Opinion Internationale a rencontré à Tunis Souhaeil Idoudi, un jeune tunisien de 31 ans diplômé et chômeur depuis 2004 également membre de l’UDC (Union Des Chômeurs) pour l’interroger sur son parcours et la situation économique et sociale du pays, deux ans après le début de la révolution en Tunisie.
OI – Pouvez-vous présenter votre parcours universitaire et professionnel et nous parler de votre recherche d’emploi actuelle en Tunisie ?
Souhaeil Idoudi – J’ai eu mon baccalauréat mention lettres en 2001 et ai ensuite étudié à Kairouan à l’institut supérieur des études technologiques en filière administration et communication avec la spécialité gestion des ressources humaines. J’ai fini mes études en 2004 et ai ensuite fait des stages dans une banque, un stage à l’usine du tabac de Kairouan et un autre dans l’administration hôtelière. Ensuite j’ai essayé de trouver un emploi mais là-bas, dans le sud du pays, il n’y a pas d’activité économique et donc pas d’emplois. J’ai donc tenté de travailler dans la restauration de manière ponctuelle pour ne pas rester sans rien faire. Avant la révolution du 14 janvier j’ai eu de nombreux problèmes avec l’État sous le régime de Ben Ali car j’étais membre de l’UGET (Union Générale des Etudiants Tunisiens) et suis aussi actif avec la FTDH (Fédération Tunisienne des Droits de l’Homme). A cause de mon activisme en étant étudiant, j’ai été arrêté à plusieurs reprises par la police sans être emprisonné. Cependant j’ai été victime de torture physique avec d’autres militants pendant ces arrestations par la police. A cause de cet activisme, je n’ai jamais pu m’inscrire à des concours de la fonction publique et n’ai jamais reçu de réponses à mes différentes demandes car mon nom était sûrement sur une liste noire. Mon engagement a aussi eu des conséquences similaires pour des membres de ma famille, qui sont aussi au chômage.
Mohamed Bouazizi s’est immolé pour revendiquer le droit de travailler dans la dignité pour gagner sa vie. Deux ans après, quelle est votre avis sur l’évolution de la situation économique et sociale de la jeunesse tunisienne, à la veille du deuxième anniversaire de la Révolution du 14 janvier 2011 ?
Pour nous les jeunes diplômés ou pas diplômés, rien n’a changé. Notre situation économique et sociale est encore plus dure qu’il y a deux ans car vu la situation économique actuelle et la crise du tourisme il y a encore moins d’opportunités qu’avant et donc moins d’offres d’emploi. Personnellement je n’ai pas eu l’occasion de pouvoir travailler depuis la révolution.
Quelles sont vos attentes par rapport à l’action et la politique du gouvernement actuel également porté au pouvoir par de nombreux jeunes tunisiens désabusés par la dictature de Ben Ali et en manque d’espoirs ?
Les jeunes sont de plus en plus pessimistes et ils n’attendent rien aujourd’hui de ce gouvernement. Ce sont les mêmes méthodes de recrutement, déjà en usage sous le régime de Ben Ali qui perdurent : le recrutement par pistons ou en raison de son appartenance au parti majoritaire au gouvernement. Il n’y a pas eu de changement et au niveau des lois pour faciliter le recrutement des jeunes ou pour leur permettre de créer de petits projets professionnels. La corruption et le népotisme pour le recrutement sont quasiment identiques à celui en vigueur sous le système de Ben Ali et les passe-droits sont encore d’actualité. Les annonces du gouvernement actuel pour l’emploi des jeunes étaient juste des effets d’annonces pour les médias mais en réalité il n’y a aucune réelle action du gouvernement. La révolution n’a rien changé si ce n’est que Ben Ali est parti. L’UDC a cessé de négocier avec le gouvernement actuel depuis quatre mois car nous avons compris qu’aucune évolution n’est possible dans la mesure où ce gouvernement n’a aucun projet pour les jeunes chômeurs et ce quelle que soit leur appartenance sociale.
Le chômage concerne les jeunes tunisiens toute catégorie sociale confondue, pensez-vous que la jeunesse est condamné à émigrer pour survivre ou espérer une vie meilleure qu’en Tunisie ?
Je pense que l’émigration n’est pas le bon choix ni une solution mais certains jeunes chômeurs de tous niveaux et catégorie sociale confondus se sentent obligés de partir. Il faudrait agir vite et sérieusement pour éviter ce phénomène. Nous avons des membres à l’UDC qui sont doctorants et qui souhaitent partir à tout prix de la Tunisie car ils n’ont pas d’autres choix ni d’avenir. L’Etat doit assumer sa responsabilité dans ce grave problème.
En ce qui me concerne, j’estime que je dois rester en Tunisie pour continuer à me battre et militer pour changer les choses même si ma situation est très difficile pour ma famille et moi car nous sommes pauvres. Aujourd’hui je suis un peu soutenu, par ma famille et quelques amis pour pouvoir survivre. C’est mon devoir de rester en Tunisie, en espérant toujours que le changement va se produire.
Propos recueillis par Sarah Anouar, correspondante à Tunis.