Tunisie
09H14 - mercredi 28 novembre 2012

Femmes Tunsiennes, menaces sur leur statut avant-gardiste ?

 

La Tunisie, pays avant-gardiste sur les libertés et le droit des femmes connaît actuellement une période de transition démocratique, dans laquelle l’enjeu est de protéger tant le statut de la femme dans la future constitution que dans le régime politique à venir après les prochaines élections. Depuis la Révolution du 14 janvier, le statut des femmes a été le sujet de vifs débats au sein de la classe politique et de la société civile. Aujourd’hui, le discours ambigu des islamistes au pouvoir, en contradiction avec les déclarations rassurantes du Président de la république Moncef  Marzouki et du  Président Mustapha Ben Jaafar de l’Assemblée Nationale Constituante, ne donne pas la certitude que les libertés et les acquis progressistes des Tunisiennes, uniques dans le monde arabe, seront protégés.

 

Le statut avant-gardiste des femmes tunisiennes

Habib Bourguiba le père du CSP reçoit les femmes tunisiennes

Depuis 1956, la femme tunisienne jouit d’un statut unique et avant-gardiste parmi les femmes du monde arabe et des pays musulmans. Le président Habib Bourguiba a œuvré pour l’émancipation des Tunisiennes en ayant une politique féministe concrétisé par la promulgation le 13 août 1956 du code du statut personnel (CSP). Ce code garantit l’égalité des sexes et abolit la polygamie et la répudiation en instaurant une procédure judiciaire pour le divorce. Les femmes peuvent demander le divorce et le mariage doit réunir le consentement mutuel des deux époux. Les Tunisiennes ont ainsi obtenu des avancées majeures et peuvent travailler sans l’autorisation de leur époux. Le CSP conserve néanmoins l’inégalité des femmes et des hommes concernant l’héritage. La dépénalisation de l’avortement et sa légalisation en 1973 ont souligné avec la mise en place du planning familial et l’accès à la contraception, l’exception tunisienne dans un monde arabe où la question reste aujourd’hui encore largement taboue. contrairement aux autres pays arabes et musulmans, cette réforme progressiste du Président Bourguiba a abandonné la  source du droit musulman pour régir le statut des femmes et de la famille en Tunisie. Le 13 août, date de l’adoption de cette réforme, est un jour férié pour célébrer chaque année, l’émancipation des femmes tunisiennes.

Sous le régime de Ben Ali, cet acquis juridique a été préservé et amélioré même, instrumentalisé pour vendre à l’étranger l’image d’une Tunisie moderne. Sous Ben Ali, une loi de 1993 donne ainsi la possibilité pour les mères tunisiennes de transmettre leur nationalité dans le cas où le père est étranger et des lois de 1998 et 2003 reconnaissent la filiation naturelle et la possibilité d’une action en  demande de reconnaissance de paternité pour les femmes célibataires. En revanche l’interdiction du port du voile pour les femmes, déjà en vigueur sous Bourguiba a été maintenue pendant des décennies, particulièrement dans les administrations et les écoles, bien que devenant toléré durant les dernières années de la dictature.

Les Tunisiennes ont activement participé à la Révolution du 14 janvier 2011 en étant présentes lors des manifestations pour la chute de Ben Ali. La protection de leur statut s’est pourtant posée rapidement à l’occasion des premières élections de l’Assemblée constituante du 23 octobre 2011.

 

L’inquiétude pour les droits des femmes

Avant ces élections, les islamistes du parti Ennahda avaient affirmé ne pas vouloir revenir sur le CSP et les droits de femmes mais leur arrivée au pouvoir en Tunisie a eu des incidences sur la maintien du statut juridique des tunisiennes et de vifs débats ont été ouverts par des membres du parti et de la société civile notamment sur la polygamie. Ainsi la société civile tunisienne s’est demandée si le CSP, qui organise un modèle familial basé sur l’égalité des hommes et des femmes dans la société tunisienne, pouvait être modifié par la nouvelle Assemblée constituante lors de la rédaction de la future constitution.

Souad Abderrahim

Les libertés des femmes ont donc été vivement remises en question à travers le débat de l’autorisation ou pas de porter le voile intégral dans les lieux publics et les administrations. L’apparition soudaine, après la fin de la dictature de Ben Ali du voile intégral, qui ne permet pas de s’assurer de leur identité dans les facultés, a suscité une réflexion passionnée sur la possibilité de tolérer cette pratique, au nom de la liberté de conscience et d’expression. La grève des enseignants universitaires de la faculté de la Manouba à Tunis, suite à de violents incidents est  une illustration de l’émoi créé  par le port du niqab dans la société tunisienne. Par ailleurs la position de certains membres du Parti Ennahda  comme la députée Souad Abderrahim, a provoqué une vive inquiétude chez les féministes tunisiennes eu égard au caractère  rétrograde  de ses déclarations : en novembre 2011, lors d’un débat sur Radio Monte Carlo Doualya, elle avait ainsi déclaré que les mères célibataires tunisiennes étaient une « infamie » pour la société tunisienne.

