En Afrique, particulièrement au Sénégal, même si la nouvelle de l’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union Européenne n’a pas suscité beaucoup de commentaires le 12 octobre dernier dans la presse, les observateurs ont des avis très controversés sur la distinction.
Au Sénégal, le prix Nobel de la paix décerné à l’Union européenne, le 12 octobre 2012, n’a pas suscité beaucoup de commentaires dans la presse. Toutefois, comme ailleurs, ce ne sont pas les avis qui manquent sur cette distinction. Elle est d’ailleurs analysée sous différents angles par les observateurs. A l’occasion de la journée des Droits de l’Homme prévue ce lundi 10 décembre, Opinion internationale a recueilli les avis de quelques Sénégalais sur l’attribution de la distinction à l’Union européenne. Un prix différemment apprécié dans les réactions.
« Même si l’Union européenne traverse une zone de turbulence économique, elle mérite amplement le prix Nobel de paix. »
Yoro Dia, politologue et chroniqueur à l’Hebdomadaire dakarois Nouvel Horizon tranche en prenant le contre pied d’une certaine presse européenne qui ironise qu’à travers son Nobel de paix, l’Union européenne a raté son Nobel d’Economie. Dans sa chronique de la semaine dernière, Yora Dia écrivait que « même si l’Union européenne traverse une zone de turbulence économique, elle mérite amplement le prix Nobel de paix. » L’argumentaire du chroniqueur se base sur le fait que l’Union européenne est un cas unique car dans un monde où des nations ont toujours utilisé la guerre comme mode de régulation des relations internationales, elle a décidé après la deuxième guerre mondiale de substituer le commerce à la guerre comme mode de régulation. En d’autres termes, « depuis que le commerce a été substitué à la guerre comme mode de régulation, l’Europe vit la plus longue paix de son histoire. Une si longue paix de 60 ans est exceptionnelle sur le continent européen, théâtre des deux guerres mondiales, d’un génocide et d’une guerre de 100 ans. L’Union européenne est un miracle politique qui dure », justifie le chroniqueur qui pense que l’UE a rendu « la guerre anachronique même dans les Balkans connus pour leur instabilité. »
« Cette distinction est la preuve que c’est dans le multilatéral, le collectif que l’on peut faire bouger les choses dans le monde. »
Dans le même sillage, la professeure d’histoire à l’Université de Dakar, Mme Penda Mbow, par ailleurs présidente du Mouvement Citoyen estime que l’UE « mérite amplement son prix. » Comme preuve, Mme Mbow cite la présence des observateurs de la plus prestigieuse des organisations européennes lors de l’élection présidentielle sénégalaise en début février et mars 2012. « Cette présence a contribué à apaiser la situation qui était réellement très tendue. » Des actions du genre, multipliées dans le monde, contribuent à la démocratie, à la paix, à la transparence et au développement des pays.
D’après elle, le fait que cette distinction soit décernée à l’Union européenne est très important, non pas seulement en tant que prix, mais parce que cela doit permettre la visibilité de l’action de l’UE afin que les autres organisations régionales fassent de même car « cette distinction est la preuve que c’est dans le multilatéral, le collectif que l’on peut faire bouger les choses dans le monde. Donc, la distinction de l’UE est surtout une invitation à l’Union africaine, à la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO) et aux organisations similaires dans le monde à faire autant »,
Abdoulah, un commerçant syrien rencontré le 8 décembre dernier, dans son stand à la Foire internationale de Dakar (21ème Fidak du 29 novembre au 12 décembre 2012) ajoute que le mérite de l’UE réside dans le fait qu’elle est toujours présente pour la défense et l’assistance aux défenseurs des droits humains à travers le monde et aux populations victimes de violations de droits humains. « Dans notre pays (la Syrie), l’UE, sans prendre les armes, est le premier soutien des populations victimes de la terreur du régime en place », explique-t-il.
« On peut donner tous les prix Nobel qu’on veut à l’Union européenne sauf celui de la paix »
Quand certains applaudissent et encouragent le sacre de l’UE, d’autres estiment que la distinction est une farce. Une distinction qui encourage les autres à « lutter contre la paix en Afrique ». Car, selon Serigne Mansour Sy Djamil, député à l’Assemblée nationale sénégalaise, l’Union européenne doit être considérée comme un contre modèle de la paix. « On a décerné le prix à l’Union européenne alors que tout le monde sait que la main mise de l’Europe sur les richesses de l’Afrique est toujours d’actualité. Depuis l’assassinant de Patrice Lumumba et d’autres dirigeants africains, l’Europe n’a jamais voulu laisser les Africains détenir eux-mêmes leur propre économie. C’est la conséquence de toutes ces inégalités qui causent les guerres. L’Union européenne est à la base de toutes les guerres en Afrique. On peut lui donner tous les prix Nobel qu’on veut mais pas celui de la paix », dénonce le député interviewé le 12 octobre 2012 à l’Assemblée nationale sénégalaise après le discours du président français, François Hollande, tenu devant les parlementaires sénégalais à l’occasion de sa visite à Dakar.
« Le problème n’est pas le prix et son l’allocataire, mais le mécanisme qui le décerne »
Contrairement à ceux qui félicitent ou critiquent l’UE pour sa distinction de Nobel de la paix, Mouhamadou Mbodj, Coordonnateur du Forum Civil (section locale de Transparency international), affirme quant à lui que tout le débat est aujourd’hui dans la conduite des affaires du monde. « Le débat est moins sur le prix lui-même que sur le mécanisme qui le décerne. Parce qu’il se pose un problème de légitimité de ceux qui décernent le prix Nobel à tel ou tel autre », critique M. Mbdj. Pour ce faire, le coordonnateur du Forum civil préconise d’aller vers « une institutionnalisation du mécanisme qui décerne le prix. En faire un organisme de décision qui regroupe les organismes régionaux, les Nations unies, les organisations privées qui travaillent sur la question de la paix. »
Le mécanisme de décision du prix Nobel constitue pour M. Mbodj, un problème qu’il faut « disséquer ». Le mérite du détenteur du prix n’est donc qu’un détail pour lui car « depuis la deuxième guerre mondiale, le monde n’a pas pu trouver la bonne articulation entre les puissances et les pays en développement pour observer l’équité, le respect des différences dans les décisions qui gouvernement l’humanité. » Or, estime-t-il, « la mondialisation doit être une synthèse de toutes les identités du monde. Et non un débat entre dominants et dominés. Entre G8 ou 10 qui pilote le mécanisme et les identités «faibles» non considérées. »
IBrahim KANDJIMOR
>> Visionnez notre micro trottoir avec l’intervention de Cécile Coudriou, vice-présidente d’Amnesty International France