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Un déferlement d’émotion
Cet assassinat a soulevé une vague d’émotion, de rage et d’indignation, partageant l’opinion publique entre accusation et absolution d’Ennahdha. Plusieurs responsables d’opposition et syndicalistes ont accusé le parti islamiste, sinon d’être complices du meurtre, du moins d’en être responsables.
Interviewée par OI lors de la manifestation avenue Bourguiba, Meya Jribi la secrétaire générale du Parti républicain, a ainsi déclaré : « C’est un assassinat politique qui n’est pas venu de rien. Les responsables du crime sont ceux qui l’ont encouragé et qui ont considéré que ces groupuscules (Ligues de protection de la Révolution, Ndlr) font partie de la société civile, ceux-là mêmes qui n’ont pas arrêté de les recevoir et de les soutenir. »
En revanche, d’autres acteurs politiques ont affirmé que le parti Ennahdha n’avait pas d’intérêt à commettre un tel crime. Samia Abbou la députée du Congrès pour la République (CPR) et membre de l’Assemblée Nationale Constitutionnelle (ANC), a accusé Beji Caid Essebsi le chef du parti d’opposition de centre droit, Nidaa Tounes, d’être derrière ce crime. Cette déclaration a été ravivée par la prompte apparition le 8 février, de BCE sur la chaine privée Nessma TV, pour appeler à dissoudre l’ANC, ainsi que le gouvernement actuel. Ces déclarations ont été considérées par la présidence comme un appel à un coup d’Etat, l’amenant à porter plainte contre lui.
L’après-midi, des manifestants se sont rassemblés devant la clinique Ennasr, où Chorki Belaid avait été transporté avant de succomber à ses blessures. Les cris d’indignations y ont jailli réclamant la chute du régime. Partant en, cortège de la clinique Ennasr, accompagnant l’ambulance qui transportait la dépouille de Chokri Belaid, cette foule qui s’est accrue au fil de la propagation de la nouvelle pour réunir quelques deux milles manifestant devant le ministère de l’Intérieur. Faisant face à des actes de pillage et de violences, qui ont coûté la vie à un agent de police, Lotfi Zar, les forces de l’ordre ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser la foule.
Visionnez les funérailles de Chokri Belaid. Images par Rached Chérif.
La crise politique à son paroxysme
La mort de l’opposant Belaid a engendré une confusion politique flagrante, et poussé le chef du gouvernement Hamadi Jebali à annoncer une initiative individuelle, sans consulter les membres de la troïka du pouvoir (CPR, Ettakatol et Ennahdha). Le Premier ministre a ainsi déclaré qu’il souhaitait dissoudre le gouvernement actuel pour former un gouvernement composé de technocrates. Cette décision a aussi suscité de nombreuses réactions, partagées.
Ce lundi matin, M. Jebali réaffirmait sa décision dans le quotidien français le monde, lançant un ultimatum à l’ensemble de la classe politique tunisienne, y compris à son propre parti, dont il souhaite rester le secrétaire général : « si je n’ai pas de majorité, je démissionnerai ».
Une grève générale a été déclarée le surlendemain de l’assassinat de Belaid, à l’appel de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), pour une « grève pacifique contre la violence ». Les autorités en revanche avaient demandé aux citoyens « d’éviter tout ce qui porterait atteinte à la sécurité publique ». Des acteurs politiques ont également appelé à un rassemblement pacifique pendant les funérailles tel que Ahmed Brahim (gauche) et Khmaies Ksila (indépendant) et des membres de Nidaa Tounes.
La grève a atteint l’aéroport international de Tunis-Carthage, provoquant la fermeture de nombreuses entreprises, des banques et magasins. Les services d’urgence et les épiceries restaient néanmoins ouvertes, selon l’UGTT.
Les échos médiatiques à international
Les Tunisiens de France se sont mobilisés en réaction à l’assassinat de M. Belaid. Plusieurs centaines de personnes ont ainsi manifesté mercredi soir à Paris à l’appel de plusieurs partis et associations de Tunisiens en France, près de l’ambassade de Tunisie. Une délégation de sept personnes, dont des représentants du parti de M. Belaïd, farouche opposant aux islamistes, a été reçue par l’ambassadeur, M. Adel Fekih, afin d’entendre leurs doléances. Cet entretien a duré jusque tard le soir.
Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur français a condamné ce crime. Déclarant que la Tunisie n’est plus un exemple du printemps arabe, M. Valls a affirmé que « la France soutiendra les démocrates pour que les valeurs du Jasmin arabe ne soit pas trahies et qu’elle ne coopéra jamais quand il s’agit de réprimer un peuple », ajoutant qu’ « il y a un fascisme islamique qui monte un peu partout qui doit être condamné ». Ces propos ont fait polémique au sein d’une opinion publique à fleur de peau.
Le ministre tunisien des affaires étrangères, Rafik Ben Abdessalem a considéré ces déclarations comme provocantes et annoncé que le ministère comptait y répondre fermement en affirmant que la Tunisie reste sans doute, l’exemple du printemps arabe.
Selon un communiqué publié hier, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a également condamné fermement l’assassinat de Chokri Belaid. Il a déclaré que « malgré les progrès importants qui ont été réalisés dans la transition en Tunisie, beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne le processus constitutionnel ». Avant d’ajouter que « pour répondre aux attentes du peuple tunisien sur les plans économique et social, les autorités sont appelées à faire avancer le processus de réformes ». Le secrétaire général de l’ONU a également condamné les actes de violence politique qui, selon lui, ne devraient pas faire dérailler la transition démocratique de la Tunisie.
Tension et recueillement lors des funérailles de Chokri Belaid
L’après-midi du vendredi 8 février, vers 16h les obsèques se sont déroulées au cimetière du Jellaz, où le cercueil du militant Chokri Belaid a été enterré dans le carré des martyrs, enveloppé dans un drapeau tunisien.
Une source du ministère de l’Intérieur a déclaré sur les ondes de Express FM, le nombre controverse de 1.400.000 manifesta tants présents lors des funérailles de Chokri Belaid. D’autres médias internationaux ont annoncé seulement le nombre de 20 000 présents.
Ces obsèques ont été émaillées de troubles. Des casseurs venus de quartiers proches du cimetière ont incendié des voitures, agressé des civils et jeté des projectiles sur la police. Celle-ci a riposté par des gaz lacrymogènes face au cimetière.
Dans d’autres gouvernorats de la Tunisie, des militaires ont été déployés devant les principales administrations par mesure de prévention des violences. Un peu partout en Tunisie, des funérailles symboliques ont été organisées à la mémoire de Chokri Belaid.
Sabra Mansar