« Hizb Ettahrir » (Parti de la Libération), en Tunisie est affilié à une organisation internationale, fondatrice, du même nom et créée en 1953 à Jérusalem par un juge palestinien Taki Eddine. Le parti politique a été rejeté et qualifié d’illégal dans de nombreux pays du monde arabe, en Europe et notamment en Tunisie (action militante depuis 1972) sous la présidence de Bourguiba et de Ben Ali. L’action du parti est internationale et elle est présente dans 44 pays dans le monde et en Europe, dans tout le monde arabe (base de l’action) et en Asie. Il y a dans chaque pays une organisation de l’action politique dont l’Islam est l’idéologie et sa seule source de pensées et valeurs.
En Tunisie, le parti dont le leader est Abderraouf El Amri, a été légalisé en juillet 2012 et souhaite remettre le mode de vie islamique dans la vie active des Tunisiens en rétablissant le système du Califat, « Etat Islamique aux frontières géographiques redéfinies ».
Quelle est la légitimité que vous donnez à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) ? Et quelle est votre position sur le dernier projet de Constitution élaborée par celle-ci ?
L’objectif de l’ANC était d’aboutir à un consensus. Pour nous le consensus en matière législative n’a pas d’intérêt, même s’il peut servir dans d’autres actions de la vie politique. En revanche, nous considérons le consensus en matière législative comme contraire à la doctrine islamique qui a résolu le problème de la dictature en imposant la loi suprême, la loi divine.
L’ANC a été basée sur un modèle beaucoup plus proche des problèmes occidentaux que des problèmes musulmans car dans le monde islamique n’a pas de problème en matière législative vu qu’il doit être basé sur le Coran, unique source de Droit.
Ainsi nous ne reconnaissons pas sa légitimité de par sa fonction et sa vocation d’établir une constitution, même si nous admettons que son établissement a été fait en bonne et due forme à travers des élections. Pour le parti Ettahrir, le pouvoir d’élaborer la loi fondamentale qui est la constitution n’appartient pas au ressort de l’être humain mais au Coran et à la « Sunna » (paroles et actes du prophète Mohamed).
En ce qui concerne le dernier projet de constitution, nous estimons que c’est un copié-collé de la constitution de 1959 imposée par le colonialisme. Après la première guerre mondiale et suite aux accords de Skykes-Spico de 1916, l’Occident a fait main basse sur toute la vie du monde arabe pour assurer et protéger sa suprématie sur les musulmans sur le plan culturel, politique et économique, comme objectif du colonisateur. Nous rejetons cette constitution dans son intégralité de par sa source (ANC) et de par ses fondements sur un Etat Civil qui est contraire à la foi islamique.
La foi islamique se base sur une vérité absolue qui est l’existence de Dieu. De part cette existence, nous considérons que seul Dieu peut nous donner le meilleur mode de vie. C’est la différence entre le Christianisme et l’Islamisme. Le Christianisme a été déformé dans ses origines et on a vu la dictature de la monarchie et des hommes de l’Eglise qui ont donné leurs solutions selon leurs intérêts.
Les Musulmans ont une source de réflexion spéciale en matière législative : On étudie le problème et on cherche les solutions qui sont présentées par le Coran et par la « Sunna » Notre manifestation du 11 janvier dernier était pour contester les pouvoirs que les élus de l’ANC s’octroient en élaborant une constitution civile.
La révolution qui a commencé en Tunisie est l’émergence d’un désir de Renaissance dans le monde arabe. Nous ne pouvons connaître cette Renaissance uniquement en se basant sur notre doctrine qui porte une vision totale du parti Ettahrir sur l’Univers, l’Homme et la vie à la lecture du Coran.
D’ailleurs, nous sommes le parti politique islamique Ettahrir : nous représentons tous les Musulmans et tous les courants de l’Islam (sunnites ,chiites, etc..). Les salafistes sont des membres de notre parti parmi d’autres membres représentants d’autres courants.
Quelle est la position du parti Ettahrir sur l’action du gouvernement actuel de la Troïka (coalition du parti Ennahda, Congrès pour la République et Ettakatol) dont la force majoritaire est le parti islamiste Ennahda ?
Peut-on parler d’action de ce gouvernement ? Ou est-ce qu’il n’a fait que réagir ?
