L’ouverture de l’espace aérien appelé « Open Sky » est une nouvelle donne avec laquelle la compagnie aérienne historique va devoir composer rapidement… mais pas seulement.
Open Sky en Tunisie ? Cela était impensable il y a encore quelques mois, et pourtant. En marge d’une rencontre qui s’est tenue le 4 décembre 2012 à Paris avec des représentants de tours opérateurs implantés en France, le ministre tunisien du tourisme Elyes Fakhfakh a déclaré que l’ouverture totale et complète du ciel tunisien se fera bel et bien : l’Open Sky est prévu pour l’année 2016. La compagnie nationale Tunisair, déjà en difficulté, a du souci à se faire, d’autant plus qu’une autre compagnie aux dents longues est déjà dans la place.
L’accord Open Sky
Open Sky est un accord international, qui concernait au départ les liaisons aériennes transatlantiques. En vertu de ce traité historique, les différentes compagnies aériennes américaines et européennes peuvent relier sans entrave, depuis le 30 mars 2008, toutes les villes des deux continents par des vols directs transatlantiques. Auparavant, une compagnie ne pouvait desservir un autre État qu’à partir des aéroports de son pays. Désormais, par exemple, Air France assure des liaisons Londres-Los Angeles, alors qu’elle ne le faisait que depuis Paris jusqu’alors.
Pour la Tunisie, il s’agit de libéraliser de la même façon les liaisons aériennes avec l’Union européenne. L’objectif affiché est de rendre plus compétitif, pour les voyagistes, le coût du transport vers la Tunisie, une destination fortement dépendante du tourisme de masse. Les négociations avec les autorités européennes ont démarré en novembre dernier à Bruxelles.
L’annonce du ministre tunisien du Tourisme marque donc un nouveau pas dans cette direction, mais le processus de discussions avec l’Union européenne va se poursuivre, avant la conclusion d’un accord final prévu en septembre 2013. Le ministre Elyes Fakhfakh a toutefois tenté de rassurer les intervenants tunisiens du secteur touristique en annonçant que le processus d’ouverture se ferait progressivement à partir du début de l’année 2014, pour aboutir à la libéralisation totale en 2016. Un délai de deux ans qui semble bien court : il n’y a donc pas de temps à perdre pour mettre en œuvre des réformes trop longtemps reportées, notamment au sein de la compagnie nationale publique, Tunisair.
Qatar Airways prend le monde aérien de vitesse
En fait de libéralisation de l’espace aérien tunisien, un accord existe déjà, avec la puissante compagnie Qatar Airways. L’Instance générale qatarie de l’aviation civile a en effet annoncé quelques jours avant l’ouverture des négociations à Bruxelles que Qatar Airways avait obtenu, en vertu de la 5e liberté de l’air, une autorisation du gouvernement tunisien actuel pour exploiter l’espace aérien tunisien en ce qui concerne les liaisons internes en Tunisie et l’aéroport international de Tunis-Carthage.
Une faveur accordée au Qatar par le gouvernement tunisien qui apparait précipitée et pose de nombreuses questions quant à sa pertinence au regard de la situation des compagnies tunisiennes. Les 34 avions vieillissants de Tunisair font en effet pâle figure à côté de la flotte de 119 appareils (plus 197 appareils en commande) de la compagnie du Golfe, dont denombreux appareils long-courriers de dernière génération. La dernière compagnie unisienne, Syphax Airlines, et ses deux moyen-courriers ont également du souci à se faire. Sa commande récente de six appareils (et quatre en option) auprès d’Airbus risque d’accentuer encore la compétition sur le marché tunisien.
Les syndicats et les agents de la compagnie publique tunisienne n’ont pas tardé à réagir en appelant les autorités de tutelle à réviser toutes les autorisations « attribuées de manière arbitraire » et qui « menacent la pérennité de Tunisair, qui passe déjà par des difficultés économiques et financières ». Ces décisions « ne sont pas non plus objectives, ni bien étudiées », estime la partie syndicale, qui juge le « moment inopportun ».
L’encombrant héritage de l’ère Ben Ali
Les salariés de Tunisair ont raison de s’inquiéter tant la compagnie publique semble mal armée pour affronter la concurrence. Sa comptabilité révèle des pertes relativement importantes : 34 millions d’euros en 2012. Les protections dans le secteur et l’absence de concurrent majeur avaient jusqu’à présent permis à la compagnie de prospérer malgré son manque flagrant de compétitivité grâce au transport de touristes européens vers les aéroports de Tunis, Monastir et Djerba. Elle bénéficiait également, jusqu’à ce dernier accord avec Qatar Airways, du monopole pour les dessertes intérieures.
Ce sont surtout les charges de personnel qui pénalisent la compagnie. Tunisair compte 8 200 employés pour 34 avions et 56 destinations, un effectif pléthorique, héritage d’une gestion des ressources humaines accommodante qui employait volontiers les proches du pouvoir sous Ben Ali. Pour comparaison, son nouveau rival Qatar Airways ne compte que 14 600 personnes pour trois fois plus d’avions et de destinations. Autre compagnie de taille plus comparable, Royal Air Maroc affiche un effectif inférieur à celui de la compagnie tunisienne (4600), mais aligne 10 avions de plus et 36 destinations supplémentaires.
Le nécessaire et douloureux plan de survie
Dos au mur, Tunisair se prépare donc à un douloureux plan de restructuration, dont dépend sa survie. Augmentation de capital, réduction du personnel, renouvellement de la flotte, les objectifs de Monsieur Rabah Jerad, Président Directeur Général-PDG, nommé en février 2012 à la tête de la compagnie, sont ambitieux.
Même la puissante centrale syndicale, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens-UGTT, ne s’y trompe pas et a donné son accord à la réduction du personnel. Tunisair prévoit la suppression de 1 700 postes cette année en plus de 329 départs à la retraite non remplacés. Mais, le PDG veut plus qu’un simple plan social : redonner des ailes à la compagnie historique. Il souhaite l’intégration des filiales mal gérées, des économies de fonctionnement, l’ouverture de nouvelles lignes et la fermeture des lignes moins rentables.
Un des points les plus importants reste sans doute la future augmentation de capital, un impératif pour renouveler la flotte qui vieillit. M. Jerad ne pose qu’une condition : que l’Etat tunisien reste majoritaire. Là encore, les syndicats devraient suivre leur direction. L’Etat tunisien, qui détient aujourd’hui plus de 74 % du capital, pourrait selon le PDG céder des parts à condition d’en conserver au moins 51 %.
Il reste toutefois à trouver des partenaires pour se lancer dans l’aventure alors que la concurrence est déjà là et qu’elle va se renforcer rapidement avec l’arrivée des Européens. Il faudra notamment convaincre Air France, déjà au capital à hauteur de 5,6 %, que Tunisair constitue un relai de croissance à côté d’un marché européen en perte de vitesse.
Le compte à rebours est lancé
La reprise de l’activité peut constituer un bon argument. Après une année 2011 noire avec 54 millions d’euros de pertes et un trafic en baisse de 20 %, l’année 2012 semble être un bon cru. Au premier trimestre de l’année, l’activité a rebondi de 43 % par rapport à la même période l’année précédente, marqué par le changement de régime et les graves troubles sociaux dans le pays.
Le temps est désormais compté pour Tunisair, qui n’a plus le droit à l’erreur ou même le temps de tergiverser. L’arrivée de Qatar Airways cette année et surtout l’ouverture du ciel tunisien aux compagnies européennes en 2016 seront un tournant décisif dans l’histoire de la compagnie historique nationale, fondée il y a déjà 65 ans.
Rached Cherif