La loi du 6 août 2012 consacrée au harcèlement sexuel remplace l’ancienne législation déclarée anticonstitutionnelle trois mois auparavant. Une occasion pour les pouvoirs publics de renforcer la répression de comportements dont les femmes sont les principales victimes, mais aussi de s’interroger sur la véritable efficacité d’un arsenal juridique confronté à des difficultés d’application tant techniques que sociétales.
Pourquoi une nouvelle loi ? Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel déclarait anticonstitutionnel l’article 222-33 du Code pénal, au motif qu’il sanctionnait le harcèlement sexuel sans le définir. Ce texte disposait en effet : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende ». Afin de combler le vide juridique laissé par cette censure, le législateur fraîchement sorti des urnes a adopté le 6 août 2012 une loi modifiant la définition du harcèlement sexuel, tant dans le Code pénal que dans celui du travail et dans le statut de la fonction publique. Sur le lieu de travail, où le problème est particulièrement sensible, l’ancienne loi comme la nouvelle prohibent ce que l’on appelle parfois péjorativement la « promotion canapé », ou au contraire, l’absence de promotion par refus de soumission à des propositions indécentes, sans qu’il y ait d’ailleurs nécessité de répétition. En revanche, la répétition des faits était exigée hors relations du travail pour que puisse être caractérisé le délit de harcèlement sexuel.
Désormais, si conditionner une promotion à des faveurs sexuelles ou sanctionner celui ou celle qui refuse de s’y soustraire est bien-entendu toujours prohibé, la répétition des faits n’est plus systématiquement exigée. Par ailleurs, l’existence d’un lien de subordination constitue une circonstance aggravante, même hors relations du travail (par exemple un bailleur envers un candidat locataire).
Nouvelle définition, nouvelles sanctions
Le nouvel article 222-33 du Code pénal définit le harcèlement sexuel comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». La loi du 6 août 2012 sanctionne ces pratiques de deux ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende, des peines doublées par rapport à l’ancienne législation. A ce stade, la répétition des faits reste une condition constitutive du délit. Elle disparait néanmoins si les faits visés prennent une proportion plus grave, le second alinéa de même article 222-33 assimilant au harcèlement sexuel « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ». Cette fois, l’auteur des faits encoure jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.
Si précise soit-elle, la nouvelle définition du harcèlement sexuel laisse encore une large place à l’interprétation. Prenons pour exemple cet arrêt de la Cour d’appel de Colmar, en date du 5 juillet 2006 : « Si un seul fait, tel que la tenue de propos grivois ou le fait d’offrir des cadeaux à caractère pornographique ne suffit pas à caractériser le délit de harcèlement sexuel, la répétition de tels comportements ajoutée à la tentative de la part du prévenu de dégrafer le soutien-gorge de sa salariée et de soulever son tee-shirt et au fait de lui proposer une somme d’argent pour obtenir des faveurs sexuelles, caractérise suffisamment ce délit. Le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est clairement établi par les déclarations de la victime et les témoignages des collègues de celle-ci ».
La répétition de propos grivois et de cadeaux pornographiques est-t-elle « dégradante, humiliante, offensante », au point de « porter atteinte à la dignité de la victime » ? On ne saurait préjuger de la future jurisprudence, ni tirer des conclusions générales d’un cas d’espèce, mais on aurait peine à imaginer qu’une telle attitude reste impunie sous l’empire de la nouvelle loi.
Des sanctions trop sévères pour être appliquées ?
Les autres gestes commis dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar, gestes plus graves, même en l’absence de répétition, pourraient aujourd’hui être sanctionnés de trois ans d’emprisonnement, au lieu d’un an auparavant. Cela ne revient-il pas à assimiler le harcèlement sexuel à l’agression sexuelle, laquelle implique un contact, punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende au plus ? La sévérité de la sanction ne risque-t-elle pas de dissuader les juges de retenir le qualificatif de harcèlement sexuel ? Cette forme de « harcèlement aggravé » devra en quelque sorte trouver sa place dans la hiérarchie des incriminations et des peines qui en découlent.
