Tunisie
14H38 - mercredi 10 avril 2013

Le féminisme tunisien à l’heure des FEMEN

 

Lundi 11 mars dernier, la webosphère tunisienne s’est agité inhabituellement en réaction  au geste d’Amina Tyler. Cette jeune fille de 19 ans a posté sur une page Facebook (FEMEN-Tunisian-Fanpage) une photo d’elle, seins nus, sur lesquelles était inscrit «Mon corps m’appartient, il ne représente l’honneur de personne». Cette action s’inscrit dans la lignée des FEMEN, un groupe féministe originaire d’Ukraine et connu pour ses actions chocs, au cours desquelles des femmes, seins nus et slogans écrits sur leurs corps, manifestent pour défendre les droits des femmes. Présenté comme une nouvelle forme de féminisme, ce mouvement tend à jouer avec le stéréotype du corps-objet pour mieux le détruire.

amina

En Tunisie, la vague FEMEN, réduite à la seule Amina, a suscité de nombreux débats. D’un côté, Amina a été critiquée, insultée et menacée de mort après la diffusion de ses photos et ses diverses interventions télévisées. Des rumeurs ont même couru sur le kidnapping de la jeune fille, avant un démenti de son avocate Bochra Belhaj Hmida qui a assuré que la fille était en «sureté» chez elle. De l’autre côté, un soutien, mais qui reste extrêmement limité, en particulier chez les Tunisiennes. Si la réalisatrice Nadia El Fani a posé en solidarité avec un «karama» (dignité) écrit sur son sein, elle semble être l’exception face au silence des féministes Tunisiennes et de l’organisation phare, l’ATFD (l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates).

FEMEN, un phénomène trop en avance sur la société tunisienne ?

 

« L’affaire Amina » semble avoir provoqué une forme de consensus social ; très peu de personnes et de personnalités de la société tunisienne ayant exprimées leur soutien et leur approbation en faveur de l’action de la jeune femme.

Il semblerait en réalité qu’à force de vouloir dénoncer l’emprise de la société sur les femmes et leurs corps, les FEMEN soient tombées dans l’excès inverse, en considérant elles-mêmes leur corps comme un simple objet de communication.

Leur dernière action à Paris la semaine dernière n’a pas semblé faire l’unanimité. Les FEMEN avaient alors appelé à un «Jihad Topless Day», une journée de soutien à Amina. En France trois d’entre elles ont protesté devant la mosquée de Paris et brûlé le drapeau du jihad. Loin d’être acclamée, cette dernière action a suscité de violents débats sur la webosphère (avec la formation du contre-mouvement du Muslim Pride Day). Amina, a elle-même affirmé à la télévision tunisienne qu’elle ne cautionnait pas ce geste même si l’on peut s’interroger sur le fait de savoir si sa parole n’était pas contrôlée.

La femme tunisienne, un mythe politique

De nombreuses personnes ont affirmé que la question des femmes était secondaire dans le débat post-révolutionnaire en Tunisie, du fait notamment du mythe de « la femme la plus libérée du monde arabe » qui a façonné l’imaginaire autour des femmes tunisiennes. Cette image laisse à penser, dans l’inconscient collectif, que l’émancipation et les droits des femmes ne sont des sujets que de second rang dans la Tunisie actuelle. Les femmes peuvent et doivent s’y contenter de leurs acquis. Aujourd’hui encore, la lutte pour les droits des femmes – lorsqu’elle est évoquée – se retrouve le plus souvent réduite à un constat simpliste, une division entre «conservateurs et laïques». Il est encore plus malheureux de constater que la condition féminine est aujourd’hui devenue une figure de proue pour l’opinion internationale lorsqu’elle cherche à mesurer le pouls du conservatisme dans un pays.

 La Tunisie doit réinventer sa femme et son féminisme

La femme tunisienne doit réinventer son identité et cela loin des codes occidentaux, mais aussi loin des discussions simplistes réduisant sa lutte au port de la mini-jupe ou du niqab.

L’avenir des femmes tunisiennes ne se joue pas et ne s’est d’ailleurs jamais joué dans les centres du pouvoir politique, entre l’image d’un père fondateur qui en l’émancipant l’a plus aliéné encore, et les débats récents quant à sa complémentarité à l’homme.

Le combat des femmes en Tunisie se joue dans les mentalités, dans l’imaginaire collectif de cette société encore machiste. On peut s’interroger sur la signification de ce geste – peut-être maladroit – qu’Amina voulait exprimer.

Myriam Amri