Tunisie
08H28 - vendredi 18 janvier 2013

Le « délit » d’opinion d’Ayoub Massoudi contre l’armée

 

La décision de la Cour d’Appel militaire de Tunis, concernant l’affaire « Ayoub Massoudi »  a été rendue le 4 janvier 2012. Ayoub Massoudi, ex-conseiller auprès du Président de la République Moncef Marzouki a été jugé devant un tribunal militaire pour avoir critiqué l’Armée tunisienne et un fonctionnaire de l’Etat. Le fond et la forme de l’affaire révèlent une grave atteinte à la liberté d’expression en Tunisie aujourd’hui.
Un procès d’opinion devant les juridictions militaires en Tunisie

Le calvaire de Ayoub Massoudi, ancien conseiller principal chargé de l’information
du Président de la République Moncef Marzouki, a commencé  le 15 août 2012 quand une interdiction de voyager a été prise à son encontre. Il a ainsi été privé de rejoindre ses deux enfants et sa femme résidents en France.

Le 21 septembre 2012, Ayoub Massoudi a été convoqué à comparaître devant le tribunal militaire qui siège à Tunis pour atteinte à la dignité de l’armée et diffusion de fausses nouvelles à travers les médias et diffamation d’un fonctionnaire de l’Etat. En effet, une plainte a été déposée contre lui par le général Rachid Ammar, chef d’état-major des forces armées de Tunisie, et par le Ministre de la défense Abdelkarim Zbidi qui préside également le Conseil supérieur de la magistrature militaire. Cette plainte est intervenue suite à sa démission de son poste en signe de protestation contre l’extradition de Baghdadi Mahmoudi , ancien premier ministre libyen de Khadafi, en juin 2012, sans accord préalable du Président Moncef Marzouki. Ayoub Massoudi a donc été inculpé suite à sa prise de position publique dans le cadre de ses fonctions contre cette extradition.

Malgré la dénonciation de cette extradition par la majorité des citoyens tunisiens  et des organisations internationales de défense des droits de l’Homme, Ayoub Massoudi est manifestement le bouc-émissaire d’un pouvoir qui veut intimider celles et ceux qui expriment leur opinion.  Il a été poursuivi devant la justice militaire alors qu’il n’est pas lui-même un militaire.

Après plusieurs audiences, le tribunal militaire de première instance l’a condamné, le 21 septembre 2012, à quatre mois de prison avec sursis ainsi qu’à une amende d’un dinar symbolique. Par ailleurs, l’interdiction de voyage a été levée. Croyant en son innocence et en son droit de s’exprimer librement, Ayoub Massoudi et son comité de défense ont interjeté appel dans l’espoir d’obtenir un non-lieu dans cette affaire à caractère politique.

 

Les droits humains bafoués par ce procès

 

Le cauchemar  judicaire s’est poursuivi pour Ayoub Massoudi qui n’a d’ailleurs jamais pu quitter le territoire tunisien car la levée de l’interdiction (prise le 15 août 2012) n’a jamais été mis en application. Après trois  audiences reportées, la cour d’appel militaire,  qui siège à Tunis, a annoncé son verdict le 4 janvier dernier en faisant passer la peine d’Ayoub Massoudi  de 4 mois à 12 mois d’emprisonnement avec sursis. Il sera aussi privé d’accès à la fonction publique, de servir dans l’armée et à toute forme de décoration honorifique.

Cette décision a été qualifiée par les comités de défense et de soutien d’Ayoub Massoudi ainsi que par la majorité des institutions de défense des droits de l’homme nationales et internationales, comme une atteinte à la liberté de s’exprimer librement.

Dans cette affaire, des questions se posent quant au caractère « sacré » ou intouchable des institutions tunisiennes et de ses hauts fonctionnaires : critiquer l’armée serait-il un crime ? Peut-on juger un civil devant les  tribunaux militaires ? Ce procès d’opinion serait-il un avertissement pour toute personne qui oserait critiquer le gouvernement et les institutions de l’Etat ?

Ayoub Massoudi continue à lutter pour son pays à travers ses écrits sur son blog. Il continue à sillonner le pays  pour éclairer les gens sur les souffrances de l’opprimé. Il est  par ailleurs très actif au Kef, sa ville d’origine, où il a  lancé la Ligue des libertés et du développement humain au Kef avec un groupe de militants de la région.

 

Lina Ben Mhenni