Il n’a pas fait d’action notable et il s’est trouvé piégé dans un système où il devait réagir. Nous n’avons ressenti aucun changement sauf peut-être sur le plan de certaines libertés, positivement ou négativement. Il y a eu beaucoup de changements sur le plan de la liberté d’expression mais ceci n’est pas dû à l’action du gouvernement bien qu’elle essaie de la canaliser dans un certain sens sans y arriver. Sur le plan idéologique les trois partis de la coalition se ressemblent sur les idées. Le parti Ennahda est un parti démocratique, civil qui n’a pas d’autres objectifs que ceux permis internationalement aujourd’hui. Le parti Ennahda a écarté l’application de la Charia, loi islamique.
De plus, l’intervention étrangère est pour nous visible et flagrante. Je parle principalement de l’intervention française. Surtout dans l’élaboration de l’ANC et des objectifs de l’ANC qui ont été dessinés et décidés à l’étranger : Yadh ben Achour et Beji Caid Essebsi sont allés recevoir les directives et les processus qu’il fallait appliquer en Tunisie. D’ailleurs on ne parle que de « transition démocratique » et c’est erroné. On nous impose le système démocratique mais on a le droit choisir de faire une transition vers la démocratie ou vers l’Islam.
Quel est votre projet de société et sur quels fondements s’appuie-t-il ?
Nous souhaitons une société islamique qui est fondée totalement sur la seule et unique source de l’Islam : Le Coran et la « Sunna ». Ainsi ce n’est pas à l’être humain de légiférer pour instaurer son système de vie. C’est Dieu, par son prophète Mohamed, qui nous a informé sur comment résoudre tous nos problèmes. Nous avons un patrimoine juridique qui dépasse de loin celui de toutes les autres idéologies. Il est basé sur « l’Idjtihad » le mécanisme d’interprétation juridique qui consiste en l’étude d’un problème juridique d’une manière approfondie pour déduire sa solution à la lecture du Coran et la « Sunna ».
L’Etat Islamique est universel et il n’a pas les frontières fixées par les Nations Unies : Nous parlons de Califat qui est le représentant pour l’application de l’Islam sur le plan interne et la propagation de l’Islam dans le monde externe. C’est une idéologie qui exporte ses solutions non pas en tant que colonisateur en dévastant les richesses des autres nations mais pour propager le dogme, auprès des personnes, de l’adoration de la divinité et non pas de l’adoration des êtres humains.
Quelles sont les limites géographiques du Califat ?
Le Califat n’a pas de limites géographiques établies et immuables. Il commence par la partie islamique et en essayant de réunir tout le monde arabe (de l’Indonésie au Maghreb) et nous sommes tenus par le Coran de propager cette idée, d’informer les gens qu’il existe un Dieu et que cette divinité a exigé qu’on l’adore pour « le Jugement Dernier » qui sera basé sur cette idée. Nous parlons de croyants et de mécréants parmi les êtres humains.
Pour la Tunisie, nous pensons que pour appliquer l’Islam, la méthode est de constituer un Etat islamique basé sur le Califat. Cet Etat serait dans un premier temps limité à ses frontières actuelles (telles que reconnues par le droit international) mais il devra s’étendre et se propager comme je l’ai précédemment expliqué.
Quel est le modèle économique que vous retenez pour réaliser ce projet ?
Nous rejetons le système capitaliste actuel. Nous souhaitons répartir le capital de manière équitable sans intervenir au niveau individuel en s’appuyant sur la règlementation islamique. Nous ne parlons pas de libertés économiques. Nous refusons la mondialisation et nous ne voulons pas accepter les restrictions de la mondialisation qui donne à chaque Etat un rôle définit par les super puissances internationales et qui s’accaparent toutes les richesses dans le monde entier.
Par exemple, le pétrole doit être considéré une comme propriété publique qui profiterait aux peuples et ne remplirait pas les poches des gouverneurs et des princes. En effet, le prophète Mohamed a déclaré : « les musulmans sont associés dans trois choses: l’eau, le fourrage et le combustible » qui sont les ressources fondamentales qui permettent la production de nourriture. Ainsi toutes les ressources énergétiques sont considérées comme des biens publics.
D’ailleurs l’intervention française au Mali ne représente que cette volonté de vouloir toujours s’accaparer toutes les richesses dans le monde. Nous n’avons même pas le droit de choisir le système avec lequel on veut vivre : un Etat basé sur l’industrie lourde et en fabricant nos propres produits.
L’échec du système capitaliste est aujourd’hui évident et surtout sur le plan monétaire. L’Etat islamique propose que toutes les monnaies soient référencées à l’or et à l’argent d’une part et d’autra part, nous sommes pour l’abolition de l’intérêt en matière de transfert de fonds entre les pays du monde.
Quelle est votre position concernant l’apport du Code du Statut Personnel de 1956 ?
