Bien décidé à plonger le pays dans une politique anti-occidentale et à remettre des valeurs conservatrices au premier plan, le président russe a déclenché une nouvelle polémique en lançant une vaste vague de répressions dirigée vers les ONG étrangères. Ces « agents étrangers » sont désormais la nouvelle cible du gouvernement russe. Vladimir Poutine franchit un nouveau pas dans l’élimination des contre-pouvoirs et menace dès lors la liberté de la société civile.
« Il n’y a pas eu de problèmes particuliers en matière de droits de l’homme en 2012 ». Cette déclaration faite, jeudi 28 mars, par Vladimir Poutine, a choqué la Communauté internationale. La Russie n’est en effet pas un modèle de démocratie si l’on en croit les nombreuses violations en matière de liberté de la presse, la mise au ban de l’opposition ou encore la fraude électorale avérée lors des dernières élections présidentielles. Tout le monde garde bien entendu également en mémoire la condamnation des trois punkettes des Pussy Riots, l’été dernier.
L’élimination des contre-pouvoirs
Depuis le 21 mars, c’est au tour de plus de quatre-vingt ONG de subir la pression du gouvernement russe. Des actions ont été menées suite à l’adoption d’une loi spécifiant que les ONG bénéficiant d’un financement étranger et ayant une activité politique, devaient être inscrites sur un registre « d’agents de l’étranger » et se présenter en tant que tels pour toute activité publique. Pour ceux qui y seraient réfractaires, ils pourraient se voir signifier une peine de deux ans de camp. Cette nouvelle loi est perçue par certains analystes comme une tentative d’intimidation et d’élimination de tout contre-pouvoir face au gouvernement russe, notamment suite aux critiques émises sur la validité de l’élection de Vladimir Poutine.
C’est donc une vaste politique de contrôles qui a été lancée par le gouvernement russe ces dernières semaines. Plusieurs organisations non-gouvernementales basées à Moscou et Saint-Pétersbourg, considérées comme une menace par le Kremlin, ont subi les perquisitions à l’improviste. Quelques jours après Mémorial, organisation célèbre pour la défense des droits de l’homme en Russie, Amnesty International a subi le même sort. Face aux fonctionnaires de la justice et du fisc, accompagnés d’une équipe de la chaîne NTV, formidable relai de la propagande poutinienne de ces dernières années, les employés de l’ONG ont été dans l’obligation de céder des documents personnels et financiers. Plus récemment, Human Rights Watch qui a fait l’objet des mêmes contrôles. Pour le président du conseil de Mémorial, une ONG russe de défense des droits de l’homme, Oleg Orlov, l’objectif de ces actions est évident. Il s’agit « d’intimider et de harceler ces organisations, afin de les empêcher de fonctionner normalement ».
La société civile menacée
Considérées comme la vitrine de l’Occident, les ONG étrangères ne sont plus les bienvenues dans le pays. Pour le politologue Serguei Markov, « les organisations non-gouvernementales sont l’instrument principal de toutes les révolutions. Nous l’avons vu lors des révolutions de couleur dans les pays de l’Europe de l’Est et en Asie centrale et nous ne voulons pas que des Etats étrangers viennent faire la révolution chez nous avec l’aide de leurs agents étrangers qu’ils appellent des organisations non-gouvernementales ». L’utilisation du terme « d’agents étrangers » est ici significative. Celui-ci renverrait à la notion de haute trahison et d’espionnage, ce qui révolte les principaux concernés. Mardi 9 avril, l’ONG Golos, accusée d’agir pour le compte des Etats-Unis qui la financent en partie, est la première organisation à subir des poursuites. Reconnue, notamment, pour avoir mis en lumière les fraudes électorales de 2011, l’ONG et sa présidente risquent des amendes pouvant atteindre 10 000 euros, si celle-ci ne figure pas au registre des « agents de l’étranger ».
Ces organisations non gouvernementales jugent cette loi discriminatoire et témoignent d’un « harcèlement » de la part du Kremlin. Elles craignent désormais qu’une étape supérieure ne soit franchie : la fermeture pure et simple de leur organisation. Elles hésitent donc sur la stratégie à adopter, coopérer docilement avec les autorités d’une part, ou refuser de livrer les archives demandées sous peine de mesures plus sévères.
Quoiqu’il en soit, les ONG qui entendent refuser de se plier au bon vouloir du président, ont annoncé qu’elles n’hésiteraient pas à saisir la Cour européenne des droits de l’homme si les poursuites s’accentuaient.
Inquiétude de l’Europe
La vague répressive de Vladimir Poutine a provoqué l’indignation de certains pays européens, dont les principales ONG contrôlées sont originaires.
La France a ainsi demandé à l’ambassade de Russie « de fournir des explications » sur les perquisitions effectuées ces derniers jours. L’ambassadeur de Russie est d’ailleurs convoqué au Quai d’Orsay pour justifier la série d’enquêtes en cours. Même réaction à Berlin ce dimanche. Après les contrôles effectués dans les fondations allemandes Friedrich-Ebert (à Moscou) et Konrad-Adenauer (à Saint-Pétersbourg), Angela Merkel n’a pas hésité à interpeler en public Vladimir Poutine, lors de sa visite à l’inauguration de la foire d’Hanovre. La chancelière allemande a tenu à souligner l’importance du rôle des ONG, y compris en Russie : « Nous pensons que [la coopération] peut s’exprimer avec succès lorsqu’il existe une société civile dynamique. Nous devons intensifier les discussions, développer nos idées et nous devons offrir aux ONG, dont nous savons qu’elles constituent un moteur de l’innovation, une chance en Russie ».
Catherine Ashton, haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a affirmé, quant à elle, être « préoccupée » par les mesures prises contre les ONG. Elle a insisté sur la gravité de la situation en déclarant : « Ces actes, qui s’ajoutent à la récente série de lois restreignant les libertés civiles de la population russe, à l’accroissement de poursuites visant des militants, aux procès politiques, ainsi qu’à l’absence de réactions dans certaines affaires de violation des droits de l’homme, constituent une évolution profondément troublante ».
Face à ces accusations, le ministère des Affaires étrangères russe nie toute violation des obligations internationales auxquelles la Russie est tenue. Ces dénégations ne semblent pas annoncer un apaisement de cette chasse aux sorcières ordonnée par Vladimir Poutine. Vingt ans après la chute de l’Union Soviétique, la Russie de Poutine semble marcher sur les traces de ces illustres prédécesseurs.
Marie-Julie Herrmann