Anastasia Karimova n’a pas froid aux yeux. Ni au reste d’ailleurs, comme l’a prouvé début 2012 cette jeune journaliste russe et militante pro-démocratie. Arborant une pancarte « Ne craignons pas le froid ! », elle n’a pas hésité à se mettre en bikini par –14 °C en plein centre de Moscou pour encourager ses compatriotes à participer à la grande manifestation anti-Poutine prévue le lendemain, le 4 février. « Je ne voulais pas que le froid dissuade mes concitoyens de venir exprimer leur mauvaise opinion du gouvernement », explique-t-elle à Opinion internationale. 100 000 personnes auraient participé à la manifestation, selon les organisateurs.
À 24 ans, la chroniqueuse du quotidien russe de référence Kommersant assume sans complexe sa double casquette de journaliste et d’activiste politique. « Les journalistes sont avant tout des citoyens. Nous avons les mêmes aspirations que les militants : un véritable débat politique, des élections concurrentielles et la liberté de la presse ». Surtout, les attaques répétées du Kremlin (ou de groupes affiliés) contre les médias indépendants ne laissent guère le choix aux journalistes. « Russie Unie [le parti de Vladimir Poutine, ndlr] essaie d’élargir les possibilités de poursuites pour calomnie », illustre Anastasia Karimova. « Aujourd’hui les journalistes russes ne peuvent pas se permettre le luxe de rester impartiaux », conclut-elle.
« Même si je suis certaine que les autorités russes ne laisseront jamais l’opposition accéder au pouvoir, je continue de participer aux actions politiques. »
Une maxime que la jeune femme s’applique à elle-même. Début 2012, elle a contribué à un documentaire dénonçant la corruption du clan Poutine. « Le film a eu plus de 2 000 000 de visiteurs sur YouTube. L’internet est le dernier endroit où une presse indépendante peut s’exprimer », précise-t-elle. Entrée au sein du groupe Kommersant en 2008, Anastasia Karimova comptait déjà de nombreuses années de militantisme derrière elle. « Je suis devenue militante à 16 ans, pour protester contre la suppression de l’election des gouverneurs et la liquidation de certaines chaînes de télévision indépendantes, se souvient-elle. Même si je suis certaine que les autorités russes ne laisseront jamais l’opposition accéder au pouvoir, je continue de participer aux actions politiques. Elles permettent tout de même d’obtenir des changements locaux. »
Même si elle ne prévoit pas de changements politiques importants avant la prochaine présidentielle russe, en 2018, la malicieuse jeune femme constate que « le charisme de Poutine s’affaiblit ». L’ancien chef des services secrets n’a pourtant eu aucun mal à se faire réélire cette année, malgré le sérieux revers subi par Russie Unie aux législatives de 2011. « La propagande télévisuelle empêches les gens de lier les actions du Premier ministre [Dmitri Medvedev, ndlr] et de Vladimir Poutine à celles des ministres et de Russie Unie, explique Anastasia Karimova. Mais en réalité, la plupart des gens qui votent pour Poutine le font par habitude, parce qu’ils ne voient pas d’alternative. Il n’a presque plus de véritables partisans. »
« Il est nécessaire de s’éloigner des revendications politiques pour se tourner vers les demandes sociales. »
Comment l’opposition pourrait-elle profiter de cette situation ? Avec un flair politique certain, la jeune Moscovite estime qu’« il est nécessaire de s’éloigner des revendications politiques pour se tourner vers les demandes sociales ». Pointant les différences de préoccupation entre les habitants de la capitale et ceux des provinces, elle rappelle que ces derniers comprennent parfaitement la démocratie de proximité. À savoir « des élections municipales transparentes, avoir leur parole entendue sur les problèmes locaux et régionaux… »
Anastasia Karimova ajoute que les provinciaux s’inquiètent de plus en plus de la construction d’usines dangereuses pour l’environnement près de chez eux. Selon elle, « les prochaines protestations partiront des régions. Et pour apaiser ce mécontentement, le gouvernement sera prêt à faire des concessions sociales ». D’autant que l’opposition est bien plus diversifiée, désormais : « Beaucoup de protestataires ont des opinions gauchistes et considèrent que Poutine mène la même politique que Boris Eltsine ». Cruel revers pour celui dont le succès s’est largement bâti sur le rejet des années Eltsine.
Yannick Le Bars
>> Visionnez le documentaire dénonçant la corruption du clan Poutine (en russe)