Ces craintes sur la sauvegarde des droits des femmes ont été renforcées lors de  la publication du projet de nouvelle constitution le 8 août dernier. L’article 28 de cette ébauche remplaçait le principe d’égalité entre l’homme et la femme par celui de complémentarité: « l’État assure la protection de la femme dans ses acquis sur le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille et en tant qu’associée de l’homme dans le développement de la patrie ». Cet article était incompatible avec le principe d’égalité des droits et des devoirs entre les époux et l’égalité entre les citoyens dans leurs devoirs et leurs libertés. La femme tunisienne n’était alors plus considérée que comme le complément de l’homme.

Les associations de féministes ont vivement réagi et ses sont mobilisées conjointement avec des femmes et des hommes de la société civile pour manifester contre cet article et demander son retrait. Le 24 septembre 2012, l’Assemblée nationale constituante a retiré de l’article cette notion de « complémentarité » pour réintroduire celle de « l’égalité». L’évolution du débat sur le statut des femmes tunisiennes est ainsi un révélateur des enjeux que reçèlent la transition démocratique et l’écriture de la constitution, pour les libertés individuelles des Tunisiens. Les signaux envoyés par le pouvoir restent néanmoins contradictoires : le gouvernement actuel a une position ambivalente car il affirme vouloir conserver le CSP mais il ne condamne pas ou tarde à condamner les violences exercées à l’égard des femmes.

 

La défense des libertés et la lutte contre les violences envers les femmes

L’avocate Dalila Mbarek Msadak

Ce positionnement ambivalent a été constaté dans l’affaire du viol commis sur une jeune femme de 27 ans par des policiers dans la nuit du 3 au 4 septembre 2012 dans la banlieue nord de Tunis qui a ravivé toutes les inquiétudes quant à une évolution politique dommageable pour les droits des femmes tunisiennes. En effet, le 26 septembre 2012, la jeune femme violée a été convoquée par un juge d’instruction pour « atteinte à la pudeur » car elle aurait été trouvée  par les policiers dans une « position immorale » dans la voiture avec son petit ami. Elle passait alors du statut de victime à celui d’accusée. La décision du juge est à ce jour en attente. Le chef du Gouvernement Hamadi Jebali a condamné ce viol le 2 octobre 2012 et le Président Marzouki a présenté à la jeune femme violée les « excuses de l’Etat » le 4 octobre 2012. Selon l’avocate Dalila Ben Mbarek Msadak, membre du collectif des avocats défendant la jeune femme violée,  interrogée par O.I, la procédure d’instruction est régulière à ce jour et le juge devrait rendre sa décision dans les semaines à venir. Elle ajoute que la jurisprudence sur le droit des femmes n’a pas connu d’évolution ou de revirement depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir.

 

Zeynab Farhat, militante de l’Association tunisiennes des femmes démocrates (ATFD)

La femme tunisienne est au centre de la transition démocratique en Tunisie et les différentes positions contre son acquis juridique ont démontré la capacité des associations féministes et la société civile à se mobiliser et à manifester pour défendre ses droits et condamner leur violation.

Zeynab Farhat, militante de l’Association tunisiennes des femmes démocrates (ATFD) a fait part à OI de l’organisation d’événements par l’ATFD  pour les seize jours d’activisme contre les violences faites aux femmes du 24 novembre au 10 décembre 2012 dans plusieurs villes en Tunisie : Plusieurs conférences, tables rondes, activités et rencontres sont proposées autour du thème des « violences faites aux femmes», des « violences sociaux-économiques » et des « violences sexuelles dans le code pénal ».

D’autre part, les Tunisiennes défendant des valeurs conservatrices souhaitent que l’on respecte leur volonté de se conformer à la loi islamique. O.I a interrogé Sana 25 ans, étudiante à la faculté des lettres de la Manouba, et voilée d’un hijab [qui ne couvre que la tête contraitement au voile intégral nldr]. Elle considère que la démocratie en Tunisie devra permettre à toutes les femmes d’être libres. Elle revendique le fait d’avoir choisi seule de porter le voile dès l’âge de 15 ans et considère que « même si ce n’est pas la priorité actuelle, il faudra ouvrir un débat sur  des sujets comme la polygamie car il en va ici de la liberté des femmes qui veulent le respect de la loi islamique et qui n’ont jamais pu exprimer leurs voix sous les précédents régimes. » Elle précise qu’elle n’a pas voté pour le parti Ennahda aux dernières élections et elle ajoute que « le compromis est possible dans l’écoute et l’échange et en rejetant le clivage des tunisiennes.»

 

Bien  que les lois n’aient pas été modifiées à ce jour, les contradictions du gouvernement sur le statut des femmes continuent à nourrir les inquiétudes sur la protection du CSP de 1956. L’inscription et la protection des  libertés et des droits des femmes dans la future constitution seront, parce qu’elles sont un prisme révélateur des libertés individuelles en Tunisie, le gage de réussite de la naissance d’une démocratie respectant les droits humains en Tunisie, au même titre que la protection des libertés de la presse ou le processus de justice transitionnelle.

 

Sarah Anouar