Depuis janvier 2012, une loi du Congrès américain autorise la détention illimitée et sans poursuites judiciaires de tout citoyen suspecté d’être lié au terrorisme. Une violation sans précédent des droits fondamentaux aux yeux de quelques journalistes et activistes américains qui attaquent le gouvernement en justice.
Passé relativement inaperçu, le National Defense Authorization Act (NDAA) de 2012, qui détermine chaque année le budget de la défense américaine, contenait l’an dernier plusieurs dispositions contestables. Désapprouvé à demi-mot par le Président Obama, le texte a été discrètement signé le soir du 31 décembre dernier, dans une quasi indifférence médiatique. Depuis lors, tout citoyen américain suspecté de soutenir Al-Qaïda, les talibans, ou une quelconque organisation terroriste est susceptible d’être arrêté et maintenu en détention militaire, sans charges ni procès, « jusqu’à la fin des hostilités ». Pour le journaliste Christopher Hedges, c’est « une nouvelle violation intolérable des droits des citoyens américains ». « cette atteinte aux libertés individuelles mise en place par le président Obama est encore plus sévère que sous George W. Bush », explique-t-il sur le site Truthdig.com.
Une épopée judiciaire face à la constitutionnalité du NDAA
Christopher Hedges est le plaignant principal dans une affaire qui l’oppose à Barack Obama et à plusieurs de ses ministres. Derrière lui, une poignée de personnalités du monde politique et médiatique se sont regroupées, décidées à porter le dossier devant la Cour Suprême américaine, la seule juridiction en mesure d’abroger le texte. Cependant, le chemin jusqu’au bureau des neuf juges est long et sinueux, qui plus est en « temps de guerre », comme le rappelle Marc McNaught, professeur à l’Université de Rennes 2 et spécialiste des décisions de la Cour Suprême. « La guerre contre le terrorisme a déjà justifié l’adoption de nombreuses lois qui auraient été jugées inconstitutionnelles en temps normal, et contester la constitutionnalité d’une loi devant les tribunaux devient quasiment impossible en temps de guerre », précise le professeur. C’est donc une véritable épopée judiciaire qu’ont initié les sept plaignants, au matin du 13 janvier 2012.
Une suspension qui fait débat
En première instance, « il n’y avait presque personne au tribunal lorsque nous avons témoigné en mars 2012 » explique Tangerine Bolen, l’une des co-plaignantes. A l’issue de l’audience, la juge Katherine Forrest du district de New York a constaté une violation claire de la liberté d’expression, d’association et du droit à un procès équitable, garantis par la Constitution. Elle a également ordonné une suspension provisoire de la loi qui, à l’audience suivante, s’est révélée avoir été ignorée par le gouvernement. Alors que le Président Obama avait promis que son administration ne ferait pas usage du NDAA lors de sa signature, ses avocats ont refusé d’assurer à la Cour que les dispositions du texte n’avaient pas été mises oeuvre. La juge Forrest a alors déclaré une suspension permanente, immédiatement contesté par Washington devant la juridiction supérieure, en invoquant une interférence injustifiée de la juge sur les pouvoirs du Président en temps de guerre. La suspension a été levée le mois dernier en attendant l’examen du dossier par les juges de la Cour d’appel du deuxième circuit.
Hedges VS Obama
Depuis, le cas Hedges contre Obama a attiré l’attention des médias et de nouvelles personnalités, comme le documentariste Michael Moore, rejoignant les rangs des opposants à la loi. Beaucoup se disent particulièrement soucieux de la condition des journalistes, parfois amenés à côtoyer ou à interviewer les membres de groupes terroristes. Lors de la dernière audience en date, l’avocat de la défense, Robert Loeb a expliqué au plaignant Christopher Hedges, ancien correspondant de guerre du New York Times, que « tant qu’il ne se mettrait pas à conduire des camions noirs pour le compte de nos ennemis », il resterait à l’abri de cette nouvelle loi. Pour répondre aux inquiétudes du monde des médias, le gouvernement a assuré l’immunité aux « journalistes indépendants », un statut que les plaignants jugent aussi vague que le reste du texte.
De son côté, la Maison Blanche estime que les dispositions contenues dans le NDAA ne font qu’appuyer le dispositif législatif de l’AUMF (Authorization for Military Force), signé par George W. Bush en septembre 2001, et autorisant le Président à utiliser toute la force militaire nécessaire pour lutter contre la menace terroriste. Marc McNaught rappelle que la détention militaire de prisonniers de guerre, qu’ils soient combattants ou non, n’est pas sans précédent dans l’histoire du pays : « pensons aux leaders Confédérés pendant la Guerre Civile, ou aux Japonais pendant la seconde guerre mondiale ». À chacune de ces occasions comme depuis 2001, le Président est allé au-delà des compétences octroyées par la Constitution. « Il y a des moments où les principes constitutionnels ne s’appliquent plus, sont alors créées de nouvelles zones de droits, avec des nouvelles marges de manoeuvre pour l’exécutif », ajoutant : « aujourd’hui la question est de savoir quand cette guerre se terminera et qui en décidera ».
La décision de la Cour d’appel est attendue pour le mois de juin. D’ici là, le gouvernement reste libre de faire usage de toutes les dispositions du NDAA.
Léo Gack