En octobre 2012, la télévision publique chinoise CCTV a fait une enquête, en demandant aux gens s’ils vivaient heureux. Le micro-trottoir n’a duré que dix minutes, mais une fois publié, a initié un vrai débat qui ne cesse d’être discuté jusqu’à présent.
Dans ce court-métrage, les interrogés sont des gens de tous âges et de métiers différents. Contrairement à l’intention première de CCTV, les réponses ne sont pas universellement élogieuses. À la question « Êtes-vous heureux ? », un homme d’âge moyen a répondu : « Je suis ouvrier migrant, ne me demandez pas. » Mais l’enquêteur n’a pas renoncé : « Mais c’est pour tout le monde, êtes vous vraiment heureux ? » Pour éviter de répondre, l’interrogé a esquivé par un jeu de mot avec un homophone d’heureux. Certaines réponses étaient plutôt nationalistes : « Je ne suis pas heureux parce que les îles Diaoyu ne sont pas encore récupérées ». Chez les personnes âgées, les réponses se font plus optimistes : « Bien sûr que je suis heureux, grâce à l’Etat, grâce au parti communiste, maintenant je mange bien et me vêtis chaudement, ça suffit pour moi ! » Pourtant, les réponses chez les jeunes sont toujours plus ou moins anxieuses : « Le bonheur ? C’est pas pour moi, qui n’ai ni voiture ni logement, et qui travaille comme un chien, toujours occupé ! » « Mais j’ai toujours espoir, qu’avec des efforts, un jour je serais riche ! » Quant à Mo Yan, écrivain chinois qui a gagné le prix Nobel en 2012, sa réponse est toute simple : « Je ne sais pas. »
Société en transformation: une douleur inévitable ?
Aujourd’hui, le développement rapide de la Chine est au vu et su de tous. Mais l’accroissement de la richesse représente-t-il le sentiment de bonheur correspondant chez les Chinois ? Est-ce que le niveau de satisfaction dans la vie quotidienne s’est autant élevé que les gratte-ciel?
À partir des années 1980, avec l’intégration du marché mondial, la Chine a connu de grands changements sociaux concernant la répartition des richesses, l’urbanisation, ou encore les valeurs et les idéologies. Tout cela s’est engouffré dans une société qui était auparavant purement « rouge, communiste et révolutionnaire ». Résultat : ceux qui ont bien saisi l’opportunité se sont rapidement enrichis, et ils ont vite rédigé des nouvelles règles du jeu, alors que la plupart des autres restaient troublés par les grands impacts et, quand ils se sont rendus compte de la nouvelle situation, le pays face auquel ils se trouvaient n’était plus celui d’avant. Ils ont eu à s’y adapter et ils portent grand espoir de s’enrichir et d’y vivre mieux, comme de nombreux exemples le montre déjà. Ainsi, pour se lancer complètement dans cette grande époque, ils essayaient de laver l’empreinte des années révolutionnaires où les gens avaient déjà presque complètement rejeté un poids historique lourd de 5000 ans.
Les grands changements ne sont pas faciles pour un pays peuplé d’un milliard de personnes. C’est la raison pour laquelle on constate des problèmes sociaux. Avec l’accélération du développement, les jeunes travaillent sous grande pression, alors qu’ils ne sont pas toujours bien payés. L’urbanisation a attiré de plus en plus de paysans dans la ville, ils quittent les champs où ont travaillé leurs ancêtres depuis des centaines des générations. Sans formation, ils ne trouvent que des emplois manuels acharnés mais mal payés, ils sont les fameux « ouvriers migrants ». Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que 13 jeunes travailleurs dans une usine de fabrication se sont successivement suicidés en 4 mois, et «le bonheur c’est pas pour moi » n’est pas une réponse au hasard.
Le modèle de Chengdu : Le développement n’est pas forcément au prix du bonheur
Si « Pas de douleur, pas de gain » est une idée qui s’applique à la plupart des régions de la Chine, le modèle de Chengdu montre un autre exemple plus heureux, mais non moins efficace.
La 8e du classement du PIB parmi toutes les villes en Chine dans le premier semestre de 2012, est la ville de Chengdu qui se trouve au premier rang des « villes les plus heureuses ». Contrairement à la mentalité stéréotypée des grandes villes, les habitants de Chengdu ne cherchent pas toujours la richesse. Bons vivants, ils ont le cœur léger et ils valorisent la création. Cette mentalité de l’ancien chinois a été bien préservée dans cette ville, qui se trouve au Sud-ouest, et qui a été protégée des guerres ou des grandes turbulences. Ville avec une très grande richesse historique, Chengdu en a profité et a développé un modèle à double aspect : celui de la culture et de l’industrie.
Force est de constater que la Chine a fait beaucoup de sacrifices pour se développer. Elle s’est modernisée, ce qui a eu pour conséquence une diminution de l’importance de la culture traditionnelle. La répartition déséquilibrée de la richesse sociale, la pollution grave de l’environnement, et le problème de sécurité alimentaire sont les sources de son malheur. La grande vitesse de la société éblouit les gens et les désoriente. Les Chinois sont victimes d’un certain modèle de développement, bien qu’ils aient beaucoup d’argent, ils ne sont pas nécessairement épanouis et se sentent stressés.
Il est temps que la Chine ralentisse son développement et que les Chinois retrouvent à nouveau le bonheur, qui ne se trouve pas seulement dans la vitesse et dans la richesse.
Lyne Yuanxing