Retour sur le parcours exceptionnel de Stéphane Hessel, l’auteur d’Indignez-vous !, à l’occasion d’une rencontre avec des citoyens organisée par Libération au Théâtre de la Ville de Paris.
Qu’est-ce qui fait courir Stéphane Hessel ? À 95 ans (depuis le 20 octobre), la démarche est sans doute plus hésitante, mais l’esprit est toujours aussi vif et malicieux, l’engagement aussi ferme et serein. Toute une vie au service de la liberté, du droit international, de la justice, de l’égalité, de la démocratie et des droits de l’homme. D’abord comme résistant, puis comme diplomate français, et aujourd’hui comme autorité morale de stature internationale, grâce au succès aussi foudroyant qu’inattendu d’Indignez-vous !, son opuscule paru en 2010.
« Si j’ai fait Indignez-vous !, rappelle-t-il posément, c’est parce que j’ai constat é que le désenchantement à l’égard de la politique est plus profond en France qu’ailleurs. » Selon lui, ce désenchantement se manifeste par une indifférence et un découragement plus marqués. « Les gens ne s’indignaient pas, poursuit-il, ou seulement superficiellement et brièvement. Le désir de voir les choses changer semblait avoir moins de prise en France que chez ses voisins. » Le but d’Indignez-vous ! a donc été de ressusciter l’idée d’un changement possible, autour de deux nécessités impérieuses : la lutte contre des inégalités sociales toujours plus fortes, et la sauvegarde de l’environnement. « S’indigner ne suffit pas, prévient Stéphane Hessel, il faut s’engager, redonner de l’espoir. ».
L’espoir, Stéphane Hessel connaît bien. Il en fallait pour s’engager dans la Résistance dès 1941, croire en la toute jeune Organisation des Nations Unies, au sortir de la 2nde Guerre Mondiale, ou encore militer pour la décolonisation. Il n’a jamais perdu foi non plus dans les vertus de la coopération multilatérale, le projet européen ou la non-violence, la médiation et la négociation.
Abordant ses prises de position controversées sur le conflit israélo-palestinien, Stéphane Hessel rappelle qu’« Israël aussi était un espoir à l’origine ». Il confie volontiers son admiration pour l’État hébreu à sa création, social et progressiste, installé juif sur les lieux d’origine du peuple juif. « Puis est advenue en 1967 la pire chose qui puisse arriver à un peuple : un triomphe militaire, analyse-t-il avec tristesse. Les Israéliens n’ont pas résisté à la tentation d’exploiter cette victoire au maximum, en occupant des territoires que l’ONU ne leur avait pas donnés. » Un « comportement scandaleux », déclare-t-il avec une sereine détermination.
Mais Stéphane Hessel récuse l’idée qu’il a choisi son camp. « Je ne fais que demander l’application du droit international : le retrait des territoires occupés et la fin de la colonisation, martèle-t-il. Si j’ai choisi un camp, c’est celui de la médiation. Tant les Palestiniens que les Israéliens ont manqué des occasions de faire la paix. Mais comme partout, c’est le plus fort qui a le plus de responsabilités. Les Palestiniens ont beaucoup moins de marge de manœuvre pour proposer des solutions. Et inversement, les pressions sur Israël sont insuffisantes. »
L’engagement de Stéphane Hessel n’est pas seulement international, il est aussi politique. Proche de Pierre Mendès France puis de Michel Rocard, il n’a « jamais été loin de la politique », fait-il malicieusement remarquer. Jamais tout à fait en-dehors mais jamais tout à fait au-dedans non plus, il a surpris et interloqué en déposant une motion au Congrès socialiste de Toulouse, en octobre. « Je suis partisan de donner à François Hollande le temps de faire ses preuves, mais j’ai voulu lui rappeler certaines choses. », éclaircit-il. Pour Stéphane Hessel, le président de la République devrait s’inspirer de la façon dont Franklin Roosevelt a « complètement changé » les États-Unis. « C’est ce dont nous avons besoin », affirme-t-il avec conviction.
La dimension éthique et morale est par ailleurs indissociable de l’engagement de Stéphane Hessel. Miraculeusement rescapé des camps nazis, il ressent le devoir, au sortir de la 2nde Guerre Mondiale, d’engager « cette vie restituée ». Il fait ainsi partie en 1946 de la commission chargée de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. « L’article premier de la Déclaration ne décrit pas le monde tel qu’il est, mais tel qu’il devrait être, rappelle-t-il. C’est un programme, un objectif à atteindre. » Évoquant Spinoza, son philosophe préféré, il ajoute « Dieu a créé le monde, mais il l’a laissé entre nos mains. C’est notre responsabilité de gérer l’humanité et la planète. Chacun doit faire en sorte que la dynamique de paix mondiale brisée par les attentats du 11 septembre 2001 puisse redémarrer. Chacun doit faire en sorte que le reste du XXIe siècle soit meilleur que sa première décennie. »
Yannick Le Bars