Nous relèverons que le harcèlement moral au travail a été défini en 2002 en raison d’un vide juridique : avant cette date, il fallait invoquer des situations d’une extrême gravité, telles que des conditions de travail inhumaines, pour dénoncer pénalement des faits relevant en réalité du harcèlement moral, de sorte que celui-ci n’était quasiment pas réprimé. En matière de harcèlement sexuel, il serait paradoxal qu’une relative mansuétude judiciaire découle d’une législation trop sévère, dès lors que les faits reprochés relèvent du second alinéa de l’article 222-33 du Code pénal (pressions graves, même non répétées, en vue d’obtenir des faveurs).
Enfin, on ne saurait oublier que le droit n’est ni une abstraction théorique, ni le reflet de la société dont il entérinerait ou encadrerait les travers. Rien ne permet de justifier le harcèlement sexuel, mais personne, pas même les femmes qui en sont les principales victimes, ne sortirait gagnant d’une dérive à l’américaine, où un homme peut craindre de se retrouver seul dans un ascenseur avec une femme susceptible d’invoquer le harcèlement sexuel à la suite d’une invitation à diner.
La jurisprudence s’est toujours évertuée à distinguer la séduction, parfaitement légitime, du harcèlement sexuel, pénalement répréhensible. Le lieu de travail est le principal cadre dans lequel les couples se font, et parfois se défont. Ce qui est particulièrement intolérable, c’est qu’une femme, puisque c’est généralement d’elle dont il s’agit, puisse voir sa carrière brisée ou même perturbée pour avoir refusé quelque avance à un « petit (ou grand) chef » en mal de câlins. Par extension, il est important de lutter contre toute tentation d’abuser d’une position dominante pour exiger des faveurs sexuelles.
La victime face à des résistances sociétales et des difficultés techniques
La nouvelle législation sur le harcèlement sexuel s’inscrit dans une lignée de textes visant à lutter tant contre toutes les formes de discrimination, que contre les violences faites aux femmes, auxquelles s’apparente le harcèlement sexuel dans sa forme la plus sévère. On relèvera que la loi du 5 avril 2006, déjà consacrée à la violence au sein du couple, avait modifié l’article 212 du Code civil, celui que toute personne mariée en France a entendu dans la bouche de l’officier de l’Etat civil le jour du mariage : à la fidélité, au secours et à l’assistance que les époux se doivent mutuellement, s’est ajouté le respect. Mais si noble soit l’affirmation de grands principes, force est de reconnaître que leur application souffre de nombreuses résistances, raison pour laquelle la loi de 2006 avait prévu tout un arsenal pénal pour remédier à la violence au sein du couple. En vain ! En 2010, le parlement à voté une nouvelle loi instaurant une ordonnance de protection du juge aux affaires familiales, permettant notamment de faire expulser un mari ou concubin (ou ex) violent, du moins temporairement. D’autres mesures, telle que la pose d’un bracelet électronique à l’auteur des violences, ou la possibilité pour la victime de dissimuler son adresse sont aussi issues de cette loi. Et pourtant…
Je dirige un organisme de formation comptant parmi ses stagiaires de nombreux travailleurs sociaux. Leur regard sur l’application de ces textes est fort critique et, il faut bien l’admettre, emprunt de déception, voire de résignation. Vieille habitude hexagonale que de créer une loi qui remédiera à tous les problèmes… sur le papier. En matière de violence aux femmes, et même de harcèlement sexuel, notamment dans sa forme la plus grave, des contraintes techniques se superposent aux pesanteurs sociales : un juge ne peut prendre une mesure coercitive, qu’elle soit civile (expulsion du logement) ou pénale, si les faits ne sont pas avérés. Cela pose la question de la preuve, souvent très difficile à rapporter, que la victime se plaigne de harcèlement ou de violence, à plus forte raison de nature psychologique ou morale. Nous constatons que de nombreuses démarches échouent faute de preuve ou même de commencement de preuve. La constitution d’un dossier avant de saisir la justice est un élément essentiel dans un litige de cette nature. En matière pénale, donc de harcèlement sexuel ou de violence de toute nature, la preuve est libre. Plus précisément, la Cour de cassation considère que le juge n’est pas obligé d’écarter une preuve, quelle que soit la manière dont elle a été rapportée. De là à conseiller à la victime de filmer l’auteur des faits à son insu, il y un pas que seul son avocat peut lui conseiller de franchir.
Raymond TAUBE
Directeur de l’Institut de droit pratique
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