Le 6 novembre, les électeurs californiens se rendront aux urnes afin de décider du maintien ou de l’abolition de la peine de mort dans leur État. C’est peu dire que l’adoption de la « Prop. 34 », aussi appelée SAFE California Initiative, soumise au vote des citoyens dans le cadre d’un référendum d’initiative populaire marquerait une avancée dans le combat des abolitionnistes américains.
En commuant la peine de mort en Californie en emprisonnement à perpétuité sans possibilité de parole, la proposition 34 propose entre autres mesures de bannir de jure la peine de mort de l’arsenal des peines employées pour les crimes graves par les tribunaux américains. Si elle est adoptée, la Californie pourrait donc se transformer en un « trend-setter » et entraîner de nouveaux États vers l’abolition. Aujourd’hui un cinquième des condamnés à mort le sont en Californie, qui possède le couloir de la mort le plus large avec plus de 700 prévenus. Tous attendent leur exécution dans l’incertitude alors que seules treize exécutions ont effectivement eu lieu depuis 1976.
Un moment Américain ?
De fait, l’atmosphère Outre-Atlantique a rarement été aussi favorable à l’abolition de la peine de mort. Outre les 12 États abolitionnistes avant 1972, année où la Cour Suprême des États-Unis avait momentanément aboli l’usage de la peine de mort dans son arrêt Furman v. Georgia, se sont ajoutés 5 nouveaux États, et non des moindres, ces cinq dernières années (Connecticut, Illinois, New Jersey, New Mexico, New York).
Sur le plan juridique, la Cour Suprême a de plus relancé en 2005 un mouvement de jurisprudence défavorable à une application extensive de la peine de mort. Dans son arrêt Roper Vs. Simmons, la Cour interdit ainsi l’application de la peine de mort aux mineurs, la jugeant incompatible avec les principes du 8ème amendement mais surtout, précisant que cette incompatibilité se place dans une évolution de l’opinion publique américaine qui percevrait désormais comme « cruelle » l’exécution de mineurs.
Au niveau national des États-Unis, une majorité de citoyens approuve toujours la peine de mort. Selon un sondage de l’Institut Gallup d’octobre 2011, 61% des Américains supportent son utilisation pour les personnes convaincues de meurtre. Gallup note cependant un décrochage de 3 points par rapport à l’année dernière, atteignant un niveau historiquement bas depuis 1972.
Parmi les raisons majeures de ce décrochage, l’exécution extrêmement médiatisée de Troy Davis. Accusé en 1989 du meurtre d’un policier, il a été exécuté en 2011 malgré l’accumulation évidente des erreurs d’instruction et la rétractation de sept des neuf témoins à charge dans l’affaire. Pour Laura Moyle, militante de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Amnesty International USA, « Troy Davis a rendu la peine de mort personnelle aux Américains. Son cas a sensibilisé des gens qui n’y avaient jamais prêté attention ». Le moment californien est donc avant tout un moment américain.
Des soutiens politiques de poids
Revenons à la Californie. Dans cet ancien bastion du reaganisme triomphant, les soutiens de la SAFE California initiative croient en leurs chances de gagner l’opinion publique à leur cause. Interviewée par Opinion Internationale, Elizabeth Zitrin, de l’organisation Death Penalty Focus se déclare « optimiste quant à l’adoption de la proposition 34, même si c’est une campagne dure et difficile. Le centre d’information sur l’opinion publique a récemment publié un sondage indiquant que 50% des Californiens sont d’accord avec » elle.
Dans la balance électorale, les « Pro 34 » peuvent compter sur des soutiens de poids tels que le gouverneur démocrate de l’État, Jerry Brown. Élu en 2011, il prend la suite du républicain Arnold Schwarzenegger. Lors de son premier mandat comme gouverneur entre 1975 et 1981, Brown avait déjà exprimé son opposition à la peine capitale et nommé au niveau de la cour fédérale, des juges défavorable peine de mort. Autre signe favorable, l’élection en 2011 de Kamala Harris, au poste de procureur général de Californie, hostile à l’usage de la peine de mort pour sa politique de lutte contre la délinquance. S’ils affirment leur scepticisme face à la peine capitale, le gouverneur comme la procureure sont néanmoins encore tenus dans le cadre de leur mandat à l’exécution de la loi, aussi inique soit-elle.
