des jeunes ont à de multiples reprises, revendiqué la tenue régulière de cet évènement, et de préférence dès l’année prochaine.
Yannick Le Bars
Envoyé spécial à Strasbourg