El Teatro (le théâtre en espagnol), espace d’art et de création met à l’honneur le théâtre mais pas seulement. Ce nom a été retenu car « ettratrou » est le mot pour dire « théâtre » en dialecte tunisien (qui est parfois un mélange d’arabe et d’autres langues). Ce lieu incontournable se situe dans la capitale, Tunis, au pied de l’hôtel Golden Tulip depuis octobre 1987, date de sa fondation. Taoufik Jebali, homme de théâtre est le fondateur de cet espace devenu une référence dans le monde culturel en Tunisie mais aussi à l’international. Pour découvrir le lieu et son histoire, OI a rencontré Zeineb Farhat, femme vive qui dirige l’espace avec une main de velours.
Un espace de créativité authentique et d’échanges sous la dictature
Comme pour souligner un paradoxe, El Teatro a été fondé en 1987, année de l’arrivée au pouvoir du Président Ben Ali (7 novembre 1987). La dictature de Ben Ali et sa propagande n’ont pas empêché ce lieu de rester un véritable espace de créativité s’affranchissant et contournant la censure mise en place à travers différents garde-fous telle la commission administrative délivrant les visas d’exploitation et de diffusion des pièces de théâtre en Tunisie.
Selon Zeineb Farhat, El Teatro, à travers la volonté de Taoufik Jebali, n’a jamais plié face à la nécessité de se conformer à la censure des services du Ministère de la Culture afin de pouvoir diffuser les pièces de théâtre. Elle ajoute que la créativité artistique a été très riche pendant les deux décennies de la dictature et toutes les pièces ont été jouées sans aucune modification de fond.
El Teatro n’a pas connu de changements majeurs après la révolution du 14 janvier 2011 car une grande liberté de ton s’est toujours manifestée dans les différentes pièces de théâtre jouées en son sein. Zeineb Farhat a souligné le rôle de « l’administration silencieuse » et sa « complicité magnifique » sous l’ère de Ben Ali : ainsi certains fonctionnaires fermaient les yeux sur le contenu de certaines pièces de théâtre en n’intervenant pas pour empêcher et interdire l’exploitation ou la diffusion des pièces dans d’autres villes en Tunisie.
El Teatro est certes un espace voué d’abord au théâtre et aux arts de la scène mais c’est aussi un espace citoyen qui a accueilli des événements réunissant des organisations et des personnes engagées contre la dictature et pour les droits humain sous la dictature, alors que la liberté de réunion était très surveillée voire inexistante. En 2000, El Teatro s’est retrouvé entouré de cinquante-cinq policiers venus pour empêcher la tenue d’un événement organisé pour célébrer la journée mondiale des droits de l’Homme. Sous la dictature, ce lieu était surveillé mais Zeineb précise qu’on ne peut pas parler de « clandestinité » car à Tunis « tout se sait » et elle ajoute que les intimidations et les pressions exercées par le pouvoir n’ont jamais dépassé le cadre de la censure organisée sous le régime de Ben Ali.
El Teatro permet de découvrir des artistes en organisant notamment des expositions d’art plastique mais aussi à travers son école de formation encadrée par huit artistes et professionnels du théâtre en Tunisie : El Teatro Studio propose des ateliers de théâtre et de danse pour les enfants et les adultes. Ces ateliers sont aujourd’hui la principale source de revenus et de finance pour l’espace culturel qui ne reçoit qu’une modeste subvention annuelle du ministère de la Culture comme tous les autres espaces en Tunisie.
L’espace culturel diffuse également ses œuvres dans les régions en travaillant avec un réseau d’associations à travers toute la Tunisie et de nouvelles pièces seront présentées à son public pendant la saison 2013. Son public, essentiellement composé d’intellectuels en Tunisie se rajeunit avec les années d’après Zeineb, qui s’en réjouit car c’est la preuve que la culture se « démocratise » et que la jeunesse s’intéresse à la culture. Pour élargir son public, le sous-titrage en français des pièces jouées en dialecte tunisien, a été mis en place. Le programme de l’année 2013 proposera notamment la pièce «Cherche Sâadia désepérément », vue par Opinion Internationale lors de la première le 23 janvier dernier, qui met en avant la problématique du racisme envers la minorité noire en Tunisie et le joug de l’esclavagisme.
Mise en scène par Naoufel Azara, la pièce est sublime, touchante et rappelle que la Tunisie a été le premier pays arabe à abolir l’esclavage le 23 janvier 1846. La pièce sera rejouée cette année avec d’autres nouveautés comme « Klem ellil, zéro virgule » ou encore « Houmti nawarti » réalisée avec des jeunes de la ville de Kasserine. Une programmation éclectique pour rappeler une des vocations du lieu par l’invitation à la réflexion sur l’Art et le rôle des artistes.
Cette invitation est plus que d’actualité en cette période de transition démocratique où la culture doit jouer un rôle majeur pour garantir et instaurer la démocratie en Tunisie mais aussi pour continuer à enrichir, ce que Zeineb Farhat appelle, « la mémoire collective des arts et de la culture » constituée par les artistes tunisiens et leurs œuvres .Ainsi El Teatro continuera à être un acteur indéniable de la culture en « jouant » quelques lignes de l’écriture de son histoire.
Sarah Anouar, correspondante à Tunis