Marteler l’argument comptable
Pour faire porter leur voix plus loin, au-delà de leurs auditoire habituel, l’American Civil Liberties Union (ACLU), à l’initiative du référendum, peut compter sur le témoignage d’anciens défenseurs de la peine de mort à l’image de l’ancien procureur Donald Heller, républicain historique et auteur en 1978 du texte prévoyant un élargissement de l’application de la peine de mort en Californie. Pour séduire ces conservateurs, les stratèges de la campagne abolitionniste ont donc misé sur l’argument du gâchis financier.
Cet argument touche en effet en ces temps de rude crise économique et d’un déficit abyssal du budget californien (estimé à 16 milliards de dollars) un public de contribuables hostiles à l’impôt, nettement plus large que les progressistes traditionnellement acquis à la cause abolitionniste. En cause : le coût prohibitif du couloir de la mort, assidûment fréquenté par les accusés pendant les décennies, parfois jusqu’à plus de trente ans, que dure l’épuisement de tous leurs recours en grâce.
En 2011, une étude de Mitchell et Alarcon sur le coût de la peine de mort en Californie révélait que l’État avait dépensé plus de 4 milliards de dollars depuis 1978 pour faire appliquer la peine de mort. L’étude considère les coûts de préparation des procès, les coûts des procès eux-mêmes, les coûts d’appels automatique, étatique et fédéral ainsi que les coûts d’incarcération dans le couloir de la mort pour atteindre une moyenne de 121 millions de dollars par an, pour un détenu effectivement condamné tous les deux ans.
La proposition 34 enfonce le clou des valeurs conservatrices en exaltant la valeur travail, pointant le fait que les prisonniers du couloir de la mort, contrairement aux prisonniers de droit commun ne sont pas astreints à travailler. Elle propose donc de rendre obligatoire une contribution par leur salaire à un fond de compensation des victimes de l’État en guise de réparation. La morale est sauve.
Abolir aux États-Unis, un processus politique complexe
L’argument arithmétique fait bondir en Europe, tant par son énormité comptable que par son apparent cynisme. Il s’appuie néanmoins sur le constat très largement partagé aux États-Unis, d’un dysfonctionnement de la justice américaine, récemment mis en lumière dans l’État de Géorgie par le cas Troy Davis. Le système américain, long et inefficace, a en effet de plus tendance à surproduire des condamnations à mort en première instance, qui sont parfois annulées, des années plus tard, en appel ou en cassation par les Cours fédérales ou la Cour Suprême. Le Death Penalty Center recense à ce jour 140 condamnés innocentés par les Cours américaines, dont trois en Californie. Deux ont passé entre 14 et 17 ans dans le couloir de la mort avant d’être libérés.
Au-delà de la question de la réforme du système pénal aux États-Unis, ce sont les modalités de son abolition qui retiennent l’attention. Jusqu’ici en effet l’abolition de la peine de mort est passée par un processus institutionnel qui mobilise les élus des États. De la mise en place d’un moratoire au vote de l’abolition de jure par la chambre basse de l’État et son Sénat, suivi par la promulgation de la loi d’abolition par le gouverneur, les élus sont les moteurs de ce processus.
L’Illinois fut un modèle du genre puisque dès le début des années 2000, convaincu par un professeur de journalisme et ses étudiants de que des innocents étaient dans les couloirs de la mort, le gouverneur de l’époque, George Ryan, républicain et ami de G.W Bush, commua toutes les condamnations à mort, fit libérer deux condamnés innocentés et mit en place une commission judiciaire chargée d’étudier les conditions d’application de la peine de mort, sans risque d’exécuter des innocents. Résultat de plusieurs années de travail : la peine de mort a été abolie, les juristes et les politiques convenant de l’impossibilité d’écarter ce risque d’envoyer à la mort des innocents.
Ceci dit, les commissions constituées et les élus sont souvent mis sous pression par l’opinion publique qui, dans certains États, aujourd’hui abolitionnistes, sont toujours en grande majorité favorables à la peine de mort pour les pays les plus graves comme dans le Connecticut, qui vient au mois d’avril, d’abolir la peine de mort par voie législative, alors que 62% de la population reste favorable à la peine de mort.
La Californie qui a choisi la voie du référendum n’a pas choisi la voie facile. Si l’État respecte un moratoire depuis 2003 et qu’aucune exécution n’a eu lieu depuis 1992, le résultat s’annonce serré. Or un « non » populaire pourrait mettre un coup d’arrêt à la dynamique abolitionniste enclenchée au début des années 2000 et repousser aux calendes grecques la fermeture du plus grand couloir de la mort aux États-Unis.
Emma GHARIANI et Michel TAUBE