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06H24 - vendredi 5 avril 2013

Femmes politiques en Asie du Sud-Est : les dynasties politiques, marchepied du pouvoir

 

En 2011, les médias occidentaux saluent l’élection de Yingluck Shinawatra, en tant que première femme élue au poste de Premier ministre en Thaïlande. Complètement novice, elle doit sa victoire à la popularité de son frère Thaksin, exilé à Londres. Yingluck n’est pas un cas isolé. Du Pakistan à l’Indonésie, d’Indira Gandhi à Cory Aquino, les populations asiatiques ont plus d’une fois porté une femme au pouvoir. Mais plutôt qu’une plus grande égalité des sexes, cette réalité reflète l’importance politique du principe dynastique dans la région, véritable frein à l’établissement de démocraties matures.

Femmes au pouvoir en Asie : des militants du Pheu Thai Party posent au Rajamangala Stadium devant l'affiche de campagne de Khun Yingluck Shinawatra, première femme thaïlandaise à devenir Premier ministre, à quelques jours des élections du 3 juillet 2011

Femmes au pouvoir en Asie : des militants du Pheu Thai Party posent au Rajamangala Stadium devant l’affiche de campagne de Khun Yingluck Shinawatra, première femme thaïlandaise à devenir Premier ministre, à quelques jours des élections du 3 juillet 2011

Le facteur dynastique élément d’ascension politique pour les femmes


L’appartenance à une dynastie politique est un puissant moyen de légitimation pour les femmes politiques en Asie. Présidente de l’Indonésie de 2001 à 2004 et fille d’Ahmed Sukarno, « père » de l’Indonésie, Megawati Sukarnoputri « a joué au maximum du facteur dynastique. Elle a fait campagne en utilisant des photos d’elle avec son père, en évoquant sans cesse le bilan de Sukarno dans ses discours… Cette légitimité dynastique lui a tenu lieu de programme politique», explique Sophie Boisseau du Rocher, maître de conférences à Sciences Po. La même logique s’applique à Gloria Macapagal-Arroyo, présidente des Philippines de 2001 à 2010.

D’autres dirigeantes asiatiques ont pu compléter leur légitimité familiale d’une légitimité plus personnelle. La Philippine Cory Aquino, première femme chef de gouvernement d’Asie du Sud-Est, possédait une légitimité morale qui lui a permis de récupérer l’aura de son mari, assassiné en 1983. « Elle était femme au foyer, mais issue d’une famille reconnue de parlementaires », rappelle Sophie Boisseau du Rocher. « Elle a su faire valoir sa légitimité morale, liée à son engagement en faveur des droits de l’homme et à sa proximité avec l’archevêque de Manille, pour mettre fin à la dictature de Marcos en 1986. » Indira Gandhi, fille de Nehru, un des pères de l’indépendance indienne, bénéficiait d’une légitimité personnelle plus politique, ayant notamment été emprisonnée par le colonisateur britannique dans sa jeunesse.

Aung San Suu Kyi icône politique en Birmanie Juin 2012 © Simon Davis/DFID

Aung San Suu Kyi © Simon Davis/DFID

En revanche, des figures telles qu’Aung San Suu Kyi doivent beaucoup aux circonstances. Fille d’Aung San, le père de l’indépendance birmane, elle passe la majeure partie de sa vie en Angleterre, sans se préoccuper de politique. Présente fortuitement à Rangoon au moment des grandes manifestations pro-démocratie de 1988, elle accepte de rejoindre le mouvement, dans un premier temps davantage comme symbole que comme leader. Elle en devient rapidement la figure de proue et acquiert une forte légitimité morale grâce à son engagement non-violent et au prix Nobel de la paix obtenu en 1991.

Quant à la thaïlandaise Yingluck Shinawatra, Giles Ji Ungpakorn, ancien chercheur en science politique de l’université Chulalongkorn de Bangkok, affirme sans détour « qu’elle ne serait jamais entrée en politique si Thaksin [son frère et l’ancien Premier ministre thaïlandais en exil depuis 2008, ndlr] avait pu se présenter aux élections . ». Sophie Boisseau du Rocher renchérit : « c’est une construction de son frère. Même avant d’être Premier ministre, il était clair qu’elle n’avait pas les compétences nécessaires pour les postes qu’il lui confiait au sein du cartel économique familial ».