Les femmes sont considérées par notre prophète comme les sœurs des hommes. C’est-à-dire qu’il n’y a aucune distinction. Vu leur spécificité biologique, nous (les musulmans) sommes tenus de les protéger. La femme dans la société musulmane n’est pas obligée de travailler. Les tâches entre les hommes et les femmes ont été réparties dans la loi islamique sans pour autant obliger la femme à travailler. Le travail n’est pas interdit en revanche, dans le système capitaliste, c’est une obligation aujourd’hui, car l’Etat ne donne pas de revenus à la femme quand elle se retrouve dans une situation où elle doit assumer seule une famille. Ainsi le travail est une obligation.
Aujourd’hui l’un des plus grands problèmes sociaux est la violence subie par les femmes. Je précise que ce n’est pas un problème arabe mais mondial. La nature de la femme est plus faible que celle de l’homme sur le plan physique mais pas intellectuel.
En ce qui concerne le CSP, Bourguiba n’a pas donné grand-chose à la femme tunisienne. Il a seulement incité à rendre son comportement un peu sauvage par rapport à la loi islamique. Elle a pu s’émanciper de certaines règles strictes de l’Islam. Nous condamnons ce code sur le fond car il a été fait avec mauvaise foi en s’inspirant du modèle occidental. Il voulait aboutir à une société du type libérée en voulant une femme libérée mais ce n’a pas été aussi facile et il lui a fallu beaucoup de temps pour aboutir à un résultat où la femme se trouve aujourd’hui totalement désorientée et d’abord loin de ses origines musulmanes. L’homme a également été victime du CSP qui a modifié le divorce et le mariage. Nous condamnons ce code pour le supprimer et mettre en vigueur la loi islamique en matière de relations entre les hommes et les femmes sans pour autant obliger les femmes à rester à la maison ou ne pas les éduquer. Bourguiba a dépassé les limites de la liberté.
Comment envisagez-vous la protection des droits humains et des libertés fondamentales prévue par le droit international, patrimoine juridique universel ?
Nous rejetons en totalité ces idées imposées par certaines puissances comme les Etats-Unis et ses alliés pour imposer leurs idées capitalistes à toutes les nations du monde, en rendant ces convictions idéologiques comme universelles et applicables à toutes les nations. Seule la loi islamique est suffisante pour régir les êtres humains. Nous ne reconnaissons pas le droit international et nous ferons tout pour le remettre en question dans tous ses aspects. Le problème du Proche-Orient est basé sur ce système car ces États acceptent que l’Etat d’Israël soit fondé sur le droit international bien qu’il enfreint le droit international déjà dans sa philosophie.
On accuse le parti Ettahrir et certaines mouvances dont la mouvance salafiste d’utiliser des moyens violents pour revendiquer des idées. Est-ce que ces moyens sont pour vous légitimes ?
Le parti Ettahrir est un parti de principes : nous avons choisi la lutte politique et en aucun cas nous avons usé de moyens matériels ou de violence pour atteindre et aboutir à nos objectifs. C’est une question de conviction, nous adoptons la méthode du prophète qui n’a pas utilisé la violence car son objectif était d’aboutir à une renaissance intellectuelle.
La prise des armes, n’est donc pas un moyen dont vous parlez pour rétablir le Califat ?
Nous condamnons totalement la violence pour revendiquer des idées et nous considérons que la renaissance est la base de tout notre travail politique.
Vous parlez alors de « renaissance intellectuelle » et non pas de « guerre sainte » ?
La guerre sainte ne peut être effectuée que par l’Etat Islamique. On ne prend les armes que pour défendre notre pays mais pas pour imposer nos idées. Notre méthode est la lutte politique et la renaissance. Les Etats-Unis restent incapables de nous mettre dans la liste noire des partis terroristes car nous n’avons organisé aucune action terroriste ou violente de par nos militants ou par le parti Ettahrir islamique.
Vous avez dit toute à l’heure que la mouvance salafiste est l’une des mouvances de votre parti, quelle est votre position par rapport à cette mouvance dont on parle beaucoup dans les médias et notamment dans le reportage diffusé par envoyé spécial sur France 2 le jeudi 17 janvier dernier.
Le mouvement salafiste aujourd’hui est principalement un mouvement d’idées. Il concerne une méthode concernant la foi islamique. Ils ont une méthode différente de la nôtre car ils considèrent certains musulmans comme mécréants pour des détails que nous n’acceptons pas.
Propos recueillis par Sarah Anouar, correspondante à Tunis