Cela dit, il ne faut pas négliger le fait que plusieurs de ces femmes ont damé le pion à de potentiels héritiers masculins. Si la situation des femmes en Asie du sud reste complexe, l’Asie du Sud-Est « considère depuis de nombreuses générations que les femmes sont aussi capables que les hommes », selon Sophie Boisseau du Rocher. « Il n’y a pas de réticences ou de préjugés particuliers à voir une femme diriger car il existe des figures féminines historiques servant de référence positive », poursuit-elle. « Plusieurs reines de Thaïlande, par exemple, ont su redonner du lustre à la monarchie. » Giles Ungpakorn ajoute qu’« en Asie du Sud-Est, les femmes sont bien plus impliquées dans le commerce et la société civile qu’ailleurs en Asie. Elles dirigent des ONG, des syndicats, des mouvements politiques… ».

« L’arrivée des femmes au pouvoir ne signifie pas forcément que l’égalité des sexes progresse »


Néanmoins, l’arrivée des femmes au pouvoir ne signifie pas forcément que l’égalité des sexes progresse. Comme le pointe Giles Ungpakorn, « elles ne sont pas représentatives de la majorité des femmes de leur pays. Elles n’ont pas le même mode de vie. La majorité des femmes d’Indonésie, de Thaïlande ou du Viêt-Nam ne se voient pas comme appartenant à la même classe sociale que ces femmes issues des élites. C’est difficile pour elles de s’approprier leur succès ».

Les sociétés asiatiques sont en effet fortement hiérarchisées. Comme l’explique Sophie Boisseau du Rocher, « Se poser en défenseur de l’égalité y est non seulement peu porteur, mais parfois décrédibilisant. Les sociétés s’organisent autour des notions de « patron » et de « client ». Si on veut faire valoir ses droits, il faut passer par un réseau de clientèle ».

De fait, le clientélisme assure la pérennité des dynasties politiques, tant au niveau national que local. Si l’on n’atteint pas la caricature grecque avec deux familles alternant systématiquement au pouvoir, Giles Ungpakorn ne manque pas de faire remarquer qu’« on retrouve toujours les mêmes noms au Parlement thaïlandais. Les circonscriptions sont en général contrôlées par une même famille : l’un va au Parlement, l’autre dans les instances locales, etc. Les femmes sont partie prenante de ce système oligarchique ».

Une situation aggravée par des différences idéologiques infimes. Les politiciens changent de parti comme de chemise, au gré de leurs intérêts du moment. Dans ce contexte, un nom connu et reconnu rassure. Il apparaît comme gage de stabilité. Cela ne facilite pas un renouvellement politique déjà handicapé par la taille encore réduite des classes moyennes dans la région.

Certaines expériences malheureuses ont par ailleurs échaudé les jeunes générations qui hésitent maintenant à contester les structures du pouvoir. « Thaksin avait apporté un espoir de changement. Populiste, son programme avait au moins le mérite d’être vraiment différent, sans l’être énormément », expose Giles Ungpakorn. Mais il s’est vite avéré que Thaksin poursuivait des objectifs de pouvoir et d’enrichissement personnel. Les dynasties politiques restent donc le plus souvent nuisibles au développement, par les blocages, le manque de transparence et la corruption qui leur sont liés. « Aux Philippines, assène Sophie Boisseau du Rocher, les grandes familles tiennent le pays en otage, aucune réforme ne peut se faire sans leur accord ». Selon elle, pour mettre fin aux dynasties politiques, il faut miser sur l’éducation et introduire des réformes permettant aux classes moyennes d’accéder au pouvoir. Paul Chambers, directeur de recherche à l’Institut sud-est-asiatique d’études globales à Chiang Maï (Thaïlande), estime « qu’il faudrait encadrer les lois électorales pour empêcher les réseaux familiaux [qui] « donnent un coup de pouce » à leur membres pour être élus ». Mais surtout il faut, selon lui, « que des mouvements sociaux de masse dotés d’une vraie idéologie émergent et remplacent » les structures existantes.

Yannick Le Bars


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